CHAPITRE II
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LES THEORIES DES INCREDULES ET LE TEMOIGNAGE DES FAITS.
Il a été énoncé, à propos des tables tournantes et du spiritisme, les jugements les plus contradictoires. Parmi les luges les plus sévères est M. Bersot, que nous avons vu si bien renseigné sur le magnétisme. S'il admet encore certaines parties du mesmérisme, pour le spiritisme il n'en veut pas entendre parler.
Ecoutons : «Enfin le spiritisme, il faut bien le dire nettement, s'explique par des causes très naturelles : illusion, supercherie, crédulité. Comme si ce n'était pas assez de la faiblesse de la raison, on a mis contre elle le coeur humain, et ici nous sommes partagé entre l'indignation contre ceux qui se jouent de ces sentiments sacrés et la sympathie pour ceux qui se laissent tromper ainsi.»
Comme on le voit, notre critique n'est pas tendre ; nous ne sommes plus seulement des ânes, nous devenons des fripons. C'est pour donner un formel démenti à ces imputations calomnieuses que nous allons examiner soigneusement les faits, non pas que nous avons observés, ceci ne serait pas assez convaincant, mais ceux rapportés par les savants dont nous avons parlé. Nous citerons souvent MM. Wallace et Crookes, car ce sont des hommes dont la bonne foi, l'honorabilité et la valeur intellectuelle répondent victorieusement aux accusations de crédulité, supercherie ou illusion, que nous prodiguent si généreusement les émules de M. Jules Soury.
Suivant certaines légendes, il faut, lorsqu'on veut faire tourner la table, que les personnes qui se livrent à cet exercice se touchent mutuellement les doigts et fixent avec une attention continue le même point de la table. Ceci est tout à fait inutile.
Lorsqu'on veut faire cette expérience, il suffit de poser légèrement les mains sur le plateau de la table et d'attendre qu'il s'y manifeste des mouvements. Au bout d'un temps plus ou moins long, on constate certains craquements du meuble qui annoncent que le phénomène va se produire. A un moment donné la table se soulève sur un des pieds et frappe un ou plusieurs coups, c'est alors qu'on peut l'interroger à la manière ordinaire.
Les déplacements du meuble sont parfois très violents. M. Eugène Nus rapporte, dans le livre charmant intitulé : Choses de l'autre Monde, comment il fut amené, en compagnie de plusieurs amis, à faire tourner la table.
«- Nous roulons au milieu de la chambre une table à manger lourde et massive ; nous nous asseyons autour ; nous appliquons nos mains ; nous attendons suivant la formule, et, au bout de quelques minutes, la table oscille sous nos doigts.
«Quel est le mauvais plaisant ?...
«Tous protestent de leur innocence, mais chacun suspecte son voisin, quand tout à coup la table se lève sur deux pieds. Cette fois, pas de doute possible.
Elle est trop lourde pour qu'un effort, même apparent, puisse la renverser ainsi. D'ailleurs comme pour nous narguer, elle reste immobile, en équilibre, sur ses deux jambes de derrière, formant avec le parquet un angle presque droit, et se roidit sous les bras qui veulent lui faire reprendre sa position naturelle, ce à quoi ils parvinrent enfin après une énergique pesée.»
Nous nous regardions ébahis, ajoute l'auteur : nous devons faire observer que son étonnement bien naturel fut partagé par M. Babinet à l'aspect de l'ascension d'une table qui s'éleva dans l'air sans que personne y touchât.
Nous lisons, en effet, dans la Revue spiritualiste de 1868 :
«Un fait remarquable et d'une grande importance pour les idées que nous représentons vient de se produire à Paris. L'illustre savant M. Babinet, introduit auprès du médium Montet, fut témoin de l'ascension d'une table isolée de tout contact. L'académicien en fut tellement surpris qu'il ne put s'empêcher de dire ces paroles : «c'est renversant !» Nous tenons le fait de plusieurs témoins oculaires, entre autres de l'honorable général baron de Brévern, qui nous a autorisé à donner de ce fait et de cette parole la garantie de son nom. Il est prêt à renouveler son témoignage à qui le voudra et devant n'importe qui.»
Les tables manifestent des signes d'intelligence tantôt en frappant avec un pied un certain nombre de coups, tantôt en faisant entendre dans le bois de petites détonations au moment où l'on prononce la lettre que l'esprit veut désigner. On peut ainsi échanger une conversation. Mais il ne faudrait pas croire que la table soit un meuble indispensable, et que l'esprit vienne se loger dans le bois, comme on l'a répété à satiété. Un objet quelconque peut aussi bien servir à ce genre de phénomène, mais on a choisi la table parce que c'est un instrument plus commode que tout autre, lorsque l'on est plusieurs à expérimenter.
Dans cette étude, nous suivrons William Crookes qui a catalogué les phénomènes, en passant des plus simples aux plus complexes. Sauf quelques rares exceptions qu'il indique, les faits se sont produits chez lui, à la lumière, et en présence du médium et de quelques amis.
1° MOUVEMENT DE CORPS PESANTS AVEC CONTACT MAIS SANS EFFORT MECANIQUE.
«C'est là une des formes les plus simples des phénomènes que j'ai observés. Elle varie en degré depuis l'ébranlement d'une chambre et de son contenu, jusqu'à élever réellement dans l'air un corps pesant lorsque la main est dessus.
«On peut objecter à cela que, quand on touche une chose qui est en mouvement, il est possible de la tirer, de la pousser ou de la soulever : J'ai prouvé par l'expérience que dans des cas nombreux ceci n'a pu avoir lieu ; mais comme preuves à donner, j'attache peu d'importance à cette classe de phénomènes, et je ne les mentionne que comme préliminaires à d'autres mouvements de même genre, mais produits sans contact.»
2° PHENOMENES DE PERCUSSION ET AUTRES SONS DE MEME NATURE.
«Le nom populaire de coups frappés donne une idée très fausse de ce genre de phénomènes. A différentes reprises pendant nos expériences, j'ai entendu des coups délicats qu'on eût dit produits par la pointe d'une épingle ; une cascade de sons perçants comme ceux d'une machine d'induction en plein mouvement ; des détonations dans l'air, de légers bruits métalliques aigus ; des craquements comme ceux que l'on entend quand une machine à frottement est en action ; des sons qui ressemblaient à des grattements ; des gazouillements comme ceux d'un oiseau, etc...
«Ces bruits que j'ai constatés avec presque tous les médiums ont chacun leurs particularités spéciales. Avec M. Home, ils sont plus variés, mais pour la force et la régularité, je n'ai rencontré absolument personne qui pût approcher de Mlle Kate Fox. Pendant plusieurs mois j'ai eu le plaisir d'avoir des occasions presque innombrables de constater les phénomènes variés qui avaient lieu en présence de cette dame, et ce sont ces bruits que j'ai particulièrement étudiés. Il est généralement nécessaire avec les autres médiums pour une séance régulière de s'asseoir avant que rien ne se fasse entendre, mais avec Mlle Fox, il semble qu'il lui soit simplement nécessaire de placer sa main sur n'importe quoi, pour que des sons bruyants s'y fassent entendre, comme un triple choc ; et quelquefois avec assez de force pour être entendus à travers l'intervalle de plusieurs chambres.
«J'en ai entendu se produire dans un arbre vivant, sur un carreau de vitre, dans un fil de fer tendu, sur une membrane tirée, dans un tambourin, sur la couverture d'un cab et dans le parquet d'un théâtre. Bien plus, le contact immédiat n'est pas toujours nécessaire ; j'ai entendu ces bruits sortir du parquet, des murs, etc., quand le médium avait les pieds, les mains attachés, quand il était debout sur une chaise ; quand il se trouvait sur une balançoire suspendue au plafond, quand il était enfermé dans une cage de fer et quand il était en syncope sur un canapé. Je les ai entendus sur les verres d'un harmonica, je les ai sentis sur mes propres épaules et sur mes propres mains. Je les ai entendus sur une feuille de papier tenue entre les doigts et suspendue par un bout de fil passé dans un coin de cette feuille avec la pleine connaissance des théories qu'on a mises en avant, surtout en Amérique, pour expliquer ces sons. Je les ai éprouvés de toutes les manières que j'ai pu imaginer, jusqu'à ce qu'il ne m'ait pas été possible d'échapper à la conviction qu'ils étaient bien réels et qu'ils ne se produisaient pas par la fraude ou des moyens mécaniques.»
On remarquera avec quelle persistance, quel souci de la vérité, le savant anglais a examiné le phénomène sous toutes ses faces. Le résultat auquel il est arrivé, après de nombreuses observations, c'est qu'il se produit des coups, des bruits, des grincements, qui ne peuvent être attribués à la fraude ou à des moyens mécaniques imaginés par la supercherie. Ces bruits, ces coups bizarres ont besoin d'être étudiés, ils sont d'une nature particulière et leur étrangeté attire forcément l'attention. Aussi dès qu'ils furent constatés, ainsi que les mouvements de la table, des savants de premier ordre, tels que Faraday, Babinet, Chevreul, essayèrent d'expliquer ces anomalies par des hypothèses plus ou moins rationnelles ; cela ne leur était pas facile, car la science, qui a repoussé avec tant de dédain le fluide magnétique, ne pouvait songer à lui faire, ici, jouer un rôle.
Afin de se tirer d'embarras, Faraday fit plusieurs expériences pour démontrer que l'adhérence des doigts au plateau de la table était une condition de sa mise en mouvement, car, prétendait-il, une fois cette adhérence établie, les trépidations nerveuses et musculaires des doigts finissent par devenir assez puissantes pour imprimer un mouvement à la table. - Ceci est-il vrai ? M. Crookes répond non, et en donne la preuve.
Il imagina d'attacher l'extrémité d'une longue planche à une balance très sensible, l'autre extrémité reposant sur un bâti en maçonnerie. Les choses ainsi disposées, la balance indiquait un certain poids que l'on nota.
Le médium mit ses mains sur la partie de la planche reposant sur le bâti de manière qu'une pression quelconque de sa part aurait eu pour résultat de faire lever la planche, ce qui se serait vu immédiatement par la diminution de poids qu'aurait accusé la balance ; au lieu de cela, la planche fut abaissée avec une force de six livres 1/2. M. Home, le médium, pour bien montrer qu'il n'appuyait pas, mit sous ses doigts une fragile boîte d'allumettes, le même fait se reproduisit. Dans cette dernière circonstance toute adhérence des doigts est détruite, et, de plus, se serait-elle même produite, elle ne pouvait qu'entraver le phénomène au lieu de le favoriser.
M. Crookes fait remarquer, en outre, qu'il n'a publié ses recherches qu'après avoir vu les faits se reproduire des «demi-douzaines de fois», de manière à les bien contrôler.
Pour enlever à la théorie de l'adhérence jusqu'à l'ombre d'une probabilité, le savant chimiste construisit un second appareil, ayant le même principe que le premier, mais dans lequel le contact se produisait au moyen de l'eau, de telle manière qu'il y avait impossibilité absolue de transmettre à la planche un mouvement mécanique quelconque. D'ailleurs on remarqua que la balance accusait plusieurs fois une augmentation de poids, pendant que M. Home avait les mains à plusieurs pouces au-dessus de l'appareil. L'hypothèse de Faraday est donc absolument fausse.
M. Babinet avait trouvé une autre hypothèse, ou plutôt avait formulé la même que Faraday, mais dans des termes différents. Selon lui, les déplacements de la table étaient produits par des mouvements naissants et inconscients, c'est-à-dire qu'involontairement, les personnes réunies autour de la table lui auraient communiqué automatiquement certains mouvements. Il a établi cette théorie avant d'avoir bien observé tous les cas qui peuvent se présenter, puisque l'ascension d'un meuble sans contact est inexplicable par sa méthode. De plus, l'expérience de Crookes citée plus haut réduit à néant toutes ces pseudo-explications.
M. Chevreul, le chimiste, ne fut guère plus heureux dans ses tentatives. Il publia une brochure intitulée : La baguette divinatoire et les tables tournantes, dans laquelle il expose les principes suivants :
1° Un pendule en action suspendu sur le côté d'un mur communique son mouvement d'oscillation à un second pendule suspendu de l'autre côté du mur ;
2° Le frottement exécuté sur l'extrémité d'une barre de fer met l'autre extrémité en vibration ;
3° La résultante des forces digitales de plusieurs personnes agissant latéralement peut vaincre l'inertie de la table.
Comme on le voit, c'est toujours, sous des noms divers, la même théorie. Adhérence, mouvements naissants ou oscillations du pendule, ces hypothèses reposent toutes sur une action purement physique de la part des personnes qui expérimentent ; or dans les expériences de Crookes citées plus haut, il est impossible d'attribuer le phénomène à ces causes ; il faut donc en conclure que, jusqu'alors, la science qui n'admet pas le fluide magnétique est incapable d'indiquer la force qui produit ces faits extraordinaires1.
Il faut maintenant passer en revue une seconde catégorie d'observateurs qui ne voient dans le mouvement des tables que des effets magnétiques s'exerçant d'une manière inconnue.
Parmi ces derniers, M. Thury, professeur à l'Académie de Genève, et M. de Gasparin ont publié des ouvrages remplis d'observations curieuses, et qui mettent hors de doute l'existence des phénomènes, indépendamment de toute action matérielle de la part des opérateurs. Suivant M. Thury, les faits que l'on constate sont dus à l'influence d'une force qu'il appelle Ecténique, s'exerçant à distance et pouvant produire sous l'influence de la volonté des bruits, des déplacements d'objets, et, par conséquent, manifester de l'intelligence. M. de Gasparin partage la même opinion. Laissons la parole aux faits, car ainsi que le remarqua Alfred Wallace, «ce sont des choses opiniâtres».
M. Crookes dit à la suite du résumé de ses remarques sur les coups frappés :
«Une question importante s'impose ici à notre attention : Ces mouvements et ces bruits sont-ils gouvernés par une intelligence ? Dès le début de mes recherches j'ai constaté que le pouvoir qui produisait ces phénomènes n'était pas simplement une force aveugle, et qu'une intelligence le dirigeait ou du moins lui était associée ; ainsi les bruits dont je viens de parler ont été répétés un nombre de fois déterminé ; ils sont devenus forts ou faibles, et à ma demande ils ont résonné dans divers endroits ; par un vocabulaire de signaux convenus à l'avance, il a été répondu à des questions, et des messages ont été donnés avec une exactitude plus ou moins grande.»
Jusqu'ici les partisans de la force ecténique ou psychique (c'est tout un) peuvent à la rigueur expliquer ces phénomènes. Il leur est possible de dire que, lorsque l'on veut vivement quelque chose, on envoie une sorte de décharge nerveuse qui produit les bruits demandés. Cette supposition n'est guère admissible lorsqu'on obtient des «gazouillements d'oiseau», mais passons sur cette improbabilité, et nous allons constater, toujours avec Crookes, qu'il se produit un tout autre genre d'action.
«L'intelligence qui gouverne ces phénomènes est quelquefois manifestement inférieure à celle du médium ; et elle est souvent en opposition directe avec ses désirs. Quand une détermination a été prise de faire quelque chose qui ne pouvait être considéré comme bien raisonnable, j'ai vu donner de pressants messages pour engager à réfléchir de nouveau. Cette intelligence est quelquefois d'un caractère tel, qu'on est forcé de croire qu'elle n'émane d'aucun de ceux qui sont présents.»
Cette dernière phrase détruit la théorie de M. Thury, car si cette force nerveuse n'est pas dirigée par la volonté de l'opérateur et des spectateurs, il faut admettre une intelligence étrangère, c'est-à-dire l'intervention des esprits.
Il est incontestable, évidemment, que si la table que l'on consulte donne des réponses sur des sujets inconnus des assistants, ou contraires à leurs pensées, ce n'est certainement pas de chez eux que part la réponse ; mais, comme il faut qu'elle soit faite par quelqu'un, nous l'attribuons à une intelligence occulte qui vient se manifester. Cette conception n'est pas une invention humaine, car chaque fois qu'une intelligence s'est manifestée, on lui a demandé qui elle était, et constamment elle a répondu être l'âme d'une personne ayant habité sur la terre.
Pour se bien rendre compte de la manière dont se passent les phénomènes, il est urgent de faire le récit d'une séance d'évocation. Il peut sembler ridicule de se placer devant une table et de croire qu'un de vos parents défunts va venir causer au moyen de ce meuble ; cependant c'est l'exacte vérité, et parmi les milliers de faits racontés par les hommes de science les plus honorables, nous citerons particulièrement la lettre suivante de M. Alfred Wallace, non seulement parce qu'elle est particulièrement probante, mais aussi parce que l'auteur est au-dessus de tout soupçon.
LETTRE DE M. ALFRED RUSSEL WALLACE A L'EDITEUR DU «TIMES».
Monsieur,
Puisque j'ai été désigné par plusieurs de vos correspondants comme un des hommes de science qui croient au spiritualisme, peut-être me permettrez-vous d'établir brièvement sur quelle quantité de preuves ma croyance est fondée.
J'ai commencé mes recherches il y a environ huit ans, et je considère comme une circonstance heureuse pour moi que les phénomènes merveilleux étaient à cette époque beaucoup moins communs, et beaucoup moins accessibles qu'ils ne le sont aujourd'hui, parce que cela m'a conduit à expérimenter sur une large échelle, dans ma propre maison et en société d'amis dans lesquels je pouvais avoir toute confiance.
J'ai eu ainsi la satisfaction de démontrer, à l'aide d'une grande variété d'épreuves rigoureuses, l'existence de bruits et de mouvements qui ne peuvent s'expliquer par aucune cause physique connue ou concevable.
Ainsi familiarisé avec ces phénomènes dont la réalité ne laisse aucun doute, j'ai été à même de les comparer avec les plus puissantes manifestations de médiums de profession, et j'ai pu reconnaître une identité de cause entre les uns et les autres, en raison de ressemblances peu nombreuses, mais très caractéristiques.
Il m'a été également possible d'obtenir, grâce à une patiente observation, des preuves certaines de la réalité de quelques-uns des phénomènes les plus curieux, preuves qui m'ont paru alors et me paraissent encore aujourd'hui des plus concluantes. Les détails de ces expériences exigeraient un volume, mais peut-être me sera-t-il permis d'en décrire brièvement une, d'après des notes prises au moment même, afin de montrer par un exemple comment on peut se mettre à l'abri des fraudes dont un observateur patient est souvent victime sans s'en douter.
Une dame qui n'avait jamais vu un de ces phénomènes nous pria, ma soeur et moi, de l'accompagner chez un médium de profession bien connu ; nous y allâmes et nous eûmes une séance particulière en pleine lumière, par une journée d'été. Après un grand nombre de mouvements et de coups frappés comme d'habitude, notre amie demanda si le nom de la personne défunte avec laquelle elle désirait entrer en communication pouvait être épelé. La réponse ayant été affirmative, cette dame pointa successivement les lettres d'un alphabet imprimé, pendant que je notais celles auxquelles correspondaient les trois coups affirmatifs.
Ni ma soeur, ni moi, ne connaissions le nom que notre amie désirait savoir, et nous ignorions également le nom de ses parents défunts ; son propre nom n'avait pas été prononcé, et elle n'avait jamais vu le médium auparavant. Ce qui va suivre est le compte rendu exact de ce qui se passa. J'ai seulement altéré le nom de famille qui n'est pas très commun, n'ayant pas l'autorisation de le publier.
Les lettres que je notai furent : Y. R. N. E. H. N. O. S. P. M. O. H. T.
Dès que les trois premières lettres Y. R. N. furent notées, mon amie dit : C'est un non-sens, il vaudrait mieux recommencer. Juste à ce moment son crayon était sur la lettre E, et des coups furent frappés. Une idée me vint alors (ayant lu un fait pareil sans en avoir jamais été témoin) et je dis : «continuez, je vous prie, je crois deviner ce que cela veut dire.» Lorsque mon amie eut fini d'épeler, je lui présentai le papier, mais elle n'y vit aucun sens ; j'opérai une division après la première lettre H, et je priai cette dame de lire chaque portion à l'envers, alors apparut, à son grand étonnement, le nom correctement écrit de Henry Thompson, son fils décédé, dont elle avait souhaité d'être informée. Justement, à cette époque, j'avais entendu parler à satiété de l'adresse merveilleuse du médium pour saisir les lettres du nom attendu par les visiteurs dupés, malgré tout le soin qu'ils prennent pour passer le crayon sur les lettres avec une régularité parfaite.
Cette expérience (dont je garantis l'exacte description faite dans le récit précédent), était et est à mon sens la réfutation complète de toutes les explications présentées jusqu'ici au sujet des moyens employés pour indiquer par des coups les noms des personnes décédées.
Sans doute, je ne m'attends pas à ce que les gens sceptiques, qu'ils s'occupent ou non de science, acceptent de tels faits dont je pourrais d'ailleurs citer un grand nombre d'après ma propre expérience, mais ils ne doivent pas plus, de leur côté, s'attendre à ce que moi ou des milliers d'hommes intelligents à qui des preuves aussi irrécusables ont été données, nous adoptions leur mode d'explication court et facile. Si je ne vous dérobe pas une trop grande partie de vos précieux instants je vous ferai encore quelques observations sur les idées fausses que se font un grand nombre d'hommes de science, quant à la nature de cette recherche, et je prendrai comme exemple les lettres de votre correspondant, M. Dircks.
En premier lieu il semble considérer comme un argument contre la réalité de ces manifestations l'impossibilité où l'on se trouve de les produire et de les montrer à volonté ; un autre argument contre la réalité de ces faits est tiré de ce qu'ils ne peuvent être expliqués par aucune loi connue. Mais ni la catalepsie, ni la chute des pierres météoriques, ni l'hydrophobie ne peuvent être produites à volonté ; cependant ce sont des faits. Le premier a été quelquefois simulé, le second a été nié autrefois, et les symptômes du troisième ont été souvent grandement exagérés ; aussi nul de ces faits n'est admis définitivement dans le domaine de la science, et cependant personne ne se servira de cet argument pour refuser de s'en occuper.
En outre, je ne me serais pas attendu à ce qu'un homme de science pût motiver son refus d'examiner le spiritualisme sur ce qu'il est en opposition avec toutes les lois naturelles connues, spécialement la loi de gravitation, et en contradiction ouverte avec la chimie, la physiologie humaine et la mécanique ; tandis que les faits (s'ils sont réels) dépendent d'une ou de plusieurs causes capables de dominer ou de contrecarrer l'effet de ces différentes forces, exactement comme ces dernières contrecarrent ou dominent d'autres forces. Et cependant ceci devrait être un fort stimulant pour engager un homme de science à examiner ce sujet.
Je ne prétends pas moi-même au titre de véritable homme de science ; cependant il y en a plusieurs qui méritent ce nom et qui n'ont point été considérés par votre correspondant comme étant en même temps spécialistes. Je considère comme tels : feu le docteur Robert Chambers, le professeur William Grégory d'Edimbourg et le professeur Hare de Philadelphie, qui sont malheureusement décédés, ainsi que le docteur Guilly de Malvern, savant médecin, et le juge Edmonds, un des meilleurs jurisconsultes de l'Amérique, qui ont fait à ce sujet les plus amples recherches. Tous ces hommes étaient non seulement convaincus de la réalité de ces faits merveilleux ; mais, de plus, ils acceptaient la théorie du spiritualisme moderne comme seule capable d'englober tous les faits et d'en rendre compte. Je connais aussi un physiologiste vivant, placé dans un rang élevé qui est en même temps un investigateur habile et un ferme croyant.
Pour conclure (avis à M. Bersot), je puis dire que quoique j'aie entendu un grand nombre d'accusations d'imposture, je n'en ai jamais découvert moi-même, et quoique la plus grande partie des phénomènes extraordinaires, si ce sont des impostures, ne puissent être produits que par des machines ou des appareils ingénieux, on n'a encore rien découvert. Je ne crois pas exagérer en disant que les principaux faits sont maintenant aussi bien établis et aussi faciles à étudier que tout autre phénomène exceptionnel de la nature dont on a pas encore découvert la loi.
Ces faits sont d'une grande importance pour l'interprétation de l'histoire qui abonde en récits de faits semblables, ainsi que pour l'étude du principe de la vie et de l'intelligence sur lequel les sciences physiques jettent une lumière si faible et si incertaine. Je crois fermement et avec conviction que chaque branche de la philosophie doit souffrir jusqu'à ce qu'elle soit honnêtement et scrupuleusement examinée, et traitée comme constituant une partie essentielle des phénomènes de la nature humaine.
Je suis, Monsieur, votre très obéissant serviteur.
ALFRED R. WALLACE.
Il est difficile de mieux préciser la question que ne l'a fait l'éminent naturaliste. Le nom de Henry Thompson, venu lettre par lettre, dans l'ordre inverse de celui où il s'écrit habituellement, démontre jusqu'à l'évidence l'intervention d'une intelligence indépendante de celle des assistants et répond victorieusement à l'objection de la transmission de pensée.
Expliquons ce que signifie cette locution.
Un certain nombre d'observateurs ne pouvant nier ni les phénomènes eux-mêmes ni les réponses intelligentes données par la table, mais refusant catégoriquement d'admettre une intervention spirituelle, ont supposé que les opérateurs émettent une certaine quantité de fluide nerveux qui, concentré dans la table, lui communique le mouvement. Il est notoire, dit l'un d'eux, que les réponses des tables ne sont que l'écho des réponses mentales des assistants, et M. Chevreul d'ajouter : «Il est facile de concevoir comment une question qu'on adresse à une table peut éveiller dans la personne qui fait cette question un mouvement cérébral, et ce mouvement, qui n'est autre que celui du fluide nerveux, peut se propager dans la table ; d'où il résulte que l'impulsion étant mesurée, intelligente, la table répétera la même impulsion.»
Nous nous permettrons de faire observer à l'éminent chimiste que le cas cité par Alfred Wallace est en opposition formelle avec son explication ; car en supposant même que la dame qui évoquait son fils eût épelé mentalement le nom de son enfant, il est impossible de comprendre pourquoi ce nom est dicté à l'envers, nettement, sans hésitation, et surtout de s'expliquer comment l'action ne cesse pas lorsque cette dame déclare à la troisième lettre qu'il est inutile de continuer, celles déjà données n'ayant, suivant elle, aucun sens. Il faut convenir que M. Chevreul n'est pas heureux avec ses explications, qui sont proches parentes de celles de M. Bersot.
La transmission de pensée est un phénomène qui s'opère de magnétiseur à sujet. Dans certains cas l'expérimentateur n'a pas besoin d'énoncer mentalement sa volonté pour se faire obéir ; il lui suffit de penser et le somnambule exécute l'ordre qu'il a reçu ou répond à la question qui lui a été posée. Ici on peut concevoir ce qui se passe. Par l'action magnétique il s'est établi un courant fluidique entre les deux systèmes nerveux, de sorte que les vibrations émanées du cerveau du magnétiseur ébranlent d'une manière semblable celui du magnétisé, et font naître dans l'esprit de ce dernier les mêmes idées que chez l'opérateur. Telle est, du moins, la théorie que l'on donne de ce fait remarquable.
Mais dans les tables tournantes les conditions ne sont pas les mêmes. Si l'on suppose plusieurs personnes assises autour du meuble, ainsi que le rapporte M. Wallace, comment se fait l'accord des fluides et des vibrations de tous ces cerveaux ? Celui de la dame qui évoquait trouvait le phénomène absurde, tandis que celui de M. Wallace le trouvait possible : en vérité, cette soi-disant explication est inacceptable.
L'objection de la transmission de la pensée étant celle que l'on trouve le plus communément répandue, nous allons citer d'autres exemples qui montreront combien elle est absurde, lorsqu'on veut l'appliquer aux manifestations spirites.
M. Crookes raconte que pendant une séance avec M. Home, une petite latte qui se trouvait sur la table, à peu de distance des mains du médium, traversa seule cette table, vint à lui en pleine lumière et donna une communication (c'est ainsi que l'on nomme les messages des esprits) en lui frappant sur la main.
«J'épelais, dit-il, l'alphabet, et la latte me frappait aux lettres qu'il fallait, l'autre bout de la latte reposant sur la table.
«Les coups étaient si nets, si précis, et la latte était si évidemment sous l'influence d'une puissance invisible qui dirigeait ses mouvements, que je dis : l'intelligence qui dirige les mouvements de cette règle peut-elle changer le caractère de ces mouvements, et me donner au moyen de coups frappés sur ma main un message télégraphique avec l'alphabet de Morse ?
«J'ai toutes les raisons pour croire que l'alphabet de Morse était tout à fait inconnu des personnes présentes, et moi-même je ne le connaissais qu'imparfaitement. J'avais à peine prononcé ces paroles, que le caractère des coups frappés changea ; et le message fut continué de la manière que j'avais demandée. Les lettres me furent données trop rapidement pour pouvoir faire autre chose que de saisir un mot par-ci par-là, et par conséquent ce message fut perdu ; mais j'en avais assez vu pour me convaincre qu'à l'autre bout de la latte, il y avait un bon opérateur de Morse, quel qu'il pût être d'ailleurs.»
Nous espérons qu'ici on ne trouvera pas l'ombre d'une transmission de pensées et nous mettons MM. Chevillard, Thury et consorts, au défi de nous expliquer ce qui se passe dans ce cas, si l'on n'admet pas l'intervention spirituelle.
Un dernier fait, tout aussi probant, est encore rapporté par M. Crookes. Le voici :
«Une dame écrivait automatiquement au moyen de la planchette. J'essayai de découvrir le moyen de prouver que ce qu'elle écrivait n'était pas dû à l'action inconsciente du cerveau. La planchette affirmait, comme elle le fait toujours, que quoiqu'elle fût mise en mouvement par la main et le bras de cette dame, l'intelligence qui la dirigeait était celle d'un être invisible, qui jouait du cerveau de la dame comme d'un instrument de musique, et faisait ainsi mouvoir ses muscles.
«Je dis alors à cette intelligence : Voyez-vous ce qu'il y a dans cette chambre ? - Oui, écrivit la planchette.- Voyez-vous ce journal et pouvez-vous le lire ? ajoutai-je en mettant mon doigt sur un numéro du Times qui était sur une table derrière moi, mais sans le regarder. - Oui, répondit la planchette. - Bien, dis-je, si vous pouvez le voir, écrivez maintenant le mot qui est couvert par mon doigt, et je vous croirai.
«La planchette commença par se mouvoir lentement et avec beaucoup de difficulté, elle écrivit le mot honneur ; je me tournai et je vis que le mot honneur était couvert par le bout de mon doigt.
«Lorsque je fis cette expérience, j'avais évité à dessein de regarder le journal, et il était impossible à la dame, l'eût-elle essayé, de voir un seul des mots imprimés, car elle était assise à une table, le journal était sur une autre table derrière moi, et mon corps lui en cachait la vue.»
Après des preuves aussi remarquables, si l'on ne croit pas à l'intervention des esprits, il faut y mettre de la mauvaise volonté. Le témoignage de savants tels que Crookes et Wallace est d'une certaine valeur, car on s'imagine difficilement ces grands hommes s'amusant à mystifier leurs contemporains, comme de vulgaires farceurs. D'un autre côté, leur savoir, leur profonde habitude de l'expérimentation, les mettent à l'abri de l'accusation de crédulité ; il faut donc en conclure qu'ils ont bien vu, que les faits sont bien réels, et que les esprits se manifestent aux hommes. Si nous ne craignions de surcharger le débat, nous citerions encore un grand nombre de faits, mais nous préférons renvoyer le lecteur désireux de s'instruire aux volumes publiés par ces savants.
Les manifestations spirites ne se bornent pas au mouvement des tables, l'expérience a révélé que les esprits agissent sur les hommes de différentes manières pour dicter les communications. Mais quel que soit leur mode d'opérer, il faut de toute nécessité qu'il se trouve parmi les assistants un individu qui puisse céder une partie de son fluide vital. Ceux qui ont cette propriété ont été nommés médiums.
De tous les phénomènes du spiritisme, le plus extraordinaire est sans contredit celui que l'on a appelé l'écriture directe.
Citons toujours M. Crookes.
«L'écriture directe est l'expression employée pour désigner l'écriture qui n'est produite par aucune des personnes présentes. J'ai obtenu maintes fois des mots et des messages, écrits sur des papiers marqués à mon chiffre particulier, et sous les conditions du contrôle le plus rigoureux. J'ai entendu dans l'obscurité le crayon se mouvoir sur le papier. Les précautions préalables prises par moi étaient si grandes que mon esprit était aussi bien convaincu que si j'avais vu les caractères se former. Mais comme l'espace ne me permet pas d'entrer dans tous les détails, je me bornerai à citer les cas où mes yeux, aussi bien que mes deux oreilles, ont été témoins de l'opération.
«Le premier fait que je citerai eut lieu, cela est vrai, dans une séance noire, mais le résultat n'en fut pas moins satisfaisant. J'étais assis près du médium Mlle Fox, il n'y avait d'autres personnes présentes que ma femme et une autre dame de nos parentes, et je tenais les deux mains du médium dans une des miennes pendant que ses pieds étaient sur les miens. Du papier était sur la table et ma main tenait librement un crayon.
«Une main lumineuse descendit du plafond de la chambre, et après avoir plané près de moi pendant quelques secondes, elle prit le crayon dans ma main, écrivit rapidement sur une feuille de papier, rejeta le crayon et ensuite s'éleva au-dessus de nos têtes et peu à peu se perdit dans l'obscurité.»
Ici plus de négation possible, plus de force ecténique ou psychique, car la main lumineuse qui écrit directement n'a besoin d'aucun intermédiaire. Ce n'est pas la première fois que ces faits se sont produits ; le baron de Guldenstubbé publia, en 1857, un livre curieux, intitulé : «La Réalité des esprits et le phénomène merveilleux de leur écriture directe.»
Dans ce volume, l'auteur raconte comment il fut tenté de faire cette expérience. Il était à la recherche d'une preuve palpable et intelligente en même temps de la réalité du monde des esprits, afin de démontrer l'existence de l'âme par des faits irréfutables. Il plaça donc un papier à lettre blanc et un crayon taillé dans une petite boîte fermant à clef et ne fit part de cet essai à personne. Pour plus de sûreté, il mit la clef dans sa poche. Il attendit douze jours en vain, ne remarquant aucun changement, mais quelle fut sa surprise lorsque, le 13 août 1856, il vit certains caractères sur le papier. Il n'en pouvait croire ses yeux, et répéta cette expérience dix fois dans la même journée, afin de se pénétrer qu'il n'était pas le jouet d'une illusion.
Il fit part à son ami, le comte d'Ourches, de la merveilleuse découverte ; ils essayèrent, et après diverses tentatives, le comte obtint une communication de sa mère morte une vingtaine d'années auparavant, l'écriture et la signature furent reconnues vraies. Ceci écarte toute interprétation somnambulique du phénomène.
On a souvent objecté que les messages reçus par ce procédé étaient pour la plupart insipides. M. Oxon, professeur à la faculté d'Oxford, répond : «Touchant l'intelligence de ces messages écrits en dehors des voies ordinaires, je ne veux pas établir si elle est ou n'est pas digne d'attention, d'après la matière de ces communications. Ce qui est écrit peut être aussi insensé qu'il plaît aux critiques de le dire. Si rien n'est plus niais, cela sert mon argument. Est-ce écrit, oui ou non ? Alors laissons de côté les absurdités de la pensée et ne tenons compte que du fait.»
C'est ce que nous faisons en remarquant toutefois que ces écrits sont loin d'être aussi ridicules qu'on a voulu le prétendre. A propos de l'écriture directe, M. Oxon, savant professeur qui l'a étudiée pendant cinq années, dit ce qui suit (je cite textuellement d'après l'auteur de Choses de l'autre Monde) :
«Il y a cinq ans que je suis familier avec le phénomène de psychographie (écriture des esprits) ; je l'ai observé dans un grand nombre de cas, soit avec des psychiques (médiums) connus du public, soit avec des dames et des gentlemen qui possédaient le pouvoir de produire ce résultat. Dans le cours de mes observations, j'ai vu des psychographies obtenues dans des boîtes fermées (écriture directe) sur un papier scrupuleusement marqué et placé dans une position spéciale d'où il n'était pas dérangé : sur un papier marqué et placé sur la table, dans l'ombre ; sur un papier placé sous mon coude, ou couvert par ma main ; sur un papier enfermé dans une enveloppe cachetée, et sur des ardoises attachées ensemble.
«J'ai vu des écritures produites aussi presque instantanément, et ces diverses expériences m'ont prouvé que ces écritures n'étaient pas toujours obtenues par le même procédé.
Tandis que l'on voit quelquefois le crayon écrire, comme s'il était conduit par une main, tantôt invisible, tantôt dirigeant ses mouvements d'une manière visible, d'autres fois l'écriture semble produite par un effort instantané, sans le secours d'un crayon.»
M. Oxon joint son témoignage à celui de Crookes, ces deux graves savants, opérant à l'insu l'un de l'autre, arrivent aux mêmes résultats. Ils affirment tous deux avoir VU des mains conduire le crayon et écrire des phrases. N'y a-t-il pas là de quoi faire réfléchir les plus incrédules ?
Produisons encore des témoignages de savants d'une autre partie de l'Europe. Plus nous montrerons le caractère universel des manifestations des esprits, plus elles auront de valeur aux yeux des hommes de bonne foi.
Voici M. Zöllner, en Allemagne, qui vient confirmer les expériences de ses confrères et qui appuie sa narration de l'autorité de noms comme ceux de Fechner, Weber et Scheibner. Nous empruntons encore cet extrait à M. Eugène Nus, qui l'a traduit directement de l'allemand.
«La soirée suivante (c'est Zöllner qui parle), vendredi 16 novembre 1876, je plaçai une table de jeu avec quatre chaises dans une chambre où Slade n'était pas encore entré. Après que Fechner, le professeur Braune, Slade et moi nous eûmes placé nos mains entrelacées sur la table, il y eut des coups frappés dans ce meuble ; j'avais acheté une ardoise que nous avions marquée ; un fragment de crayon fut déposé sur l'ardoise, que Slade plaça partiellement sous le bord de la table ; mon couteau fut subitement projeté à la hauteur d'un pied, et retomba ensuite sur la table... En répétant l'expérience on remarqua que le fragment de crayon dont la position fut assurée par une marque, restait à la même place sur l'ardoise. La double ardoise après avoir été nettoyée intérieurement et munie d'un double crayon, fut tenue par Slade sur la tête du professeur Braune ; le grattement fut entendu, et lorsque l'ardoise fut ouverte on y trouva plusieurs lignes d'écriture.
«Inopinément un lit placé dans la chambre, derrière un écran, se transporta à deux pieds du mur, poussant l'écran au-dehors. Slade était éloigné du lit auquel il tournait le dos, ses jambes étaient croisées : cela était visible pour tous.
«Une seconde séance s'organisa chez moi immédiatement avec le professeur Weber, Schreibner et moi ; un craquement violent, tel que la décharge d'une forte bouteille de Leyde, fut entendu ; en nous tournant, assez alarmés, l'écran mentionné ci-dessus se sépara en deux pièces ; les porte-vis en bois, épais d'un demi-pouce, étaient déchirés du haut en bas, sans aucun contact visible de Slade avec l'écran. Les morceaux cassés se trouvaient à cinq pieds du médium, qui tournait le dos à l'écran.
«Nous fûmes tous étonnés de cette manifestation d'une force mécanique, et je demandai à Slade ce que tout cela voulait dire. Il répondit que ce phénomène arrivait parfois en sa présence. Comme il parlait en restant debout, il plaça un morceau de touche sur la surface polie de la table, le couvrit avec une ardoise, justement achetée et nettoyée par moi, et en pressa la surface avec les cinq doigts ouverts de la main droite, pendant que sa main gauche restait au centre de la table. L'écriture commença sur la surface intérieure et, lorsque Slade la retourna, la sentence suivante était écrite en anglais : «Ce n'était pas notre intention de faire le mal ; pardonnez ce qui est arrivé.» La production de l'écriture dans ces conditions se faisait pendant que les deux mains de Slade demeuraient immobiles.»
Nous croyons que ce sont là des preuves suffisantes pour établir l'existence du fait de l'écriture directe. Or, pour écrire de cette manière, comme il est nécessaire que quelqu'un dirige le crayon et qu'aucune personne présente ne peut le faire, il faut bien que ce soient ceux que l'on a appelé les esprits. Ce qui prouve que cette induction est justifiée, c'est qu'à plusieurs reprises on a vu des mains lumineuses se servir du crayon pour tracer des messages : le doute n'est donc pas permis relativement à la cause de ces manifestations.
Mais alors, si les esprits ont pu agiter des guéridons, s'il leur a été possible d'écrire en faisant voir leurs mains, pourquoi ne se rendraient-ils pas visibles eux-mêmes ? Frappé de ces considérations, M. Crookes a été amené à constater des résultats splendides que nous analyserons dans le chapitre où nous traitons spécialement de la médiumnité.
On a dû remarquer que jusqu'ici nous nous sommes contenté de rapporter les expériences sans donner aucune explication, ne voulant pas en affaiblir la portée par des commentaires qui auraient pu donner lieu à la critique. Quelque étranges, bizarres, renversants que puissent paraître ces phénomènes, il y a une chose certaine, évidente, c'est qu'ils existent, puisqu'ils sont constatés par les sommités savantes de l'Angleterre, de l'Allemagne et de l'Amérique. De plus, dans aucun cas, on ne peut les attribuer à une intervention humaine, car toutes les précautions ont été prises pour écarter cette éventualité. Il faut nécessairement qu'ils soient produits par des individualités indépendantes des opérateurs, autrement dit par les esprits.
Dans un siècle de positivisme à outrance, comme le nôtre, de telles révélations étaient indispensables pour établir la croyance à l'immortalité de l'âme, car la foi ayant disparu avec les religions délaissées, il ne fallait pas moins que le fait brutal pour rétablir la vérité. Aujourd'hui elle s'impose à tous, et malgré les dénégations intéressées du matérialisme, elle triomphera de tous les obstacles amoncelés devant elle.
Les phénomènes spirites ont été si raillés qu'il est utile d'insister beaucoup sur les faits qui témoignent en leur faveur. Les hommes de science de notre pays, autant par tendance naturelle que par crainte du ridicule, n'osent se livrer à ces investigations. Nous n'avons pas la prétention de les convaincre en leur rapportant les travaux de leurs confrères du monde entier, mais si cette lecture pouvait leur inspirer le désir de vérifier ce qu'il y a de vrai ou de faux dans ces assertions, notre but serait atteint.
On a peint les adeptes du spiritisme sous un jour si absurde, que beaucoup de personnes se figurent que ce sont de simples malades ou des hallucinés. On a peine dans le public à se représenter un partisan d'Allan Kardec comme un bon bourgeois prosaïque ; cependant c'est ce qu'il est facile de constater en fréquentant les sociétés spirites. Au lieu de figures hâves, d'yeux brillants des lueurs de la fièvre, on voit des braves gens qui expérimentent tranquillement et discutent les résultats obtenus avec autant de sang-froid et de lucidité que dans tout autre milieu où l'on étudie. Le préjugé a un si puissant empire sur les hommes, même les plus distingués, qu'il ne faut pas s'étonner de rencontrer une vigoureuse opposition, lorsque l'on arrive les mains pleines d'idées en antagonisme avec les vues générales.
Voici une lettre d'un ami de Crookes qui décrit, parfaitement cet état psychologique.
«Je ne puis pas (répondait-il au célèbre chimiste) trouver de réponse raisonnable aux faits que vous exposez. Et c'est une chose curieuse que même moi, quelque tendance et quelque désir que j'aie de croire au spiritualisme, quelles que soient ma foi en votre puissance d'observation et votre parfaite sincérité, j'éprouve comme un besoin de voir par moi-même, et il m'est tout à fait pénible de penser que j'aie besoin de beaucoup de preuves. Je dis pénible, parce que je vois qu'il n'est pas de raisons qui puissent convaincre un homme, à moins que le fait ne se répète si souvent que l'impression semble devenir une habitude de l'esprit, une vieille connaissance, une chose connue depuis si longtemps qu'on ne peut plus en douter.
«C'est un des côtés curieux de l'esprit humain et les hommes de science le possèdent à un haut degré, plus que les autres, je crois. C'est pour cela que nous ne devons pas toujours dire qu'un homme est déloyal parce qu'il résiste longtemps à l'évidence ; le vieux mur des croyances doit être abattu à force de coups.»
C'est assez notre avis, et cette raison explique la persistance avec laquelle nous assemblons le plus grand nombre de documents possible, pour implanter la conviction chez les âmes sincères. Si l'on refuse de nous suivre dans toutes les conséquences que nous faisons découler de l'observation, au moins l'on ne pourra nier que nos croyances n'aient un sérieux point de départ.
Les spirites ne sont ni fanatiques, ni sectaires, ils ne veulent imposer à qui que ce soit les théories qu'ils ont déduites de l'impartiale appréciation des faits. Si, demain, on leur démontrait qu'ils sont dans l'erreur, immédiatement ils abandonneraient leur manière de voir actuelle pour se ranger du côté de la vérité, car leur méthode est avant tout le rationalisme. Mais jusqu'à ce moment ils considèrent leur doctrine comme la plus probable et continuent à l'enseigner.
1 Depuis l'époque où eurent lieu ces polémiques, la Société didactique de Londres a examiné la question. Le rapport qui a été fait sur ce sujet conclut en faveur des spirites. On le trouvera dans la cinquième partie.