MOYENS DE COMMUNICATION
Le Visiteur. - Vous avez parlé des moyens de communication ; pourriez-vous m'en donner une idée, car il est difficile de comprendre comment ces êtres invisibles peuvent converser avec nous ?
A. K. - Volontiers ; je le ferai brièvement
toutefois, parce que cela exigerait de trop longs développements
que vous trouverez notamment dans le Livre des Médiums. Mais le
peu que je vous en dirai suffira pour vous mettre sur la voie du
mécanisme et servira surtout à vous faire mieux comprendre
quelques-unes des expériences auxquelles vous pourriez assister
en attendant votre initiation complète.
L'existence de cette enveloppe semi-matérielle, ou du
périsprit, est déjà une clef qui explique beaucoup de choses
et montre la possibilité de certains phénomènes. Quant aux
moyens, ils sont très variés et dépendent, soit de la nature
plus ou moins épurée des Esprits, soit de dispositions
particulières aux personnes qui leur servent d'intermédiaires.
Le plus vulgaire, celui qu'on peut dire universel, consiste dans
l'intuition, c'est-à-dire dans les idées et les pensées qu'ils
nous suggèrent ; mais ce moyen est trop peu appréciable dans la
généralité des cas ; il en est d'autres plus matériels.
Certains esprits se communiquent par des coups frappés
répondant par oui et par non ou désignant les lettres qui
doivent former les mots. Les coups peuvent être obtenus par le
mouvement de bascule d'un objet, une table, par exemple, qui
frappe du pied. Souvent ils se font entendre dans la substance
même des corps, sans mouvement de ceux-ci. Ce mode primitif est
long et se prête difficilement à des développements d'une
certaine étendue ; l'écriture l'a remplacé ; on l'obtient de
différentes manières. On s'est d'abord servi, et l'on se sert
encore quelquefois, d'un objet mobile, comme une petite
planchette, une corbeille, une boite, à laquelle on adapte un
crayon dont la pointe pose sur le papier. La nature et la
substance de l'objet sont indifférentes. Le médium place les
mains sur cet objet auquel il transmet l'influence qu'il reçoit
de l'Esprit, et le crayon trace les caractères. Mais cet objet
n'est, à proprement parler, qu'un appendice de la main, une
sorte de porte crayon. On a reconnu depuis l'inutilité de cet
intermédiaire, qui n'est qu'une complication de rouage, dont le
seul mérite est de constater d'une manière plus matérielle
l'indépendance du médium ; ce dernier peut écrire en tenant
lui-même le crayon.
Les Esprits se manifestent encore et peuvent transmettre leurs
pensées par des sons articulés qui retentissent soit dans le
vague de l'air, soit dans l'oreille ; par la voix du médium, par
la vue, par des dessins, par la musique et par d'autres moyens
qu'une étude complète fait connaître. Les médiums ont pour
ces différents moyens des aptitudes spéciales qui tiennent à
leur organisation. Nous avons ainsi des médiums à effets
physiques, c'est-à-dire ceux qui sont aptes à produire des
phénomènes matériels, comme les coups frappés, le mouvement
des corps, etc. ; les médiums auditifs, parlants, voyants,
dessinateurs, musiciens, écrivains. Cette dernière faculté est
la plus commune, celle qui se développe le mieux par l'exercice
; c'est aussi la plus précieuse, parce que c'est celle qui
permet les communications les plus suivies et les plus rapides.
Le médium écrivain présente de nombreuses variétés dont deux
très distinctes. Pour les comprendre, il faut se rendre compte
de la manière dont s'opère le phénomène. L'Esprit agit
quelquefois directement sur la main du médium à laquelle il
donne une impulsion tout à fait indépendante de la volonté, et
sans que celui-ci ait conscience de ce qu'il écrit : c'est le
médium écrivain mécanique. D'autres fois, il agit sur le
cerveau ; sa pensée traverse celle du médium qui, alors, bien
qu'écrivant d'une manière involontaire, a une conscience plus
ou moins nette de ce qu'il obtient : c'est le médium intuitif ;
son rôle est exactement celui d'un truchement qui transmet une
pensée qui n'est pas la sienne et que pourtant il doit
comprendre. Quoique, dans ce cas, la pensée de l'Esprit et celle
du médium se confondent quelquefois, l'expérience apprend
facilement à les distinguer. On obtient des communications
également bonnes par ces deux genres de médiums ; l'avantage de
ceux qui sont mécaniques est surtout pour les personnes qui ne
sont pas encore convaincues. Du reste, la qualité essentielle
d'un médium est dans la nature des Esprits qui l'assistent et
dans les communications qu'il reçoit, bien plus que dans les
moyens d'exécution.
Le Visiteur. - Le procédé me paraît des plus simples. Est-ce qu'il me serait possible de l'expérimenter moi-même ?
A. K. - Parfaitement ; je dis même que si vous étiez doué de la faculté médianimique, ce serait le meilleur moyen de vous convaincre, car vous ne pourriez suspecter votre bonne foi. Seulement, je vous engage vivement à ne tenter aucun essai avant d'avoir étudié avec soin. Les communications d'outre-tombe sont entourées de plus de difficultés qu'on ne le pense ; elles ne sont pas exemptes d'inconvénients ni même sans dangers pour ceux qui manquent de l'expérience nécessaire. Il en est ici comme de celui qui voudrait faire des manipulations chimiques sans savoir la chimie : il courrait risque de se brûler les doigts.
Le Visiteur. - Y a-t-il quelque signe auquel on puisse reconnaître cette aptitude ?
A. K. - Jusqu'à présent on ne connaît aucun
diagnostic pour la médianimité ; tous ceux que l'on avait cru
reconnaître sont sans valeur ; essayer est le seul moyen de
savoir si l'on est doué. Du reste les médiums sont très
nombreux, et il est fort rare que, si l'on ne l'est pas soi
même, on n'en trouve pas dans quelque membre de sa famille ou
dans son entourage. Le sexe, l'âge et le tempérament sont
indifférents ; on en trouve parmi les hommes et parmi les
femmes, les enfants et les vieillards, les gens qui se portent
bien et ceux qui sont malades.
Si la médiumnité se traduisait par un signe extérieur
quelconque, cela impliquerait la permanence de la faculté,
tandis qu'elle est essentiellement mobile et fugitive. Sa cause
physique est dans l'assimilation plus ou moins facile des fluides
périspritaux de l'incarné et de l'Esprit désincarné ; sa
cause morale est dans la volonté de l'Esprit qui se communique
quand cela lui plaît, et non à notre volonté, d'où il
résulte 1° que tous les Esprits ne peuvent pas se communiquer
indifféremment par tous les médiums ; 2° que tout médium peut
perdre ou voir suspendre sa faculté au moment où il s'y attend
le moins. Ce peu de mots suffit pour vous montrer qu'il y a là
toute une étude à faire, pour pouvoir se rendre compte des
variations que présente ce phénomène.
Ce serait donc une erreur de croire que tout Esprit peut venir à
l'appel qui lui est fait, et se communiquer par le premier
médium venu. Pour qu'un Esprit se communique, il faut d'abord
qu'il lui convienne de le faire ; secondement que sa position ou
ses occupations le lui permettent ; troisièmement qu'il trouve
dans le médium un instrument propice, approprié à sa nature.
En principe, on peut communiquer avec les Esprits de tous les
ordres, avec ses parents et ses amis, avec les Esprits les plus
élevés comme avec les plus vulgaires ; mais indépendamment des
conditions individuelles de possibilité, ils viennent plus ou
moins volontiers selon les circonstances, et surtout en raison de
leur sympathie pour les personnes qui les appellent, et non sur
la demande du premier venu à qui il prendrait fantaisie de les
évoquer par un sentiment de curiosité ; en pareil cas ils ne se
seraient pas dérangés de leur vivant, ils ne le font pas
davantage après leur mort.
Les Esprits sérieux ne viennent que dans les réunions
sérieuses où ils sont appelés avec recueillement et pour des
motifs sérieux ; ils ne se prêtent à aucune question de
curiosité, d'épreuve, ou ayant un but futile, ni à aucune
expérience.
Les Esprits légers vont partout : mais dans les réunions
sérieuses, ils se taisent et se tiennent à l'écart pour
écouter, comme le feraient des écoliers dans une docte
assemblée. Dans les réunions frivoles, ils prennent leurs
ébats, s'amusent de tout, se moquent souvent des assistants, et
répondent à tout sans s'inquiéter de la vérité.
Les Esprits dits frappeurs, et généralement tous ceux qui
produisent des manifestations physiques, sont d'un ordre
inférieur, sans être essentiellement mauvais pour cela ; ils
ont une aptitude en quelque sorte spéciale pour les effets
matériels ; les Esprits supérieurs ne s'occupent pas plus de
ces choses, que nos savants de faire des tours de force ; s'ils
en ont besoin, ils se servent de ces Esprits, comme nous nous
servons de manoeuvres pour la grosse besogne.
Le Visiteur. - Avant de se livrer à une étude de longue haleine, certaines personnes voudraient avoir la certitude de ne pas perdre leur temps, certitude que leur donnerait un fait concluant, fût-il obtenu à prix d'argent.
A. K. - Chez celui qui ne veut pas se donner la peine
d'étudier, il y a plus de curiosité que d'envie réelle de
s'instruire ; or, les Esprits n'aiment pas plus les curieux que
je ne les aime moi-même. D'ailleurs la cupidité leur est
surtout antipathique, et ils ne se prêtent à rien de ce qui
peut la satisfaire ; il faudrait s'en faire une idée bien fausse
pour croire que des Esprits supérieurs, comme Fénelon, Bossuet,
Pascal, saint Augustin, par exemple, se mettent aux ordres du
premier venu à tant par heure. Non, Monsieur, les communications
d'outre-tombe sont une chose trop grave, et qui exige trop de
respect, pour servir d'exhibition.
Nous savons d'ailleurs que les phénomènes spirites ne marchent
pas comme les roues d'un mécanisme, puisqu'ils dépendent de la
volonté des Esprits ; en admettant même l'aptitude
médianimique, nul ne peut répondre de les obtenir à tel moment
donné. Si les incrédules sont portés à suspecter la bonne foi
des médiums en général, ce serait bien pis s'il y avait chez
eux un stimulant d'intérêt ; on pourrait à bon droit suspecter
le médium rétribué de donner le coup de pouce quand l'Esprit
ne donnerait pas, parce qu'il lui faudrait, avant tout, gagner
son argent. Outre que le désintéressement absolu est la
meilleure garantie de sincérité, il répugnerait à la raison
de faire venir à prix d'argent les Esprits des personnes qui
nous sont chères, en supposant qu'ils y consentissent, ce qui
est plus que douteux ; il n'y aurait, dans tous les cas, que des
Esprits de bas étage, peu scrupuleux sur les moyens, et qui ne
mériteraient aucune confiance ; et encore ceux-là mêmes se
font-ils souvent un malin plaisir de déjouer les combinaisons et
les calculs de leur cornac.
La nature de la faculté médianimique s'oppose donc à ce
qu'elle devienne une profession, puisqu'elle dépend d'une
volonté étrangère au médium et qu'elle peut lui faire défaut
au moment où il en aurait besoin, à moins qu'il n'y supplée
par l'adresse. Mais en admettant même une entière bonne foi,
dès lors que les phénomènes ne s'obtiennent pas à volonté,
ce serait en effet du hasard si dans la séance que l'on aurait
payée, se produisait précisément celui que l'on désirerait
voir pour se convaincre. Vous donneriez cent mille francs à un
médium, que vous ne lui feriez pas obtenir des Esprits ce que
ceux-ci ne veulent pas faire ; cet appât, qui dénaturerait
l'intention et la transformerait en un violent désir de lucre,
serait même au contraire un motif pour qu'il ne l'obtint pas. Si
l'on est bien pénétré de cette vérité, que l'affection et la
sympathie sont les plus puissants mobiles d'attraction pour les
Esprits, on comprendra qu'ils ne peuvent être sollicités par la
pensée de s'en servir pour gagner de l'argent.
Celui donc qui a besoin de faits pour se convaincre, doit prouver
aux Esprits sa bonne volonté par une observation sérieuse et
patiente, s'il veut en être secondé ; mais s'il est vrai que la
foi ne se commande pas, il ne l'est pas moins de dire qu'elle ne
s'achète pas.
Le Visiteur. - Je comprends ce raisonnement au point de vue moral ; cependant n'est-il pas juste que celui qui donne son temps dans l'intérêt de sa cause, en soit indemnisé, si cela l'empêche de travailler pour vivre ?
A. K. - D'abord est-ce bien dans l'intérêt de la
cause qu'il le fait, ou dans le sien propre ? S'il a quitté son
état, c'est qu'il n'en était pas satisfait, et qu'il espérait
gagner davantage ou avoir moins de peine à ce nouveau métier.
Il n'y a aucun dévouement à donner son temps quand c'est pour
en tirer profit. C'est absolument comme si l'on disait que c'est
dans l'intérêt de l'humanité que le boulanger fabrique du
pain. La médiumnité n'est pas la seule ressource ; sans elle,
ils seraient bien obligés de gagner leur vie autrement. Les
médiums vraiment sérieux et dévoués, lorsqu'ils n'ont pas une
existence indépendante, cherchent les moyens de vivre dans le
travail ordinaire, et ne quittent point leur état ; ils ne
consacrent à la médiumnité que le temps qu'ils peuvent y
donner sans préjudice ; s'ils prennent sur leurs loisirs ou leur
repos, c'est alors du dévouement dont on leur sait gré ; on les
en estime et respecte davantage.
La multiplicité des médiums dans les familles rend d'ailleurs
les médiums de profession inutiles, en supposant même qu'ils
offrissent toutes les garanties désirables, ce qui est fort
rare. Sans le discrédit qui s'est attaché à ce genre
d'exploitation, et auquel je me félicite d'avoir grandement
contribué, on aurait vu pulluler les médiums mercenaires et les
journaux se couvrir de leurs réclames ; or, pour un qui aurait
pu être loyal, il y aurait eu cent charlatans qui, abusant d'une
faculté réelle ou simulée, auraient fait le plus grand tort au
spiritisme. C'est donc comme principe, que tous ceux qui voient
dans le spiritisme autre chose qu'une exhibition de phénomènes
curieux, qui comprennent et ont à coeur la dignité, la
considération et les véritables intérêts de la doctrine,
réprouvent toute espèce de spéculation sous quelque forme ou
déguisement qu'elle se présente. Les médiums sérieux et
sincères, et je donne ce nom à ceux qui comprennent la
sainteté du mandat que Dieu leur a confié, évitent jusqu'aux
apparences de ce qui pourrait faire planer sur eux le moindre
soupçon de cupidité ; l'accusation de tirer un profit
quelconque de leur faculté, serait regardée par eux comme une
injure.
Convenez, Monsieur, tout incrédule que vous êtes, qu'un médium
dans ces conditions-là, ferait sur vous une tout autre
impression que si vous aviez payé votre place pour le voir
opérer, ou, lors même que vous eussiez obtenu une entrée de
faveur, si vous saviez qu'il y a derrière tout cela une question
d'argent ; convenez qu'en voyant le premier animé d'un
véritable sentiment religieux, stimulé par la foi seule, et non
par l'appât du gain, involontairement il commandera votre
respect, fût-il le plus humble prolétaire, et vous inspirera
plus de confiance, car vous n'aurez aucun motif de suspecter sa
loyauté. Eh bien ! Monsieur, vous en trouverez comme cela mille
pour un, et c'est une des causes qui ont puissamment contribué
au crédit et à la propagation de la doctrine, tandis que si
elle n'avait eu que des interprètes intéressés, elle ne
compterait pas le quart des adeptes qu'elle a aujourd'hui.
On le comprend si bien, que les médiums de profession sont
excessivement rares, en France du moins ; qu'ils sont inconnus
dans la plupart des centres spirites de province, où la
réputation de mercenaires suffirait pour les exclure de tous les
groupes sérieux, et où, pour eux, le métier ne serait pas
lucratif, en raison du discrédit dont il serait l'objet et de la
concurrence des médiums désintéressés qui se trouvent
partout.
Pour suppléer, soit à la faculté qui leur manque, soit à
l'insuffisance de la clientèle, il est de soi-disant médiums
qui cumulent, en pratiquant le jeu de cartes, le blanc d'oeuf, le
marc de café, etc., afin de satisfaire tous les goûts,
espérant par ce moyen, à défaut des spirites, attirer ceux qui
croient encore à ces stupidités. S'ils ne faisaient tort qu'à
eux-mêmes, le mal serait peu de chose ; mais il y a des gens
qui, sans aller plus loin, confondent l'abus et la réalité,
puis les malintentionnés qui en profitent pour dire que c'est
là en quoi consiste le spiritisme. Vous voyez donc, Monsieur,
que l'exploitation de la médiumnité conduisant à des abus
préjudiciables à la doctrine, le spiritisme sérieux a raison
de la désavouer, et de la répudier comme auxiliaire.
Le Visiteur. - Tout cela est très logique, j'en conviens, mais les médiums désintéressés ne sont pas à la disposition du premier venu, et l'on ne peut se permettre d'aller les déranger, tandis qu'on ne se fait pas scrupule d'aller chez celui qui se fait payer, parce qu'on sait ne pas lui faire perdre son temps. S'il y avait des médiums publics, ce serait une facilité pour les personnes qui veulent se convaincre.
A. K. - Mais si les médiums publics, comme vous les
appelez, n'offrent pas les garanties voulues, de quelle utilité
peuvent-ils être pour la conviction ? L'inconvénient que vous
signalez ne détruit pas ceux bien autrement graves que j'ai
développés. On irait chez eux plus par amusement ou pour se
faire dire la bonne aventure que pour s'instruire. Celui qui veut
sérieusement se convaincre en trouve tôt ou tard les moyens
s'il y met de la persévérance et de la bonne volonté ; mais ce
n'est pas parce qu'il aura assisté à une séance qu'il sera
convaincu, s'il n'y est préparé. S'il en emporte une impression
défavorable, il le sera moins en sortant qu'en entrant, et
peut-être sera-t-il dégoûté de poursuivre une étude où il
n'aura vu rien de sérieux ; c'est ce que prouve l'expérience.
Mais à côté des considérations morales, les progrès de la
science spirite nous montrent aujourd'hui une difficulté
matérielle, que l'on ne soupçonnait pas dans le principe, en
nous faisant mieux connaître les conditions dans lesquelles se
produisent les manifestations. Cette difficulté tient aux
affinités fluidiques qui doivent exister entre l'Esprit évoqué
et le médium.
Je mets de côté toute pensée de fraude et de supercherie, et
je suppose la plus entière loyauté. Pour qu'un médium de
profession puisse offrir toute sécurité aux personnes qui
viendraient le consulter, il faudrait qu'il possédât une
faculté permanente et universelle c'est-à-dire qu'il pût
communiquer facilement avec tout Esprit et à tout moment donné,
pour être constamment à la disposition du public, comme un
médecin, et satisfaire à toutes les évocations qui lui
seraient demandées ; or, c'est ce qui n'existe pas chez aucun
médium, pas plus chez ceux qui sont désintéressés que chez
les autres, et cela par des causes indépendantes de la volonté
de l'Esprit, mais que je ne puis développer ici, parce que je ne
vous fais pas un cours de spiritisme. Je me bornerai à dire que
les affinités fluidiques, qui sont le principe même des
facultés médianimiques, sont individuelles et non générales,
qu'elles peuvent exister du médium à tel Esprit et non à tel
autre ; que sans ces affinités, dont les nuances sont très
multiples les communications sont incomplètes, fausses ou
impossibles ; que le plus souvent l'assimilation fluidique entre
l'Esprit et le médium ne s'établit qu'à la longue, et qu'il
n'arrive pas une fois sur dix qu'elle soit complète dès la
première fois. La médiumnité, comme vous le voyez, Monsieur,
est subordonnée à des lois en quelque sorte organiques,
auxquelles tout médium est assujetti ; or, on ne peut nier que
ce ne soit un écueil pour la médiumnité de profession, puisque
la possibilité et l'exactitude des communications tiennent à
des causes indépendantes du médium et de l'Esprit (Voir ci
après, chap. II, paragraphe des médiums.)
Si donc nous repoussons l'exploitation de la médiumnité, ce
n'est ni par caprice, ni par esprit de système, mais parce que
les principes mêmes qui régissent les rapports avec le monde
invisible, s'opposent à la régularité et à la précision
nécessaires pour celui qui se met à la disposition du public,
et que le désir de satisfaire une clientèle payante conduit à
l'abus. Je n'en conclus pas que tous les médiums intéressés
sont des charlatans, mais je dis que l'appât du gain pousse au
charlatanisme et autorise le soupçon de supercherie, s'il ne le
justifie pas. Celui qui veut se convaincre doit avant tout
chercher les éléments de sincérité.
Le Visiteur. - Dès l'instant que la médiumnité consiste à se mettre en rapport avec les puissances occultes, il me semble que médiums et sorciers sont à peu près des synonymes.
A. K. - Il y a eu à toutes les époques des médiums
naturels et inconscients qui, par cela seul qu'ils produisaient
des phénomènes insolites et incompris, ont été qualifiés de
sorciers et accusés de pactiser avec le diable ; il en a été
de même de la plupart des savants qui possédaient des
connaissances au-dessus du vulgaire. L'ignorance s'est exagéré
leur pouvoir, et eux-mêmes ont souvent abusé de la crédulité
publique en l'exploitant ; de là la juste réprobation dont ils
ont été l'objet. Il suffit de comparer le pouvoir attribué aux
sorciers et la faculté des médiums véritables pour en faire la
différence, mais la plupart des critiques ne se donnent pas
cette peine. Le spiritisme, loin de ressusciter la sorcellerie,
la détruit à jamais en la dépouillant de sa prétendue
puissance surnaturelle de ses formules, grimoires, amulettes et
talismans et en réduisant les phénomènes possibles à leur
juste valeur, sans sortir des lois naturelles.
L'assimilation que certaines personnes prétendent établir,
vient de l'erreur où elles sont que les Esprits sont aux ordres
des médiums ; il répugne à leur raison de croire qu'il puisse
dépendre du premier venu de faire venir à sa volonté et à
point nommé l'Esprit de tel ou tel personnage plus ou moins
illustre ; en cela ils sont parfaitement dans le vrai, et si,
avant de jeter la pierre au spiritisme, ils avaient pris la peine
de s'en rendre compte, ils sauraient qu'il dit positivement que
les Esprits ne sont aux caprices de personne, et que nul ne peut
les faire venir à sa volonté et contre leur gré ; d'où il
suit que les médiums ne sont pas des sorciers.
Le Visiteur. - D'après cela, tous les effets que certains médiums accrédités obtiennent à volonté et en public, ne seraient, selon vous, que de la jonglerie ?
A. K. - Je ne le dis pas d'une manière absolue. De
tels phénomènes ne sont pas impossibles, parce qu'il y a des
Esprits de bas étage qui peuvent se prêter à ces sortes de
choses, et qui s'en amusent, ayant peut-être déjà fait le
métier de jongleurs de leur vivant, et aussi des médiums
spécialement propres à ce genre de manifestations ; mais le
plus vulgaire bon sens repousse l'idée que des Esprits tant soit
peu élevés viennent faire la parade et des tours de force pour
amuser les curieux.
L'obtention de ces phénomènes à volonté, et surtout en
public, est toujours suspecte ; dans ce cas la médiumnité et la
prestidigitation se touchent de si près qu'il est souvent bien
difficile de les distinguer ; avant d'y voir l'action des
Esprits, il faut de minutieuses observations, et tenir compte
soit du caractère et des antécédents du médium, soit d'une
foule de circonstances qu'une étude approfondie de la théorie
des phénomènes spirites peut seule faire apprécier. Il est à
remarquer que ce genre de médiumnité, lorsque médiumnité il y
a, est limité à la production du même phénomène, à quelques
variantes près, ce qui n'est pas de nature à dissiper les
doutes. Un désintéressement absolu serait la meilleure garantie
de sincérité.
Quoi qu'il en soit de la réalité de ces phénomènes, comme
effets médianimiques, ils ont un bon résultat, en ce qu'ils
donnent du retentissement à l'idée spirite. La controverse qui
s'établit à ce sujet provoque chez beaucoup de personnes une
étude plus approfondie. Ce n'est certes pas là qu'il faut aller
puiser des instructions sérieuses de spiritisme, ni la
philosophie de la doctrine, mais c'est un moyen de forcer
l'attention des indifférents et d'obliger les plus
récalcitrants d'en parler.
Le Visiteur. - Vous parlez d'Esprits, bons ou mauvais, sérieux ou légers ; je ne m'explique pas, je l'avoue, cette différence ; il me semble qu'en quittant leur enveloppe corporelle, ils doivent se dépouiller des imperfections inhérentes à la matière ; que la lumière doit se faire pour eux sur toutes les vérités qui nous sont cachées, et qu'ils doivent être affranchis des préjugés terrestres.
A. K. - Sans doute ils sont débarrassés des imperfections physiques, c'est-à-dire des maladies et des infirmités du corps ; mais les imperfections morales tiennent à l'Esprit et non au corps. Dans le nombre il en est qui sont plus ou moins avancés intellectuellement et moralement. Ce serait une erreur de croire que les Esprits en quittant leur corps matériel, sont subitement frappés de la lumière de vérité. Croyez-vous, par exemple, que lorsque vous mourrez, il n'y aura aucune différence entre votre Esprit et celui d'un sauvage ou d'un malfaiteur ? S'il en était ainsi, à quoi vous servirait d'avoir travaillé à votre instruction et à votre amélioration, puisqu'un vaurien serait autant que vous après la mort ? Le progrès des Esprits ne s'accomplit que graduellement, et quelquefois bien lentement. Dans le nombre, et cela dépend de leur épuration il y en a qui voient les choses à un point de vue plus juste que de leur vivant ; d'autres au contraire ont encore les mêmes passions, les mêmes préjugés et les mêmes erreurs, jusqu'à ce que le temps et de nouvelles épreuves leur aient permis de s'éclairer. Notez bien que ceci est un résultat d'expérience, car c'est ainsi qu'ils se présentent à nous dans leurs communications. C'est donc un principe élémentaire du spiritisme que, parmi les Esprits, il y en a de tous les degrés d'intelligence et de moralité.
Le Visiteur. - Mais alors pourquoi les Esprits ne sont-ils pas tous parfaits ? Dieu en a donc créé de toutes sortes de catégories.
A. K. - Autant vaudrait demander pourquoi tous les
élèves d'un collège ne sont pas en philosophie. Les Esprits
ont tous la même origine et la même destinée. Les différences
qui existent entre eux ne constituent pas des espèces
distinctes, mais des degrés divers d'avancement.
Les Esprits ne sont pas parfaits, parce que ce sont les âmes des
hommes, et que les hommes ne sont pas parfaits ; par la même
raison, les hommes ne sont pas parfaits, parce qu'ils sont
l'incarnation d'Esprits plus ou moins avancés. Le monde corporel
et le monde spirituel se déversent incessamment l'un dans
l'autre ; par la mort du corps, le monde corporel fournit son
contingent au monde spirituel ; par les naissances, le monde
spirituel alimente l'humanité. A chaque nouvelle existence,
l'Esprit accomplit un progrès plus ou moins grand, et lorsqu'il
a acquis sur la terre la somme de connaissances et l'élévation
morale que comporte notre globe, il le quitte pour passer dans un
monde plus élevé, où il apprend de nouvelles choses.
Les Esprits qui forment la population invisible de la terre sont
en quelque sorte le reflet du monde corporel ; on y retrouve les
mêmes vices et les mêmes vertus ; il y a parmi eux des savants,
des ignorants et de faux savants, des sages et des étourdis, des
philosophes, des raisonneurs, des systématiques ; tous ne
s'étant pas défaits de leurs préjugés, toutes les opinions
politiques et religieuses y ont leurs représentants ; chacun
parle selon ses idées, et ce qu'ils disent n'est souvent que
leur opinion personnelle ; voilà pourquoi il ne faut pas croire
aveuglément tout ce que disent les Esprits.
Le Visiteur. - S'il en est ainsi, j'aperçois une immense difficulté ; dans ce conflit d'opinions diverses, comment distinguer l'erreur de la vérité ? Je ne vois pas que les Esprits nous servent à grand chose, et ce que nous avons à gagner à leur conversation.
A. K. - Les Esprits ne serviraient-ils qu'à nous
apprendre qu'il y a des Esprits, et que ces Esprits sont les
âmes des hommes, ne serait-ce pas d'une grande importance pour
tous ceux qui doutent s'ils ont une âme, et qui ne savent ce
qu'ils deviendront après la mort ?
Comme toutes les sciences philosophiques, celle-ci exige de
longues études et de minutieuses observations ; c'est alors
qu'on apprend à distinguer la vérité de l'imposture, et les
moyens d'éloigner les Esprits trompeurs. Au-dessus de cette
tourbe de bas étage, il y a les Esprits supérieurs, qui n'ont
en vue que le bien et qui ont pour mission de conduire les hommes
dans la bonne voie ; c'est à nous de savoir les apprécier et
les comprendre. Ceux-là nous apprennent de grandes choses ; mais
ne croyez pas que l'étude des autres soit inutile ; pour
connaître un peuple il faut le voir sous toutes ses faces.
Vous en êtes vous-même la preuve ; vous pensiez qu'il suffisait
aux Esprits de quitter leur enveloppe corporelle pour se
dépouiller de leurs imperfections ; or, ce sont les
communications avec eux qui nous ont appris le contraire, et nous
ont fait connaître le véritable état du monde spirituel, qui
nous intéresse tous au plus haut point, puisque tous nous devons
y aller. Quant aux erreurs qui peuvent naître de la divergence
d'opinion parmi les Esprits, elles disparaissent d'elles-mêmes,
à mesure que l'on apprend à distinguer les bons des mauvais,
les savants des ignorants, les sincères des hypocrites,
absolument comme parmi nous ; alors le bon sens fait justice des
fausses doctrines.
Le Visiteur. - Mon observation subsiste toujours au point de vue des questions scientifiques et autres que l'on peut soumettre aux Esprits. La divergence de leurs opinions sur les théories qui divisent les savants nous laisse dans l'incertitude. Je comprends que tous n'étant pas instruits au même degré, ils ne peuvent tout savoir ; alors, de quel poids peut être pour nous l'opinion de ceux qui savent, si nous ne pouvons vérifier qui a tort ou raison ? Autant vaut s'adresser aux hommes qu'aux Esprits.
A. K. - Cette réflexion est encore une suite de
l'ignorance du véritable caractère du spiritisme. Celui qui
croit y trouver un moyen facile de tout savoir, de tout
découvrir, est dans une grande erreur. Les Esprits ne sont point
chargés de venir nous apporter la science toute faite ; ce
serait en effet par trop commode si nous n'avions qu'à demander
pour être servis, et nous épargner ainsi la peine des
recherches. Dieu veut que nous travaillions, que notre pensée
s'exerce : nous n'acquérons la science qu'à ce prix ; les
Esprits ne viennent pas nous affranchir de cette nécessité ;
ils sont ce qu'ils sont ; le spiritisme a pour objet de les
étudier, afin de savoir par analogie ce que nous serons un jour,
et non de nous faire connaître ce qui doit nous être caché, ou
nous révéler les choses avant le temps.
Les Esprits ne sont pas non plus des diseurs de bonne aventure,
et quiconque se flatte d'en obtenir certains secrets se prépare
d'étranges déceptions de la part des Esprits moqueurs ; en un
mot, le spiritisme est une science d'observation et non une
science de divination ou de spéculation. Nous l'étudions pour
connaître l'état des individualités du monde invisible, les
rapports qui existent entre elles et nous leur action occulte sur
le monde visible, et non pour l'utilité matérielle que nous en
pouvons tirer. A ce point de vue, il n'est aucun Esprit dont
l'étude soit inutile ; nous apprenons quelque chose avec tous ;
leurs imperfections, leurs défauts, leur insuffisance, leur
ignorance même sont autant de sujets d'observation qui nous
initient à la nature intime de ce monde ; et quand ce ne sont
pas eux qui nous instruisent par leur enseignement, c'est nous
qui nous instruisons en les étudiant, comme nous le faisons
quand nous observons les moeurs d'un peuple que nous ne
connaissons pas.
Quant aux Esprits éclairés, ils nous apprennent beaucoup, mais
dans la limite des choses possibles et il ne faut pas leur
demander ce qu'ils ne peuvent pas ou ne doivent pas nous
révéler ; il faut se contenter de ce qu'ils nous disent ;
vouloir aller au-delà, c'est s'exposer aux mystifications des
Esprits légers toujours prêts à répondre à tout.
L'expérience nous apprend à juger le degré de confiance que
nous pouvons leur accorder.
UTILITE PRATIQUE DES MANIFESTATIONS
Le Visiteur. - Je suppose que la chose soit constatée, et le spiritisme reconnu comme une réalité ; quelle peut en être l'utilité pratique ? On s'en est passé jusqu'à présent, il me semble qu'on pourrait bien encore s'en passer et vivre fort tranquillement sans cela.
A. K. - On pourrait en dire autant des chemins de fer
et de la vapeur sans lesquels on vivait très bien.
Si vous entendez par utilité pratique, les moyens de bien vivre,
de faire fortune, de connaître l'avenir, de découvrir des mines
de charbon ou des trésors cachés, de recouvrer des héritages,
de s'épargner le travail des recherches, il ne sert à rien ; il
ne peut faire hausser ni baisser la Bourse, ni être mis en
actions, ni même donner des inventions toutes faites, prêtes à
être exploitées. A ce point de vue, combien de sciences
seraient inutiles ! Combien y en a-t-il qui sont sans avantages,
commercialement parlant ! Les hommes se portaient tout aussi bien
avant la découverte de toutes les nouvelles planètes ; avant
qu'on ne sût que c'est la terre qui tourne et non le soleil,
avant qu'on n'eût calculé les éclipses ; avant qu'on ne
connût le monde microscopique et cent autres choses. Le paysan,
pour vivre et faire pousser son blé, n'a pas besoin de savoir ce
que c'est qu'une comète. Pourquoi donc les savants se
livrent-ils à ces recherches, et qui oserait dire qu'ils perdent
leur temps ?
Tout ce qui sert à soulever un coin du voile aide au
développement de l'intelligence, élargit le cercle des idées
en nous faisant pénétrer plus avant dans les lois de la nature.
Or, le monde des Esprits existe en vertu d'une de ces lois de la
nature ; le spiritisme nous fait connaître cette loi ; il nous
apprend l'influence que le monde invisible exerce sur le monde
visible, et les rapports qui existent entre eux, comme
l'astronomie nous apprend les rapports des astres avec la terre ;
il nous le montre comme une des forces qui régissent l'univers
et contribuent au maintien de l'harmonie générale. Supposons
que là se borne son utilité, ne serait-ce pas déjà beaucoup
que la révélation d'une pareille puissance, abstraction faite
de toute doctrine morale ? N'est-ce donc rien que tout un monde
nouveau qui se révèle à nous, si surtout la connaissance de ce
monde nous met sur la voie d'une foule de problèmes insolubles
jusqu'alors ; si elle nous initie aux mystères d'outre-tombe,
qui nous intéressent bien quelque peu, puisque tous, tant que
nous sommes, devons tôt ou tard franchir le pas fatal ? Mais il
est une autre utilité plus positive du spiritisme, c'est
l'influence morale qu'il exerce par la force même des choses. Le
spiritisme est la preuve patente de l'existence de l'âme, de son
individualité après la mort, de son immortalité, de son sort
à venir ; c'est donc la destruction du matérialisme, non par le
raisonnement, mais par les faits.
Il ne faut demander au spiritisme que ce qu'il peut donner, et ne
pas y chercher au-delà de son but providentiel. Avant les
progrès sérieux de l'astronomie on croyait à l'astrologie.
Serait-il raisonnable de prétendre que l'astronomie ne sert à
rien, parce qu'on ne peut plus trouver dans l'influence des
astres le pronostic de sa destinée ? De même que l'astronomie a
détrôné les astrologues, le spiritisme détrône les devins,
les sorciers et les diseurs de bonne aventure. Il est à la magie
ce que l'astronomie est à l'astrologie, la chimie à l'alchimie.
Le Visiteur. - Certaines personnes regardent les idées spirites comme de nature à troubler les facultés mentales, et c'est à ce titre qu'elles trouveraient prudent d'en arrêter l'essor.
A. K. - Vous connaissez le proverbe : Quand on veut
tuer un chien, on dit qu'il est enragé. Il n'est donc pas
étonnant que les ennemis du spiritisme cherchent à s'appuyer
sur tous les prétextes ; celui-là leur a paru propre à
éveiller les craintes et les susceptibilités, ils l'ont saisi
avec empressement ; mais il tombe devant le plus léger examen.
Ecoutez donc sur cette folie le raisonnement d'un fou.
Toutes les grandes préoccupations de l'esprit peuvent
occasionner la folie ; les sciences, les arts, la religion même
fournissent leur contingent. La folie a pour principe un état
pathologique du cerveau, instrument de la pensée : l'instrument
étant désorganisé, la pensée est altérée. La folie est donc
un effet consécutif, dont la cause première est une
prédisposition organique qui rend le cerveau plus ou moins
accessible à certaines impressions ; et cela est si vrai que
vous avez des gens qui pensent énormément et qui ne deviennent
pas fous ; d'autres qui le deviennent sous l'empire de la moindre
surexcitation. Etant donnée une prédisposition à la folie,
celle-ci prendra le caractère de la préoccupation principale,
qui devient alors une idée fixe. Cette idée fixe pourra être
celle des Esprits chez celui qui s'en est occupé, comme elle
pourra être celle de Dieu, des anges, du diable, de la fortune,
de la puissance, d'un art, d'une science, de la maternité, d'un
système politique ou social. Il est probable que le fou
religieux fût devenu un fou spirite, si le spiritisme eût été
sa préoccupation dominante. Un journal a dit, il est vrai, que,
dans une seule localité d'Amérique, dont je ne me rappelle plus
le nom, on comptait quatre mille cas de folie spirite ; mais on
sait que, chez nos adversaires. c'est une idée fixe de se croire
seuls doués de raison, et c'est là une manie comme une autre. A
leurs yeux, nous sommes tous dignes des Petites-Maisons, et, par
conséquent, les quatre mille spirites de la localité en
question devaient être autant de fous. A ce compte, les Etats
Unis en ont des centaines de mille, et tous les autres pays du
monde un bien plus grand nombre. Cette mauvaise plaisanterie
commence à s'user depuis qu'on voit cette folie gagner les rangs
les plus élevés de la société. On fait grand bruit d'un
exemple connu, de Victor Hennequin ; mais on oublie qu'avant de
s'occuper des Esprits, il avait déjà donné des preuves
d'excentricité dans les idées ; si les tables tournantes ne
fussent pas venues, qui, selon un jeu de mots bien spirituel de
nos adversaires, lui ont fait tourner la tête, sa folie eût
pris un autre cours.
Je dis donc que le spiritisme n'a aucun privilège sous ce
rapport ; mais je vais plus loin : je dis que, bien compris,
c'est un préservatif contre la folie et le suicide.
Parmi les causes les plus nombreuses de surexcitation
cérébrale, il faut compter les déceptions, les malheurs, les
affections contrariées, qui sont en même temps les causes les
plus fréquentes de suicide. Or, le vrai spirite voit les choses
de ce monde d'un point de vue si élevé, que les tribulations ne
sont pour lui que les incidents désagréables d'un voyage. Ce
qui, chez un autre, produirait une violente émotion, l'affecte
médiocrement. Il sait d'ailleurs que les chagrins de la vie sont
des épreuves qui servent à son avancement s'il les subit sans
murmure, parce qu'il sera récompensé selon le courage avec
lequel il les aura supportées. Ses convictions lui donnent donc
une résignation qui le préserve du désespoir, et, par
conséquent, d'une cause incessante de folie et de suicide. Il
sait en outre, par le spectacle que lui donnent les
communications avec les Esprits, le sort déplorable de ceux qui
abrègent volontairement leurs jours, et ce tableau est bien fait
pour le faire réfléchir ; aussi le nombre de ceux qui ont été
arrêtés sur cette pente funeste est-il considérable. C'est là
un des résultats du spiritisme.
Au nombre des causes de folie, il faut encore placer la frayeur,
et celle du diable a dérangé plus d'un cerveau. Sait-on le
nombre de victimes que l'on a faites en frappant de faibles
imaginations avec ce tableau que l'on s'ingénie à rendre plus
effrayant par de hideux détails ? Le diable, dit on, n'effraie
que les petits enfants ; c'est un frein pour les rendre sages ;
oui, comme Croque-mitaine et le loup-garou, et quand ils n'en ont
plus peur, ils sont pires qu'avant ; et pour ce beau résultat,
on ne compte pas le nombre des épilepsies causées par
l'ébranlement d'un cerveau délicat.
Il ne faut pas confondre la folie pathologique avec l'obsession ;
celle-ci ne vient d'aucune lésion cérébrale, mais de la
subjugation que des Esprits malfaisants exercent sur certains
individus, et a parfois les apparences de la folie proprement
dite. Cette affection, qui est très fréquente, est
indépendante de toute croyance au spiritisme, et a existé de
tout temps. Dans ce cas, la médication ordinaire est impuissante
et même nuisible. Le spiritisme, en faisant connaître cette
nouvelle cause de trouble dans l'économie, donne en même temps
le seul moyen d'en triompher, en agissant, non sur le malade,
mais sur l'Esprit obsesseur. Il est le remède et non la cause du
mal.
Le Visiteur. - Je ne m'explique pas comment l'homme peut profiter de l'expérience acquise dans ses existences antérieures, s'il n'en a pas le souvenir ; car, du moment qu'il ne s'en souvient pas, chaque existence est pour lui comme si elle était la première, et c'est ainsi toujours à recommencer. Supposons que chaque jour, à notre réveil, nous perdions la mémoire de ce que nous avons fait la veille, nous ne serions pas plus avancés à soixante-dix ans qu'à dix ans ; tandis que nous rappelant nos fautes, nos maladresses et les punitions que nous avons encourues, nous tâcherions de ne pas recommencer. Pour me servir de la comparaison que vous avez faite de l'homme sur la terre avec l'élève d'un collège, je ne comprendrais pas que cet élève pût profiter des leçons de Quatrième, par exemple, s'il ne se souvient pas de ce qu'il a appris en Cinquième. Ces solutions de continuité, dans la vie de l'Esprit, interrompent toutes les relations et en font, en quelque sorte, un être nouveau ; d'où l'on peut dire que nos pensées meurent à chaque existence, pour renaître sans conscience de ce que l'on a été ; c'est une sorte de néant.
A. K. - De questions en questions vous me conduiriez
à vous faire un cours complet de spiritisme ; toutes les
objections que vous faites sont naturelles chez celui qui ne sait
rien, tandis qu'il trouve, dans une étude sérieuse, une
solution bien plus explicite que celle que je puis donner dans
une explication sommaire qui, elle-même, doit provoquer
incessamment de nouvelles questions. Tout s'enchaîne dans le
spiritisme, et quand on suit l'ensemble, on voit que les
principes découlent les uns des autres, se servant mutuellement
d'appui ; et alors, ce qui paraissait une anomalie contraire à
la justice et à la sagesse de Dieu, semble tout naturel et vient
confirmer cette justice et cette sagesse.
Tel est le problème de l'oubli du passé qui se rattache à
d'autres questions d'une égale importance, c'est pourquoi je ne
ferai que l'effleurer ici.
Si à chaque existence un voile est jeté sur le passé, l'Esprit
ne perd rien de ce qu'il a acquis dans le passé : il n'oublie
que la manière dont il l'a acquis. Pour me servir de la
comparaison de l'écolier, je dirai que : peu importe pour lui de
savoir où, comment, et sous quels professeurs il a fait sa
Cinquième, si, en arrivant en Quatrième, il sait ce que l'on
apprend en Cinquième. Que lui importe de savoir qu'il a été
fustigé pour sa paresse et son insubordination, si ces
châtiments l'ont rendu laborieux et docile ? C'est ainsi qu'en
se réincarnant, l'homme apporte, par intuition et comme idées
innées, ce qu'il a acquis en science et en moralité. Je dis en
moralité, car si, pendant une existence, il s'est amélioré,
s'il a profité des leçons de l'expérience, quand il reviendra,
il sera instinctivement meilleur ; son Esprit, mûri à l'école
de la souffrance et par le travail, aura plus de solidité ; loin
d'avoir tout à recommencer, il possède un fonds de plus en plus
riche, sur lequel il s'appuie pour acquérir davantage.
La seconde partie de votre objection, touchant le néant de la
pensée, n'est pas mieux fondée, car cet oubli n'a lieu que
pendant la vie corporelle ; en la quittant, l'Esprit recouvre le
souvenir de son passé ; il peut alors juger du chemin qu'il a
fait, et de ce qui lui reste encore à faire ; de sorte qu'il n'y
a pas solution de continuité dans la vie spirituelle, qui est la
vie normale de l'Esprit.
L'oubli temporaire est un bienfait de la Providence ;
l'expérience est souvent acquise par de rudes épreuves et de
terribles expiations, dont le souvenir serait très pénible et
viendrait s'ajouter aux angoisses des tribulations de la vie
présente. Si les souffrances de la vie paraissent longues, que
serait-ce donc si leur durée s'augmentait du souvenir des
souffrances du passé ? Vous, par exemple, Monsieur, vous êtes
aujourd'hui un honnête homme, mais vous le devez peut-être aux
rudes châtiments que vous avez subis pour des méfaits qui
maintenant répugneraient à votre conscience ; vous serait-il
agréable de vous souvenir d'avoir été pendu pour cela ? La
honte ne vous poursuivrait-elle pas en songeant que le monde sait
le mal que vous avez fait ? Que vous importe ce que vous avez pu
faire et ce que vous avez pu endurer pour l'expier, si maintenant
vous êtes un homme estimable ! Aux yeux du monde, vous êtes un
homme nouveau, et aux yeux de Dieu un Esprit réhabilité.
Délivré du souvenir d'un passé importun, vous agissez avec
plus de liberté ; c'est pour vous un nouveau point de départ ;
vos dettes antérieures sont payées, c'est à vous de n'en pas
contracter de nouvelles.
Que d'hommes voudraient ainsi pouvoir, pendant la vie, jeter un
voile sur leurs premières années ! Combien se sont dit, sur la
fin de leur carrière : «Si c'était à recommencer, je ne
ferais pas ce que j'ai fait !» Eh bien ! ce qu'ils ne peuvent
pas refaire dans cette vie, ils le referont dans une autre ; dans
une nouvelle existence leur Esprit apportera, à l'état
d'intuition, les bonnes résolutions qu'ils auront prises. C'est
ainsi que s'accomplit graduellement le progrès de l'humanité.
Supposons encore, ce qui est un cas très ordinaire, que, dans
vos relations, dans votre intérieur même, se trouve un être
dont vous avez eu à vous plaindre, qui peut-être vous a ruiné
ou déshonoré dans une autre existence, et qui, Esprit
repentant, vienne s'incarner au milieu de vous, s'unir à vous
par des liens de la famille, pour réparer ses torts envers vous
par son dévouement et son affection, ne seriez-vous pas
mutuellement dans la plus fausse position si, tous les deux, vous
vous souveniez de vos inimitiés ? Au lieu de s'apaiser, les
haines s'éterniseraient.
Concluez de là que le souvenir du passé porterait la
perturbation dans les rapports sociaux, et serait une entrave au
progrès. En voulez-vous une preuve actuelle ? Qu'un homme
condamné aux galères prenne la ferme résolution de devenir
honnête ; qu'advient-il à sa sortie ? il est repoussé de la
société, et cette répulsion le replonge presque toujours dans
le vice. Supposons, au contraire, que tout le monde ignore ses
antécédents, il sera bien accueilli ; si lui-même pouvait les
oublier, il n'en serait pas moins honnête et pourrait marcher la
tête levée, au lieu de la courber sous la honte du souvenir.
Ceci concorde parfaitement avec la doctrine des Esprits sur les
mondes supérieurs au notre. Dans ces mondes où ne règne que le
bien, le souvenir du passé n'a rien de pénible ; voilà
pourquoi on s'y souvient de son existence précédente comme nous
nous souvenons de ce que nous avons fait la veille. Quant au
séjour qu'on a pu faire dans les mondes inférieurs, ce n'est
plus qu'un mauvais rêve.
Le Visiteur. - Je conviens, Monsieur, qu'au point de vue philosophique la doctrine spirite est parfaitement rationnelle ; mais il reste toujours la question des manifestations, qui ne peut être résolue que par des faits ; or, c'est la réalité de ces faits que beaucoup de personnes contestent ; vous ne devez pas trouver étonnant le désir qu'on exprime d'en être témoin.
A. K. - Je le trouve très naturel ; seulement, comme
je cherche à ce qu'ils profitent, j'explique dans quelles
conditions il convient de se placer pour les mieux observer, et
surtout pour les comprendre ; or, celui qui ne veut pas se placer
dans ces conditions, c'est qu'il n'y a pas chez lui envie
sérieuse de s'éclairer, et alors il est inutile de perdre son
temps avec lui.
Vous conviendrez aussi, Monsieur, qu'il serait étrange qu'une
philosophie rationnelle fût sortie de faits illusoires et
controuvés. En bonne logique, la réalité de l'effet implique
la réalité de la cause ; si l'un est vrai, l'autre ne peut
être fausse, car là où il n'y aurait point d'arbre, on ne
saurait récolter des fruits.
Tout le monde, il est vrai, n'a pu constater les faits, parce que
tout le monde ne s'est pas mis dans les conditions voulues pour
les observer et n'y a pas apporté la patience et la
persévérance nécessaires. Mais il en est ici comme dans toutes
les sciences : ce que les uns ne font pas, d'autres le font ;
tous les jours, on accepte le résultat des calculs
astronomiques, sans les avoir faits soi-même. Quoi qu'il en
soit, si vous trouvez la philosophie bonne, vous pouvez
l'accepter comme vous en accepteriez une autre, tout en
réservant votre opinion sur les voies et moyens qui y ont
conduit, ou, tout au moins, en n'admettant ceux-ci qu'à titre
d'hypothèse jusqu'à plus ample constatation.
Les éléments de conviction ne sont pas les mêmes pour tout le
monde ; ce qui convainc les uns ne fait aucune impression sur
d'autres : c'est pourquoi il faut un peu de tout. Mais c'est une
erreur de croire que les expériences physiques soient le seul
moyen de convaincre. J'en ai vu que les phénomènes les plus
remarquables n'ont pu ébranler et dont une simple réponse
écrite a triomphé. Lorsqu'on voit un fait que l'on ne comprend
pas, plus il est extraordinaire, plus il paraît suspect, et la
pensée y cherche toujours une cause vulgaire ; si l'on s'en rend
compte, on l'admet bien plus facilement, parce qu'il a une raison
d'être : le merveilleux et le surnaturel disparaissent. Certes,
les explications que je viens de vous donner dans cet entretien
sont loin d'être complètes ; mais, toutes sommaires qu'elles
sont, je suis persuadé qu'elles vous donneront à réfléchir ;
et, si les circonstances vous rendent témoin de quelques faits
de manifestation, vous les verrez d'un oeil moins prévenu, parce
que vous pourrez asseoir un raisonnement sur une base.
Il y a deux choses dans le spiritisme : la partie expérimentale
des manifestations et la doctrine philosophique. Or, je suis tous
les jours visité par des gens qui n'ont rien vu et qui croient
aussi fermement que moi, par la seule étude qu'ils ont faite de
la partie philosophique ; pour eux, le phénomène des
manifestations est l'accessoire ; le fond, c'est la doctrine, la
science ; ils la voient si grande, si rationnelle, qu'ils y
trouvent tout ce qui peut satisfaire leurs aspirations
intérieures, à part le fait des manifestations ; d'où ils
concluent qu'en supposant que les manifestations n'existent pas,
la doctrine n'en serait pas moins celle qui résout le mieux une
foule de problèmes réputés insolubles. Combien n'ont dit que
ces idées avaient germé dans leur cerveau, mais qu'elles y
étaient confuses. Le spiritisme est venu les formuler, leur
donner un corps, et il a été pour eux comme un trait de
lumière. C'est ce qui explique le nombre d'adeptes qu'a faits la
seule lecture du Livre des Esprits. Croyez-vous qu'il en serait
ainsi si l'on ne fût pas sorti des tables tournantes et
parlantes ?
Le Visiteur. - Vous aviez raison de dire, Monsieur, que des tables tournantes était sortie une doctrine philosophique ; et j'étais loin de soupçonner les conséquences qui pouvaient surgir d'une chose que l'on regardait comme un simple objet de curiosité. Je vois maintenant combien est vaste le champ ouvert par votre système.
A. K. - Ici je vous arrête, Monsieur ; vous me faites trop d'honneur en m'attribuant ce système, car il ne m'appartient pas. Il est tout entier déduit de l'enseignement des Esprits. J'ai vu, observé, coordonné, et je cherche à faire comprendre aux autres ce que je comprends moi-même ; voilà toute la part qui m'en revient. Il y a entre le spiritisme et les autres systèmes philosophiques cette différence capitale, que ces derniers sont tous l'oeuvre d'hommes plus ou moins éclairés, tandis que dans celui que vous m'attribuez, je n'ai pas le mérite de l'invention d'un seul principe. On dit : la philosophie de Platon, de Descartes, de Leibnitz ; on ne dira point : la doctrine d'Allan Kardec, et cela est heureux ; car de quel poids serait un nom dans une aussi grave question ? Le spiritisme a des auxiliaires bien autrement prépondérants et auprès desquels nous ne sommes que des atomes.
SOCIETE POUR LA CONTINUATION DES OEUVRES SPIRITES
D'ALLAN KARDEC,
7, RUE DE LILLE.
Le Visiteur. - Vous avez une société qui s'occupe de ces études ; me serait-il possible d'en faire partie ?
A. K. - Assurément non, pas pour le moment ; car si, pour être reçu, il n'est pas nécessaire d'être docteur ès-Spiritisme, il faut au moins avoir sur ce sujet des idées plus arrêtées que les vôtres. Comme elle ne veut point être troublée dans ses études, elle ne peut admettre ceux qui viendraient lui faire perdre son temps par des questions élémentaires, ni ceux qui, ne sympathisant pas avec ses principes et ses convictions, y jetteraient le désordre par des discussions intempestives ou un esprit de contradiction. C'est une société scientifique comme tant d'autres, qui s'occupe d'approfondir les différents points de la science spirite, et qui cherche à s'éclairer ; c'est le centre où aboutissent les renseignements de toutes les parties du monde, et où s'élaborent et se coordonnent les questions qui se rattachent au progrès de la science ; mais ce n'est pas une école, ni un cours d'enseignement élémentaire. Plus tard, quand vos convictions seront formées par l'étude, elle verra s'il y a lieu de vous admettre. En attendant, vous pourrez tout au plus y assister une ou deux fois comme auditeur, à la condition de n'y faire aucune réflexion de nature à froisser personne, sans quoi, moi, qui vous y aurait introduit, j'encourrais des reproches de la part de mes collègues, et la porte vous en serait à jamais interdite. Vous y verrez une réunion d'hommes graves et de bonne compagnie, dont la plupart se recommandent par la supériorité de leur savoir et leur position sociale, et qui ne souffriraient pas que ceux qu'elle veut bien admettre s'écartassent en quoi que ce soit des convenances ; car ne croyez pas qu'elle convie le public et qu'elle appelle le premier venu à ses séances. Comme elle ne fait point de démonstrations en vue de satisfaire la curiosité, elle écarte avec soin les curieux. Ceux donc qui croiraient y trouver une distraction et une sorte de spectacle seraient désappointés et feront mieux de ne pas s'y présenter. Voilà pourquoi elle refuse d'admettre, même comme simples auditeurs, ceux qu'elle ne connaît pas, ou dont les dispositions hostiles sont notoires.
Le Visiteur. - Une dernière question, je vous prie. Le spiritisme a de puissants ennemis ; ne pourraient-ils en faire interdire l'exercice et les sociétés, et par ce moyen en arrêter la propagation ?
A. K. - Ce serait le moyen de perdre la partie un peu
plus vite, car la violence est l'argument de ceux qui n'ont rien
de bon à dire. Si le spiritisme est une chimère, il tombera de
lui-même sans qu'on se donne tant de peine ; si on le
persécute, c'est qu'on le craint, et l'on ne craint que ce qui
est sérieux. Si c'est une réalité, il est, comme je l'ai dit,
dans la nature, et on ne révoque pas une loi de nature d'un
trait de plume.
Si les manifestations spirites étaient le privilège d'un homme,
nul doute qu'en mettant cet homme de côté, on ne mît fin aux
manifestations ; malheureusement pour les adversaires, elles ne
sont un mystère pour personne ; il n'y a rien de secret, rien
d'occulte, tout se passe au grand jour ; elles sont à la
disposition de tout le monde, et l'on en use depuis le palais
jusqu'à la mansarde. On peut en interdire l'exercice public ;
mais on sait précisément que ce n'est pas en public qu'elles se
produisent le mieux ; c'est dans l'intimité ; or, chacun pouvant
être médium, qui peut empêcher une famille dans son
intérieur, un individu dans le silence du cabinet, le prisonnier
sous les verrous, d'avoir des communications avec les Esprits, à
l'insu et à la barbe même des sbires ? Admettons pourtant qu'un
gouvernement fût assez fort pour les empêcher chez lui, les
empêchera-t-il chez ses voisins, dans le monde entier, puisqu'il
n'y a pas un pays dans les deux continents où il n'y ait des
médiums ?
Le spiritisme, d'ailleurs, n'a pas sa source parmi les hommes ;
il est l'oeuvre des Esprits que l'on ne peut ni brûler, ni
mettre en prison. Il consiste dans la croyance individuelle et
non dans les sociétés qui ne sont nullement nécessaires, Si
l'on parvenait à détruire tous les livres spirites, les Esprits
les dicteraient de nouveau.
En résumé, le spiritisme est aujourd'hui un fait acquis ; il a
conquis sa place dans l'opinion et parmi les doctrines
philosophiques ; il faut donc que ceux à qui il ne convient pas
prennent leur parti de le voir à leurs côtés, tout en restant
parfaitement libres de n'y pas toucher.