XIX. - GENIE MILITAIRE DE JEANNE D'ARC.

Le principal mérite de la victoire revint à la Pucelle.

Colonel E. COLLET.

Les contempteurs de Jeanne d'Arc : Anatole France, Thalamas, H. Bérenger, Jules Soury, etc., s'accordent à nier ses talents militaires. A. France, surtout, ne néglige aucune occasion de rapetisser son rôle, de restreindre sa participation à l'oeuvre de délivrance. Il fait peu de cas des dépositions de ses compagnons d'armes au procès de réhabilitation, sous prétexte qu'ils sont mêlés à ceux d'une " honnête veuve ". Il raille les historiens qui ont vu en elle " la patronne des officiers et des sous-officiers, le modèle inimitable des élèves de Saint-Cyr, la garde nationale inspirée, la canonnière patriote1 ". Et plus loin, il dit :

" Elle n'avait qu'une tactique, c'était d'empêcher les hommes de blasphémer et de mener avec eux des ribaudes...

" Mener des gens d'armes à confesse, c'était tout son art militaire2. "

A notre tour, quel cas devons-nous faire de ces jugements ? Dans quelle mesure des professeurs, des romanciers, des journalistes, qui n'ont peut-être jamais porté une arme, sont-ils compétents pour apprécier les opérations militaires de la Pucelle ?

Dans son ouvrage intitulé : Jeanne d'Arc, l'histoire et la légende, M. Thalamas nous conseille, avec raison, de nous en tenir aux témoignages directs et de négliger les autres. Cet avis nous paraît surtout applicable à la question qui nous occupe. Les témoignages concernant les aptitudes militaires de Jeanne sont formels. Ils émanent de gens qui l'ont vue de près, ont partagé ses dangers et combattu à ses côtés. Le duc d'Alençon s'exprime ainsi3 :

" Dans le fait de la guerre, elle était fort experte, tant pour porter la lance que pour réunir une armée ou ordonner un combat et disposer l'artillerie. Tous s'émerveillaient de voir que, dans les choses militaires, elle agit avec autant de sagesse et de prévoyance que si elle eût été un capitaine ayant guerroyé vingt ou trente ans. C'était surtout dans le maniement de l'artillerie qu'elle s'entendait bien. "

Un autre capitaine, Thibauld d'Armagnac, sire de Termes, dit de son côté :

" Dans tous ces assauts (au siège d'Orléans), elle fut si valeureuse et se comporta de telle sorte qu'il ne serait pas possible à homme quelconque d'avoir meilleure attitude dans le fait de la guerre. Tous les capitaines s'émerveillaient de sa vaillance et de son activité, et des peines et labeurs qu'elle supportait... Dans le fait de la guerre, pour conduire et disposer les troupes, pour ordonner la bataille et animer les soldats, elle se comportait comme si elle eût été le plus habile capitaine du monde, de tout temps formé à la guerre4. "

*

* *

Parmi les écrivains contemporains qui se sont occupés de Jeanne d'Arc, les plus aptes à apprécier son rôle militaire sont évidemment ceux qui ont exercé la profession des armes, commandé des troupes, dirigé des opérations de guerre. Or, tous sont unanimes à reconnaître les talents de Jeanne dans l'art de combattre, son goût pour la tactique, son habileté à utiliser l'artillerie.

La campagne de la Loire reste, pour eux, un modèle du genre. Le général russe Dragomirow la résume ainsi :

" Le 10 juin seulement, on lui permit de marcher avec l'armée du duc d'Alençon, pour dégager les points que les Anglais continuaient d'occuper sur la Loire. Le 14 juin, elle prit d'assaut Jargeau ; le 15, le pont de Meung ; le 17, elle occupa Beaugency ; le 18, elle défit Talbot et Falstolf, dans une rencontre en rase campagne. Résultat pour les cinq jours : deux assauts et une bataille ; voilà qui n'eût point déparé la gloire de Napoléon lui-même, et voilà ce que Jeanne savait faire quand on ne l'entravait pas5 ! "

Ce qu'il faut remarquer dans cette action foudroyante, c'est l'ardeur mêlée de prudence qui l'inspire et la dirige. Ces mouvements rapides ont pour but d'atteindre et de frapper l'ennemi au plus fort de sa puissance, sans lui laisser le temps de se reconnaître, suivant la méthode des grands capitaines modernes.

Ce fut encore le sens stratégique de Jeanne, qui dicta la marche sur Reims et poussa ensuite le roi sur Paris. La grande ville eût été prise, sans l'inqualifiable abandon du siège ordonné par Charles VII.

Ajoutez son courage héroïque et son constant sacrifice d'elle-même. Elle ne connaissait ni la peur ni la fatigue, dormant tout armée et se contentant d'une frugale nourriture. Elle avait surtout un don merveilleux pour entraîner les troupes. A Troyes, selon le témoignage de Dunois, elle déployait plus d'énergie et d'adresse pour organiser un assaut contre les remparts de la ville, que n'auraient pu le faire les meilleurs chefs d'armée de l'Europe entière. Le maréchal de Gaucourt, vétéran de la guerre de Cent ans, s'accorde avec Dunois sur la conduite admirable de Jeanne en cette circonstance, où il se trouvait mêlé en personne.

Le souci de l'héroïne pour la discipline était constant, et sa sollicitude pour le soldat dénote une connaissance approfondie de la vie militaire. Aux Tourelles, quoique blessée, elle prescrit que les troupes se restaurent avant de retourner à l'assaut. A propos de son antipathie pour les pillards et les ribaudes, de son désir que les soldats s'abstinssent de débauche, de sacrilège et de brigandage, il est facile à Anatole France de railler sa pruderie de " béguine " ; avouons pourtant que c'était là le seul moyen de rétablir l'ordre et la discipline, conditions essentielles du succès.

" Elle se préoccupait, dit Andrew Lang, aussi bien des âmes que des corps de ses hommes, ce qui semble aujourd'hui enfantin et absurde à l'esprit scientifique de l'école de M. France ; mais il faut se rappeler qu'elle était une femme de son temps et que sa méthode était celle de Cromwell, celle des plus grands conducteurs d'hommes de toute l'histoire de jadis. "

Son entente, sa prévoyance, son discernement des choses de la politique n'étaient pas moins remarquables. M. A. France semble parfois la considérer comme une sorte d'idiote. Qu'il veuille bien se rappeler son accueil au connétable de Richemont, maladroitement repoussé par le roi, et dont les huit cents lances contribuèrent largement à la victoire de Patay ; puis, les stratagèmes qu'elle employait pour tromper les ennemis au sujet de ses messages, dans les cas où ceux-ci pouvaient tomber entre leurs mains. N'oublions pas non plus avec quelle subtilité elle sut deviner, longtemps avant les politiciens les plus sagaces, la fausseté des négociations entamées par le duc de Bourgogne, après le sacre de Charles VII. Elle disait alors : " On ne trouvera point de paix des Bourguignons, si ce n'est par la pointe de la lance6. "

Joseph Fabre fait ressortir en traits vigoureux ce don de pénétration qu'elle possédait :

" Forçant le succès à force d'y croire, avec quel fier instinct elle brise les toiles d'araignée de la diplomatie pour se jeter dans l'action à outrance ! C'est un oiseau de haut vol qui déconcerte victorieusement les politiques à ras de terre, lâches fauteurs de la paix à tout prix7. "

Consultons maintenant les écrivains militaires qui nous paraissent avoir étudié, avec le plus de sagacité et de conscience, le rôle de l'héroïne. Le général Canonge s'exprime ainsi8 :

" Jeanne imprime aux opérations, autour d'Orléans, une activité jusqu'alors inconnue et, au bout de neuf jours, le siège, qui durait depuis six mois, se termine à notre avantage.

" Conduite offensivement, la campagne de la Loire réussit avec une rapidité imprévue ; la journée de Patay y met fin le 18. Vainement on a essayé de nier contre toute vérité la part que prit Jeanne à cette victoire décisive : elle avait fait le nécessaire pour que le contact des Anglais ne fût pas perdu, elle annonça la lutte et, tout en donnant la formule de la poursuite, la victoire.

" Au cours de la chevauchée vers Reims, du 29 juin au 16 juillet, devant Troyes, la force morale de Jeanne intervient efficacement au moment même où l'entourage royal ne songe à rien moins qu'à faire rétrograder l'armée sur la Loire. On le sait, la liberté d'action piteusement accordée à la Pucelle fut suivie à bref délai de la chute de Troyes.

" A partir du sacre, Jeanne est négligée. Il est cependant prouvé qu'elle s'opposa à la marche ondoyante sur Paris et que, bien inspirée à tous égards, elle préconisa la marche directe.

" Quant à l'échec devant Paris, il ne saurait lui être imputé. Si le faible Charles VII l'eût écoutée au lieu de la réduire à l'impuissance, l'insuccès du 8 septembre aurait été promptement réparé.

" Sur la haute Loire, pendant les sièges de Saint-Pierre-le-Moutier et de la Charité, Jeanne, placée en sous-ordre, n'agit que par son merveilleux exemple, comme un capitaine.

" Enfin, dans sa dernière campagne si brutalement terminée, Jeanne joua le rôle d'un chef de partisans.

" Au moment où elle fut faite prisonnière, elle était à peine âgée de dix-huit ans et cinq mois ; son rôle militaire n'avait donc duré que treize mois.

" Il était inutile de s'attarder à démontrer que la libération complète de la France ne coïncidera point avec la disparition de la Pucelle. Cependant, il est indéniable que, grâce à Jeanne, l'indolent monarque avait recouvré la majeure partie du pays compris entre Orléans et la Meuse, que la confiance était revenue, enfin que la libération définitive résulta de l'élan patriotique prodigieux communiqué par elle.

" Le rôle militaire de Jeanne d'Arc peut être envisagé de deux façons :

" Le " soldat " se distingua par des qualités dont la réunion est rare.

" Chez tout observateur loyal, non disposé à nier même l'évidence, le " chef de guerre " provoque un véritable étonnement.

" C'est ensuite un ensemble de qualités qui se retrouvent chez les quelques victorieux dont l'histoire a enregistré les noms. Chez Jeanne, en effet, la conception et l'exécution marchent de pair. Sa conception aboutit à une offensive audacieuse, opiniâtre, de la nature de celle qui, admise depuis Napoléon, fixe sur place l'ennemi, ne lui laisse pas le temps de se reconnaître et réussit à le briser matériellement et moralement.

" L'exécution est fougueuse mais tempérée au besoin par la prudence.

" Il suffira d'énumérer les autres qualités qui lui permirent de violenter la victoire : science du temps, prévoyance, bon sens peu commun, foi imperturbable dans le succès, exemple entraînant, réconfortant, grande puissance de travail, esprit de suite secondé par une volonté inébranlable, connaissance du coeur humain, d'où une influence morale que quelques grands capitaines seuls possédèrent, avec le temps, au même degré.

" Le caractère de la guerre au quinzième siècle ne fournit pas à Jeanne l'occasion de faire oeuvre de stratégiste. Par exemple, il est certain que tous ses contemporains ont reconnu en elle une tacticienne remarquable et redoutée.

" L'origine, l'ignorance et l'inexpérience des choses de la guerre, le sexe et la jeunesse de Jeanne ont dérouté bien des esprits.

" S'il ne saurait être question ni de comparer notre héroïne avec tel ou tel grand capitaine, ni même de lui assigner un rang dans la glorieuse phalange des hommes de guerre, il est juste, pour une excellente raison, de l'y placer : les talents qu'elle déploya sont ceux qui, de tout temps, ont procuré la victoire.

" Abordons maintenant la recherche du pourquoi de l'initiation subite de Jeanne aux secrets les plus délicats de l'art de la guerre.

" A vrai dire, cette recherche serait inutile s'il était vrai, comme on l'a avancé bien légèrement, que l'art militaire n'existait pas au quinzième siècle, qu'il suffisait alors de monter à cheval, enfin que, en ce qui concerne Jeanne, son art militaire se réduisait à mener les gens d'armes à confesse. Ici, parlons net.

" La première négation provient, à n'en pas douter, d'une ignorance complète de la question. La seconde est stupéfiante : Dunois et quelques autres capitaines joignaient, en effet, à l'expérience et au savoir une science équestre plus que suffisante pour vaincre ; or, le succès leur fit défaut jusqu'à l'arrivée de Jeanne. Quant à la dernière allégation, - d'ailleurs en complet désaccord avec les faits, - elle est tout au moins singulière.

" Arrivons donc aux objections formulées par des historiens sérieux et dignes de tous égards, parce qu'ils ont cherché la solution avec une incontestable loyauté. Toutefois, cet examen sera rapide.

" Nier l'incompréhensible dans le rôle militaire de la Pucelle est faire bon marché des difficultés du problème.

" Le " bon sens ", cette qualité maîtresse que l'on a invoquée, était impuissant à donner, du jour au lendemain, les connaissances techniques nécessaires pour conduire des opérations.

" La foi ardente qui régnait au quinzième siècle put-elle fournir à Jeanne un levier suffisant ? Le doute est permis.

" On a aussi invoqué l'obéissance ; or, elle n'est réellement venue qu'après la délivrance d'Orléans.

" Dire que Jeanne réalisa l'unité d'action qui, jusqu'à elle, manqua, c'est reconnaître un fait ; ce n'est pas le rendre compréhensible.

" Dunois est un témoin avec lequel il fallait compter. Cependant il se montra bien petit garçon vis-à-vis de la Pucelle, le 7 mai 1429, lors de l'attaque de la bastille des Tourelles. On sait avec quelle fougue elle attaqua. Le procédé fut le même à Jargeau, à Patay et devant Troyes et Saint-Pierre-le-Moutier.

" Enfin, on s'est cru en droit d'attribuer " uniquement au sentiment de révolte patriotique " les succès de Jeanne. Certes, le patriotisme peut, soit collectivement, soit individuellement, enfanter des miracles : mais il est impuissant à transformer en chef d'armée, du jour au lendemain, une jeune fille ignorante et âgée de moins de dix-huit ans. Jeanne constitue un phénomène véritable, unique dans son genre ; à ce titre, elle occupe une place exceptionnelle en France et dans l'histoire de tous les peuples. Le rapprochement suivant est digne de réflexion. En 1429, le patriotisme, dont Jeanne hâta le développement, commençait seulement à naître. Pourquoi en 1870-1871, alors qu'il était plus éclairé, plus ardent et plus répandu, a-t-il été manifestement impuissant à sauver la France qui se trouvait réduite aux abois ?

" En somme, il semble qu'aucune des raisons humaines produites ne fournit la clef de victoires remportées en employant, consciemment ou non, les principes appliqués, sur des théâtres d'opérations plus ou moins vastes, par de grands capitaines.

" Soldat, je me déclare incapable de résoudre, humainement parlant, le problème militaire de Jeanne d'Arc. "

Et le général Canonge adopte, en terminant, la solution que Jeanne elle-même a fournie, en signalant comme origine de ses actes principaux " le secours de Dieu ".

A ces considérations d'un écrivain dont l'autorité en pareilles matières ne saurait être contestée, nous joindrons les citations suivantes, empruntées à l'oeuvre de M. le Colonel E. Collet9, vice-président de la Société des Etudes psychiques de Nancy, et répondent de point en point aux critiques d'Anatole France et de M. Thalamas sur la levée du siège d'Orléans, dont il faudrait, selon eux, attribuer le mérite bien plus aux assiégés qu'à Jeanne elle-même.

L'auteur énumère les événements du siège, puis ajoute :

" Il est donc bien établi que la Pucelle, dès le premier jour, montrait un sens militaire infiniment supérieur à celui des meilleurs capitaines de l'armée, en disciplinant les troupes et en voulant marcher immédiatement sur le point où les Anglais avaient leurs principales forces. Les capitaines d'un esprit élevé ou droit, comme le Bâtard d'Orléans, Florent d'Illiers, La Hire, etc., et les hommes d'armes qui n'étaient ni orgueilleux ni jaloux, ne tardèrent pas à le reconnaître.

" La milice communale la reconnut, sur-le-champ, pour son véritable chef et fut persuadée qu'elle serait invincible sous ses ordres. - C'est un fait de psychologie militaire qui s'explique facilement dans ce cas, mais dont la cause est plus mystérieuse dans beaucoup d'autres cas dont l'histoire fait mention. Par quel instinct de juste discernement la foule ignorante des soldats a-t-elle souvent reconnu, sans aucun signe apparent, celui qui était réellement capable de la guider et de lui procurer le succès ? - Elle contribua, en effet, plus que les troupes soldées, à la prise des Tourelles, et montra toute la valeur et la force dont sont capables ceux qui se battent pour la défense de leurs foyers et de leur liberté ; c'est ce qui donna à la Pucelle la première idée d'une armée nationale permanente, instituée, plus tard, par le roi Charles VII, devenu plus sage et plus patriote.

" Nous avons déjà parlé des raisons intuitives qui la déterminèrent à continuer l'attaque des ouvrages de la rive gauche, malgré la décision contraire des capitaines paraissant basée sur la prudence ; l'événement prouva que ces raisons d'ordre psychologique étaient bonnes. Lorsque, blessée pendant l'action, elle surmonta sa souffrance, encouragée par ses voix, et accourut auprès du Bâtard d'Orléans pour l'empêcher d'ordonner la retraite et pour diriger, ensuite, elle-même, l'assaut décisif, elle obéit encore à la même intuition de psychologie militaire et au principe le plus rationnel d'une bonne offensive de tactique, celui de la persévérance.

" On peut donc affirmer, avec toute certitude, que le principal mérite de la victoire revint à la Pucelle, bien secondée par les vaillants capitaines et hommes d'armes qui la suivirent sur la rive gauche, et puissamment aidée par les Orléanais, agissant avec autant d'habileté que de vigueur dans l'attaque des Tourelles par le pont de la Loire : sans elle, l'attaque n'aurait pas eu lieu ou aurait échoué.

" Il faut rappeler que dès le 3 mai, Jeanne avait annoncé que le siège serait levé dans cinq jours. (Déposition de frère Jean Pasquerel et aveu de Jean de Wavrin du Forestel, chroniqueur du parti anglais.)

" M. Anatole France se méfie du témoignage du frère Pasquerel, bien qu'il soit corroboré par un autre témoignage. Les prédictions de la Pucelle lui semblent suspectes et, pour justifier son scepticisme, il cite celle-ci :

" Avant que le jour de la Saint-Jean-Baptiste arrive (an 29), il ne doit pas y avoir un Anglais, si fort et si vaillant soit-il, qui se laisse voir par la France, soit en campagne, soit en bataille. " Source citée : Greffier de la Chambre des Comptes de Brabant dans Procès, t. IV, p. 426 (Vie de Jeanne d'Arc, t. I, p. 402).

" Or nous avons cherché cette prétendue prédiction dans le document cité (Procès, t. IV, p. 426), et nous ne l'y avons pas trouvée. On y voit, au contraire, que la prédiction de Jeanne au sujet de la délivrance d'Orléans, de sa blessure et du sacre de Reims s'est parfaitement réalisée. Et les fourberies de ce genre abondent dans le livre de M. France : on ne peut pas saboter plus indignement l'histoire. "

Ajoutons encore le tableau suivant, plein d'entrain et de couleur, que M. le colonel Collet trace du rôle de la Pucelle au siège de Troyes :

" La Pucelle, à cheval, un bâton à la main, accourut aussitôt dans les campements pour faire préparer, en toute hâte, les engins et les matériaux nécessaires à l'attaque de vive force de la place. Elle eut bientôt communiqué son ardeur aux troupes, et chacun s'empressa à la besogne qui lui incombait : chevaliers, écuyers, archers, gens de toutes conditions mirent une activité prodigieuse à disposer, sur des points bien choisis, les quelques canons et bombardes que l'armée possédait, à transporter des fascines, madriers, planches, portes, volets, etc., et à construire des couverts et des approches, en vue d'un assaut imminent et terrible10.

" Jeanne encourageait les travailleurs, stimulait leur zèle, veillait à tout et faisait, dit Dunois dans sa déposition, si merveilleuse diligence, que deux ou trois capitaines consommés n'auraient pu faire davantage.

" Et cela se passait au milieu de la nuit, qui donnait un aspect fantastique à ces préparatifs extraordinaires : mouvements d'hommes, de chevaux et de charrois, à la lueur fumeuse des torches, dans un vacarme assourdissant de cris, d'appels, de hennissements, de coups de hache et de marteau, de craquements et d'écroulements, de grincements d'essieux, de cahotements, etc.

" Le spectacle n'était point banal, sans doute, pour les hommes d'armes de la garnison, veillant derrière les créneaux, et les bourgeois de la ville, montés au plus haut des maisons et des monuments publics, et nous pouvons facilement nous imaginer leur étonnement et leur épouvante. Quel changement s'était donc opéré dans le camp français plutôt découragé ? Que voulaient dire cette étrange agitation, cet effrayant tumulte ? Mystère ne présageant rien de bon : une formidable catastrophe planait sur la ville, c'était certain !

" Les bruits les plus sinistres circulaient parmi les gens du peuple terrifiés ; on se pressait dans les églises ; on se lamentait ; on clamait qu'il fallait se soumettre au roi et à la Pucelle, ainsi que le conseillait frère Richard dans ses prédications. L'évêque et les notables bourgeois étaient dans une cruelle perplexité : ils s'étaient engagés à résister jusqu'à la mort ; mais ils commençaient à entrevoir les avantages de la soumission. Quant aux seigneurs et aux hommes d'armes de la garnison, ils étaient peu rassurés sur l'issue de la lutte, si la terrible Pucelle les assaillait.

" Cependant, l'effroyable tumulte cessa peu à peu dans le camp français ; les torches s'éteignirent les unes après les autres, et la nuit sembla plus noire. Les assiégés angoissés ne voyaient plus que des masses sombres et confuses, qui semblaient grossir et se mouvoir sur quelques points rapprochés des fossés ; ils n'entendaient plus qu'une vague rumeur de voix étouffées, d'armes entre-choquées, de pas mal assurés, de branchages froissés, etc., sinistre grondement, précurseur de la tempête.

" Mais à l'aube, tout se dessina plus nettement aux yeux troublés des Troyens ; le fantastique disparut peu à peu pour faire place à la réalité non moins menaçante, à savoir : le dispositif complet d'un assaut qui ne pouvait être que furieux, obstiné, implacable !

" L'armée française, munie de son matériel d'approche et d'attaque, était disposée en ordre parfait sur les points les plus favorables, car la Pucelle, comme de coutume, avait mis le temps à profit pour reconnaître la place ; les trois ou quatre pièces d'artillerie, bien placées et bien abritées, s'apprêtaient à ouvrir le feu et à suppléer au nombre par la rapidité et la justesse du tir ; les groupes de porteurs de fascines et d'échelles, les archers et arbalétriers, embusqués derrière les abris, les colonnes d'assaut et les réserves, silencieuses et recueillies, attendaient le signal, et la Pucelle, debout au bord du fossé, son étendard à la main, donnait un coup d'oeil satisfait à cet ensemble imposant, avant de faire avancer les " trompilles " pour sonner l'attaque : c'était d'un effet saisissant. "

Notre histoire est riche en grands capitaines : gentilshommes ou fils du peuple, tous preux à la vaillante épée. Jeanne d'Arc, on le voit, les égale et, en certains points, les surpasse. Elle a toutes leurs qualités militaires, et elle a plus encore : l'habileté dans la préparation, et l'audace, la fougue irrésistible dans l'exécution. Elle sait d'instinct que le soldat français excelle dans l'offensive, que la furia est un des privilèges de notre race. Aussi cinq jours lui suffisent pour débloquer Orléans, huit jours pour dégager la vallée de la Loire, quinze pour conquérir la Champagne : en tout, deux mois à peine pour relever la France abattue. C'est en vain qu'on chercherait un fait semblable dans l'histoire. Les guerriers les plus illustres peuvent s'incliner devant cette jeune fille de dix-huit ans, dont le front s'éclaire du prestige de telles victoires !

On ne rencontre pas un seul moment de défaillance physique ou morale dans cette carrière étonnante, mais partout et toujours l'endurance, l'intrépidité dans le combat, l'insouciance du danger et de la mort, la grandeur d'âme dans la souffrance. Sans cesse, l'amour du pays vibre et palpite en Jeanne, et aux heures désespérées, il éclate en paroles brèves, enflammées, qui emportent tout.

Bref, sans l'intervention de causes occultes, on ne saurait certes pas expliquer chez cette enfant la réunion d'aptitudes guerrières et de connaissances techniques, que, seules, peuvent procurer l'expérience et une longue pratique du métier des armes.

La France a possédé des milliers de vaillants soldats et d'habiles généraux ; elle n'a eu qu'une Jeanne d'Arc !

*

* *

Retournée à la vie de l'espace, Jeanne n'a pas pour cela oublié la France. Aux heures difficiles, cette grande âme plane au-dessus de nous pour inspirer à tous la résolution dans l'épreuve, le courage dans l'adversité.

Ainsi que nous l'avons exposé dans un autre livre11 son rôle dans la dernière guerre a été considérable, soit dans les " conseils " d'Esprits où l'on délibérait sur les mesures à prendre, sur les mouvements à provoquer que l'on suggérait ensuite aux généraux ; soit dans la lutte ardente lorsqu'elle soutient, entraîne nos défenseurs, partout son influence se fait sentir et contribue puissamment au succès final, à la victoire.

Maintenant encore elle quitte souvent le monde supérieur qu'elle habite pour redescendre vers cette terre de France qu'elle a tant aimée et y répandre ses fluides bienfaisants. Aussitôt qu'elle paraît, les morts de la guerre, la foule innombrable de ceux que le devoir et le sacrifice ont auréolés se pressent et l'entourent pour lui faire cortège. Parvenus au but terrestre, ils se glissent partout, pénètrent dans tous les milieux où il y a une infortune à soulager, une douleur à consoler.

Parfois, avec d'autres Esprits missionnaires, Jeanne reçoit d'en haut la tâche de participer aux conseils des hommes d'Etat, aux assemblées où se discutent les destinées des nations et de les influencer dans le sens du droit et de la justice. Certes, ils ne réussissent pas toujours, car les hommes sont libres et leurs passions les emportent, mais combien d'iniquités ces généreux Esprits n'ont-ils pas réussi à empêcher !

C'est qu'à notre insu une collaboration étroite s'établit entre la terre et l'espace, entre les mondes visible et invisible et que l'action des grands Esprits se déroule pour la réalisation du plan divin et l'évolution de l'humanité.


1 ANATOLE FRANCE, Vie de Jeanne d'Arc. Préface, p. XXXVIII.


2 ANATOLE FRANCE, Vie de Jeanne d'Arc, t. I, p. 309.


3 J. FABRE, Procès de réhabilitation, t. I.


4 J. FABRE, Procès de réhabilitation, t. I.


5 DRAGOMIROW, Jeanne d'Arc, p. 37.


6 J. FABRE, Procès de condamnation, 6° interrogatoire.


7 J. FABRE, la Fête nationale de Jeanne d'Arc.


8 Général F. CANONGE, Jeanne d'Arc, chef de guerre. Le Journal, 15 avril 1909.


9 Colonel E. COLLET, Vie militaire de Jeanne d'Arc. Considérations sur le siège d'Orléans.


10 Chronique de la Pucelle.


11 Le Monde invisible et la Guerre (Leymarie, éditeur).