XI. - LA VIE DANS L'AU-DELA.

L'être humain, avons-nous dit, appartient dès cette vie à deux mondes. Par son corps physique, il est relié au monde visible ; par son corps fluidique, à l'invisible. Le sommeil est la séparation temporaire de ces deux enveloppes ; la mort en est la séparation définitive. Dans les deux cas, l'âme se détache du corps physique et, avec elle, la vie se concentre dans le corps fluidique. La vie d'outre-tombe n'est donc que la persistance et la libération de la partie invisible de notre être.

L'antiquité a connu ce mystère1, mais, depuis longtemps, les hommes ne possédaient plus sur les conditions de la vie future que des notions d'un caractère vague et hypothétique. Les religions et les philosophies nous transmettent sur ces problèmes des données fort incertaines, absolument dépourvues de contrôle, de sanction et, sur presque tous les points, en désaccord complet avec les idées modernes de continuité et d'évolution.

La science, de son côté, n'a étudié et connu jusqu'ici dans l'homme terrestre que la surface, la partie physique. Or, celle-ci est à l'être entier à peu près ce que l'écorce est à l'arbre. Quant à l'homme fluidique, éthéré, dont notre cerveau physique ne peut avoir conscience, elle l'a entièrement ignoré jusqu'à nos jours. De là, son impuissance à résoudre le problème de la survivance, puisque c'est l'être fluidique seul qui survit. La science n'a rien compris aux manifestations psychiques qui se produisent dans le sommeil, le dégagement, l'extériorisation, l'extase, à toutes les échappées de l'âme vers la vie supérieure. Or, c'est uniquement par l'observation de ces faits que nous parviendrons à acquérir, dès cette vie, une connaissance positive de la nature du moi et de ses conditions d'existence dans l'Au-delà.

L'expérimentation, seule, pouvait résoudre la question. Il s'agissait d'étudier dans l'homme actuel ce qui peut nous éclairer sur l'homme à venir. Il n'y a pas d'autre issue pour la pensée humaine, que l'insuffisance des religions et des philosophies a acculée au matérialisme. Le salut social est à ce prix, car le matérialisme, fatalement, nous conduirait à l'anarchie.

C'est seulement depuis l'apparition du spiritualisme expérimental que le problème de la survivance est entré dans le domaine de l'observation scientifique et rigoureuse. Le monde invisible a pu être étudié à l'aide de procédés et de méthodes conformes à ceux que la science contemporaine a adoptés pour les autres domaines de recherches. Ces méthodes, nous les avons exposées ailleurs2. Et déjà nous pouvons constater ceci : au lieu de creuser un vide, d'établir une solution de continuité entre les deux modes de vie, terrestre et céleste, visible et invisible, comme le faisaient les différentes doctrines religieuses, ces études nous ont montré dans la vie de l'Au-delà le prolongement naturel, la continuité de ce que nous observons en nous.

La persistance de la vie consciente, avec tous les attributs qu'elle comporte : mémoire, intelligence, facultés affectives, a été établie par les nombreuses preuves d'identité personnelle, recueillies au cours d'expériences et d'enquêtes dirigées par des sociétés d'études psychiques en tous pays. Les esprits des défunts se sont manifestés par milliers, non seulement avec tous les traits de caractère et l'ensemble des souvenirs constituant leur personnalité morale, mais aussi avec les traits physiques et les détails de leur forme terrestre, conservés par le périsprit ou corps éthéré. Celui-ci n'est autre, nous le savons, que le moule du corps matériel ; c'est pourquoi les traits et les formes humaines reparaissent dans les phénomènes de matérialisation.

En outre, la connaissance des conditions variées de la vie de l'Au-delà a été exposée par les Esprits eux-mêmes, à l'aide des moyens de communication dont ils disposent. Leurs indications, recueillies et consignées en des volumes entiers de procès verbaux, servent de bases précises à la conception que nous pouvons nous faire actuellement des lois de la vie future.

Cependant, à défaut des manifestations des défunts, les expériences sur le dédoublement des vivants nous fourniraient déjà de précieux renseignements sur le mode d'existence de l'âme dans le domaine de l'invisible.

Le colonel de Rochas l'a démontré expérimentalement : dans l'anesthésie et le somnambulisme, la sensibilité et les perceptions ne sont pas supprimées, mais seulement extériorisées, transférées au-dehors3. Nous pouvons déjà en déduire logiquement que la mort est l'état d'extériorisation totale et de libération du moi sensible et conscient.

La naissance est comme une mort pour l'âme. Elle l'enferme avec son corps éthéré dans le tombeau de la chair. Ce que nous appelons la mort est simplement le retour de l'âme à la liberté, enrichie des acquisitions qu'elle a pu faire au cours de sa vie terrestre. Mais nous avons vu que les différents états du sommeil sont autant de retours momentanés à la vie de l'espace. Plus l'hypnose est profonde, plus l'âme s'émancipe et s'éloigne. Le sommeil le plus intense confine à la première phase de la vie invisible.

En réalité, les mots sommeil et mort sont impropres. Quand nous nous endormons à la vie terrestre, nous nous réveillons à la vie de l'esprit. Le même phénomène se produit à la mort ; il n'est différent que par sa durée.

Carl du Prel cite deux exemples significatifs :

«Une somnambule fit un jour la description de son état : elle regrettait de ne pouvoir en conserver le souvenir après son réveil ; mais, ajoutait-elle «je reverrai tout cela après ma mort.» Elle considérait donc son état somnambulique comme identique avec l'état après la mort.» (Kerner, Magikon, 41.)

«Deux Esprits visitent un jour la voyante de Prévorst. Elle n'aimait pas trop ces visiteurs : «Pourquoi venez-vous chez moi, demanda-t-elle ?» A quoi les Esprits répondirent très judicieusement : «Mais c'est toi qui es chez nous !» (Perty, I, 280.)

Ces faits, auxquels on pourrait en ajouter une quantité du même ordre, le démontrent : notre monde et l'Au-delà ne sont pas séparés l'un de l'autre. Ils sont l'un dans l'autre ; ils s'enlacent en quelque sorte et se confondent étroitement. Les hommes et les Esprit se mêlent. Des témoins invisibles s'associent à notre vie, partagent nos joies et nos épreuves.

*
* *

La situation de l'esprit après la mort est la conséquence directe de ses penchants, soit vers la matière, soit vers les biens de l'intelligence et du sentiment. Si les penchants sensuels dominent, forcément l'être s'immobilise sur les plans inférieurs, qui sont les plus denses, les plus grossiers. S'il est alimenté de pensées belles et pures, il s'élève vers des sphères en rapport avec la nature même de ses pensées.

Swedenborg a dit avec raison : «Le ciel est là où l'homme a placé son coeur.»

Toutefois, le classement n'est pas immédiat, ni la transition soudaine. Si l'oeil humain ne peut passer brusquement de l'obscurité à une vive lumière, il en est de même de l'âme. La mort nous fait entrer dans un état transitoire, sorte de prolongement de la vie physique et prélude de la vie spirituelle. C'est l'état de trouble, dont nous avons parlé, état plus ou moins prolongé, selon la nature épaisse ou éthérée du périsprit du défunt.

Délivrée du fardeau matériel qui l'opprimait, l'âme se trouve encore enveloppée du réseau des pensées et des images : sensations, passions, émotions, générées par elle au cours de ses vies terrestres. Elle devra se familiariser avec sa situation nouvelle, prendre conscience de son état, avant d'être portée vers le milieu cosmique pour lequel elle est préparée par son degré de lumière et de densité.

D'abord, pour le plus grand nombre, tout est sujet d'étonnement dans cet Au-delà, où les choses diffèrent essentiellement du milieu terrestre. Les lois de la pesanteur sont moins rigides. Les murailles ne sont plus des obstacles. L'âme peut les traverser et s'élever dans les airs. Et cependant, certaines entraves, qu'elle ne peut définir, la retiennent encore. Tout la remplit de crainte, d'hésitation ; mais ses amis de là-haut veillent sur elle et guident ses premiers essors.

Les Esprits avancés se dégagent rapidement de toutes les influences terrestres et reprennent conscience d'eux-mêmes. Le voile matériel se déchire sous l'élan de leurs pensées ; des perspectives immenses s'ouvrent. Ils comprennent presque aussitôt leur situation et s'y adaptent avec facilité. Leur corps spirituel, cet instrument volitif, organisme de l'âme, dont elle ne se sépare jamais, qui est l'oeuvre de tout son passé, car elle l'a construit et tissé elle-même par son activité, flotte quelque temps dans l'atmosphère. Puis, selon son état de subtilité, de puissance, répondant aux attractions lointaines, il se sent élevé naturellement vers des associations similaires, vers des groupements d'Esprits du même ordre, Esprits lumineux ou voilés, qui entourent l'arrivant avec sollicitude, pour l'initier aux conditions de son nouveau mode d'existence.

Les Esprits inférieurs conservent longtemps les impressions de la vie matérielle. Ils croient vivre encore physiquement et poursuivent, parfois pendant des années, le simulacre de leurs occupations habituelles. Pour les matérialistes, le phénomène de la mort reste incompréhensible. Faute de connaissances préalables, ils confondent le corps fluidique avec le corps physique. Les illusions de la vie terrestre persistent en eux. Par leurs goûts et même par leurs besoins imaginaires, ils sont comme rivés à la terre. Puis, lentement, avec l'aide d'Esprits bienfaisants, leur conscience s'éveille, leur intellect s'ouvre à la compréhension de ce nouvel état de vie. Mais, dès qu'ils cherchent à s'élever, leur densité les fait retomber sur la terre. Les attractions planétaires et les courants fluidiques de l'espace les ramènent violemment vers nos régions, comme des feuilles mortes balayées par la tempête.

Les croyants orthodoxes errent dans l'incertitude et recherchent la réalisation des promesses du prêtre, la jouissance des béatitudes promises. Parfois leur surprise est grande, un long apprentissage leur est nécessaire pour s'initier aux lois véritables de l'espace. Au lieu d'anges ou de démons, ils rencontrent les esprits des hommes qui ont, comme eux, vécu sur la terre et les ont précédés. Leur déception est vive en voyant leurs espérances ajournées, leurs convictions bouleversées par des faits auxquels rien, dans l'éducation reçue, ne les avait préparés. Mais si leur vie a été bonne, soumise au devoir - les actes ayant sur la destinée plus d'influence encore que les croyances - ces âmes ne sauraient être malheureuses.

Les esprits sceptiques et, avec eux, tous ceux qui refusaient d'admettre la possibilité d'une vie indépendante du corps, se croient plongés dans un rêve, dont la durée se prolongera aussi longtemps que leur erreur ne sera pas dissipée.

Les impressions sont variées à l'infini, comme les valeurs des âmes. Celles qui, durant la vie terrestre, ont connu et servi la vérité, recueillent, dès le trépas, le bénéfice de leurs recherches et de leurs travaux. La communication suivante, parmi beaucoup d'autres, en fait foi. Elle émane de l'esprit d'un spirite militant, homme de coeur et de conviction éclairée : Charles Fritz, fondateur du journal la Vie d'outre-tombe, à Charleroi. Tous ceux qui ont été en relation avec cet homme droit et généreux le reconnaîtront à son langage. Il décrit les impressions ressenties aussitôt après sa mort et ajoute :

«Je sentis que les liens se détachaient peu à peu et que ma personne spirituelle, mon moi, se dégageait. Je vis autour de moi de bons esprits qui m'attendaient ; c'est avec eux, enfin, que je m'élevai de la surface terrestre.

Je n'ai point souffert de cette désincarnation ; mes premiers pas furent ceux de l'enfant qui commence à marcher.

La lumière spirituelle, pleine de force et de vie, naissait en moi, car la lumière ne vient pas des autres, mais de nous. C'est un rayon qui se dégage de l'enveloppe fluidique et qui vous pénètre tout entier.

Plus vous aurez travaillé dans la vérité, l'amour et la charité, plus cette lumière sera grande, jusqu'à devenir éblouissante pour ceux qui vous sont inférieurs.

Eh bien ! mes premiers pas furent chancelants ; cependant, peu à peu, la force me vint et je demandai à Dieu son assistance et sa miséricorde. Après avoir constaté le complet dégagement de mon individualité, j'envisageai enfin le travail que j'avais à faire. Je vis le passé de ma dernière vie et je travaillai pour qu'il me revint profondément à la mémoire.

Le passé se trouve dans le fluide de l'homme et, par conséquent, de l'esprit. Son périsprit est comme un mirage de toutes ses actions, et son âme, s'il a mal vécu, contemple avec tristesse ses fautes, inscrites, semble-t-il, dans les plis de son corps périsprital.

Je ne fus nullement empêché de reconnaître ma vie telle qu'elle avait été. Evidemment, je constatai que je n'avais point été infaillible, car qui peut se targuer de l'avoir été sur la terre ? Mais je dois vous dire qu'après constatation, je me sentis très satisfait et heureux de mon travail terrestre.

J'ai lutté, travaillé et souffert pour la lumière du spiritisme. Je l'ai donnée, avec l'espérance, à bien des frères de la terre, par la parole, par mes études et mes travaux ; aussi, cette lumière, je la retrouve.

Je suis heureux d'avoir travaillé à relever la foi, les coeurs et le courage. Je vous recommande donc à tous cette foi inébranlable, puisée dans le Spiritisme, que je possédais.

Je dois me développer encore, afin de revoir le passé de mes incarnations antérieures. C'est une étude, tout un travail à faire pour moi. Je vois bien une partie de ce passé, mais je ne puis pas très bien la définir, quoique mon réveil soit complet. Dans peu de temps, j'espère, ces vies passées m'apparaîtront clairement. Je possède assez de lumière pour marcher sûrement en voyant ce qui est devant moi, mon avenir ; et j'assiste déjà de malheureux Esprits.»

La loi des groupements dans l'espace est celle des affinités. Tous les Esprits y sont soumis. L'orientation de leurs pensées les porte naturellement vers le milieu qui leur est propre ; car la pensée est l'essence même du monde spirituel, la forme fluidique n'en étant que le vêtement. Partout, ceux qui s'aiment et se comprennent s'assemblent.

Herbert Spencer, dans un moment d'intuition, a formulé un axiome également applicable au monde visible et au monde invisible. «La vie, a-t-il dit, n'est qu'une adaptation des conditions intérieures aux conditions extérieures.»

Enclin aux choses matérielles, l'Esprit reste lié à la terre et se mêle aux hommes qui partagent ses goûts, ses appétits. Porté vers l'idéal, vers les biens supérieurs, il s'élève sans effort vers l'objet de ses désirs. Il s'unit aux sociétés de l'espace, participe à leurs travaux et jouit des spectacles, des harmonies de l'infini.

La pensée crée, la volonté édifie. La source de toutes les joies, de toutes les douleurs est dans la raison et la conscience. C'est pourquoi nous retrouvons, tôt ou tard, dans l'Au-delà, les créations de nos rêves et la réalisation de nos espérances. Mais le sentiment de la tâche inachevée ramène, en même temps que les affections et les souvenirs, la plupart des Esprits vers la terre. Toute âme retrouve le milieu que ses désirs appellent ; elle vivra dans les mondes rêvés, unie aux êtres qu'elle affectionne ; elle y retrouvera aussi les regrets, les souffrances morales que son passé a engendrés.

Nos conceptions et nos rêves nous suivent partout. Dans l'élan de leurs pensées et l'ardeur de leur foi, les adeptes de chaque religion créent des images où ils croient reconnaître les paradis entrevus. Puis, peu à peu, ils s'aperçoivent que ces créations sont factices, de pure apparence et comparables à de vastes panoramas peints sur la toile ou à d'immenses fresques. Ils apprennent alors à s'en détacher et aspirent à des réalités plus hautes et plus sensibles. Sous notre forme actuelle et dans l'étroite limite de nos facultés, nous ne pourrions comprendre les joies et les ravissements réservés aux esprits supérieurs, pas plus que les angoisses profondes ressenties par les âmes délicates parvenues aux confins de la perfection. La beauté est partout ; seuls ses aspects varient à l'infini, suivant le degré d'évolution et d'épuration des êtres.

L'Esprit avancé possède des sources de sensations et de perceptions infiniment plus étendues, plus intenses que celles de l'homme terrestre. En lui, la clairvoyance, la clairaudience, l'action à distance, la connaissance du passé et de l'avenir coexistent dans une synthèse indéfinissable, qui constitue, suivant l'expression de F. Myers, «le mystère central de la vie». Parlant des facultés des Invisibles de situation moyenne, cet auteur s'exprime ainsi :

«L'Esprit, sans être limité par l'espace et le temps, a une connaissance partielle de l'espace et du temps. Il peut s'orienter, trouver une personne vivante et la suivre à volonté. Il est capable de voir dans le présent des choses qui apparaissent pour nous comme situées dans le passé et d'autres qui sont situées dans le futur. L'Esprit est conscient des pensées et émotions de ses amis qui se rapportent à lui.»

Quant à la différence d'acuité dans les impressions, nous pouvons déjà nous en faire une idée par les rêves dits «émotifs». L'âme, dans l'état de dégagement, même incomplet, non seulement perçoit, mais ressent avec une intensité beaucoup plus vive que dans l'état de veille. Des scènes, des images, des tableaux qui, dans la veille, nous affectent faiblement deviennent dans le rêve des causes de haute satisfaction ou de vive souffrance. Nous avons là un aperçu de ce que peuvent être la vie de l'Esprit et ses modes de sensation lorsque, détaché de l'enveloppe charnelle, sa mémoire, sa conscience recouvrent la plénitude de leurs vibrations. Nous comprenons dès lors comment la reconstitution des souvenirs du passé peut devenir une source de tourments. L'âme porte en elle-même son propre juge, la sanction infaillible de ses oeuvres, bonnes ou mauvaises.

On l'a constaté au cours d'accidents qui auraient pu entraîner la mort. Dans certaines chutes, pendant la trajectoire du corps humain d'un point élevé sur le sol, ou bien dans l'asphyxie par submersion, la conscience supérieure de la victime passe en revue toute la vie écoulée, avec une rapidité effrayante. Elle la revoit tout entière en quelques minutes, dans ses moindres détails.

Carl du Prel4 en donne plusieurs exemples. Haddock cite, entre autres faits, le cas de l'amiral Beaufort5 :

«L'amiral Beaufort, étant jeune, tomba d'un navire dans les eaux de la rade de Portsmouth. Avant qu'on eût pu le secourir, il avait disparu : il se noyait. A l'angoisse du premier moment avait succédé un sentiment de calme et, quoiqu'il se tint pour perdu, il ne se débattait même plus. D'ailleurs, nulle souffrance. Au contraire, les sensations étaient d'une nature agréable, participant de ce vague bien-être qui précède le sommeil dû à la fatigue.

Avec cet affaiblissement des sens coïncidait une extraordinaire surexcitation de l'activité intellectuelle ; les idées se succédaient avec une rapidité prodigieuse. D'abord l'accident qui venait de se passer, la maladresse qui en avait été la cause, le tumulte qui avait dû s'ensuivre, la douleur dont le père de la victime allait être frappé, d'autres circonstances étroitement associées au foyer domestique, furent le sujet de ses premières réflexions. Ensuite, il se rappela sa dernière croisière, voyage coupé par un naufrage, puis l'école, les progrès qu'il y avait faits, et aussi le temps perdu, enfin ses occupations et ses aventures d'enfant. Bref, la remonte entière du fleuve de la vie, et combien détaillée et précise ! Il le dit lui-même : «Chaque incident de ma vie traversait successivement mes souvenirs, non comme une esquisse légère, mais avec les détails et les accessoires d'un tableau fini ! En d'autres mots, mon existence tout entière défilait devant moi dans une sorte de revue panoramique ; chaque fait avec son appréciation morale, ou des réflexions sur sa cause et ses effets. De petits événements sans conséquence, depuis longtemps oubliés, se pressaient dans mon imagination comme s'ils n'eussent été que de la veille.» Et tout cela s'accomplit en deux minutes.»

On peut citer encore l'attestation de Perty6 au sujet de Catherine Emmerich, qui revit de la même façon, en mourant, toute sa vie écoulée. Nous constatons par là que ce phénomène n'est pas limité aux cas d'accidents ; il paraît plutôt accompagner régulièrement le décès.

Tout ce que l'esprit a fait, voulu, pensé, se reflète en lui. Semblable à un miroir, l'âme réfléchit tout le bien, tout le mal accomplis. Ces images ne sont pas toujours subjectives ; par l'intensité de la volonté, elles peuvent revêtir un caractère substantiel. Elles vivent et se manifestent, pour notre félicité ou notre châtiment.

Devenue transparente dans l'Au-delà, l'âme se juge elle-même, comme elle est jugée par tous ceux qui la contemplent. Seule en présence de son passé, elle voit reparaître tous ses actes et leurs conséquences, toutes ses fautes, même les plus cachées. Il n'est pas de repos, pas d'oubli pour le criminel ; sa conscience, comme un justicier impitoyable, le poursuit sans cesse. En vain il cherche à échapper à ses obsessions ; son supplice ne pourra cesser que si le remords se changeant en repentir, il accepte de nouvelles épreuves terrestres, seul moyen de réparation et de relèvement.


1 Voir Après la Mort, première partie, passim.


2 Voir Dans l'Invisible, première partie.


3 Voir A. de Rochas, les Etats profonds de l'hypnose ; l'Extériorisation de la sensibilité ; les Frontières de la science.


4 Carl du Prel, Philos. der Mystik.


5 Haddock, Somnolism et Psychism, page 213, extrait du Journal de médecine de Paris.


6 Perty. Myst. Erscheinungen (Apparitions mystiques), II, page 443.
Ces trois auteurs sont cités par le docteur Pascal dans son mémoire présenté au Congrès de Psychologie de Paris, en 1900.