VI. - DEGAGEMENT ET EXTERIORISATION ; PROJECTIONS TELEPATHIQUES.

Nous arrivons maintenant à un ordre de manifestations qui se produisent à distance, sans le concours des organes, aussi bien dans la veille que pendant le sommeil. Ces phénomènes, connus sous le terme un peu général et vague de télépathie, ne sont pas, nous l'avons dit, des actes maladifs et morbides de la personnalité, comme certains observateurs l'ont cru, mais, au contraire, des cas partiels, des éclosions isolées de la vie supérieure au sein de l'humanité. On doit voir en eux la première apparition des pouvoirs futurs dont l'homme terrestre sera doté. L'examen de ces faits nous conduira à la preuve que le moi extériorisé pendant la vie et le moi survivant après la mort sont identiques et représentent deux aspects successifs de l'existence d'un seul et même être.

La télépathie, ou projection à distance de la pensée et même de l'image du manifestant, nous fait monter un degré de plus sur l'échelle de la vie psychique. Ici nous sommes en présence d'un acte puissant de la volonté. L'âme se communique elle-même en communiquant sa vibration : démonstration évidente de ce fait que l'âme n'est pas un composé, une résultante ni un agrégat de forces, mais bien, au contraire, le centre de la vie et de la volonté en nous, un centre dynamique qui commande l'organisme et en dirige les fonctions. Les manifestations télépathiques ne comportent pas de limites. Le pouvoir et l'indépendance de l'âme s'y révèlent d'une façon souveraine, car ici le corps n'a aucune part au phénomène. Il est plutôt un obstacle qu'une aide. Aussi se produisent-elles avec une intensité plus grande encore après le décès, comme nous le verrons par la suite.

«L'auto projection, dit Myers1, est le seul acte défini que l'homme semble capable d'accomplir aussi bien avant qu'après la mort corporelle.»

La communication télépathique à distance a été établie par des expériences devenues classiques. Rappelons celles de M. Pierre Janet, qui fut professeur en Sorbonne, et du docteur Gibert, du Havre, sur leur sujet Léonie, qu'ils font venir à eux, dans la nuit, à un kilomètre de distance, par des appels suggestifs2.

Depuis lors, les expériences se sont multipliées avec un succès constant. Citons seulement plusieurs cas de transmission de la pensée à grande distance.

Le Daily Express, du 17 juillet 1903, rendait compte de remarquables essais d'échanges de pensées qui avaient eu lieu dans les bureaux de la Review of reviews, Norfolk street, Strand, à Londres. Ces expériences étaient contrôlées par un comité de six membres, parmi lesquels le docteur Wallace, 39, Harley street, et W. Stead, l'éminent publiciste. Les messages télépathiques furent envoyés par M. Richardson, de Londres, et reçus par M. Franck, de Nottingham, à une distance de 110 milles anglais.

Enfin, le Banner of Light, de Boston, du 12 août 1905, relatait qu'une Américaine, Mrs. Burton Johnson, de Des Moines, venait d'obtenir le record de ce genre de transmission. Assise dans sa chambre, à l'hôtel Victoria, elle a reçu quatre fois des messages télépathiques de Palo Alto (Californie), distant de 3.000 milles. Il s'agissait, disait le journal, de faits dûment vérifiés, rigoureusement contrôlés et qui ne laissent subsister aucun doute.

La transmission des pensées et des images s'opère, nous l'avons dit, indistinctement dans le sommeil comme dans la veille. Nous en avons déjà relaté plusieurs cas ; on en trouvera d'autres, en grand nombre dans des ouvrages spéciaux ; par exemple celui d'un médecin appelé télépathiquement pendant la nuit et celui d'Agnès Paquet, signalés par Myers3. Ajoutons le cas de Mme Elgee : elle eut, au Caire, la vision d'un de ses amis qui, à ce moment même, en Angleterre, pensait vivement à elle4.

Dans les derniers jours de sa vie, ma mère me voyait souvent près d'elle, à Tours, quoique je fusse alors bien loin de là, en voyage, dans l'Est.

Tous ces phénomènes peuvent s'expliquer par la projection de la volonté du manifestant qui évoque chez le percipient l'image même de la personne agissante. Dans les cas qui vont suivre, nous verrons la personnalité psychique, l'âme, se dégager entièrement de son enveloppe corporelle et apparaître dans sa forme fantômale. Sur ce point, les témoignages abondent.

Nous avons relaté ailleurs5 les résultats des enquêtes de la Société des Recherches psychiques, de Londres. Elles ont permis de recueillir environ un millier de cas d'apparitions à distance de personnes vivantes, appuyés sur des attestations de haute valeur. Les témoignages ont été consignés en plusieurs volumes, sous forme de procès verbaux. Ils portent les signatures d'hommes de science appartenant à des académies ou corps scientifiques divers. Parmi ces noms figurent ceux de MM. Gladstone, Balfour, etc..

On attribue généralement à ces phénomènes un caractère subjectif. Mais cette opinion ne résiste pas à un examen attentif. Certaines apparitions ont été vues successivement par plusieurs personnes, aux différents étages d'une maison ; d'autres ont impressionné des animaux : chiens, chevaux, etc.. Dans certains cas, les fantômes agissent sur la matière, ouvrent des portes, déplacent des objets, laissent des traces sur la poussière recouvrant les meubles. On entend des voix qui donnent des informations sur des faits ignorés, et dont l'exactitude est reconnue plus tard.

Rappelons, dans le nombre, le cas de Mme Hawkins, dont le fantôme fut aperçu par quatre personnes à la fois et d'une façon identique6.

En France, tout un ensemble de faits de même nature ont été recueillis et publiés par les Annales des Sciences psychiques, du docteur Dariex et du professeur Ch. Richet, et par M. C. Flammarion, dans son ouvrage : la Mort et son Mystère, vol. I et II, 1921.

Citons un cas rapporté par les grands journaux de Londres, le Daily Express, l'Evening News, le Daily News, du 17 mai 1905, l'Umpire, du 14 mai, etc.. Ces organes rendaient compte de l'apparition, en pleine séance du Parlement, à la Chambre des communes, du fantôme d'un député, le major sir Carne Raschse, retenu à ce moment chez lui par une indisposition. Trois autres députés attestèrent la réalité de cette manifestation. Voici comment s'exprima Sir Gilbert Parker7 :

«Je voulais participer au débat, mais on oublia de m'appeler. Pendant que je regagnais ma place, mes yeux tombèrent sur sir Carne Raschse, assis près de sa place habituelle. Comme je savais qu'il avait été malade, je lui fis un geste amical, en lui disant : "J'espère que vous allez mieux." Mais il ne fit aucun signe de réponse. Cela m'étonna. Mon ami avait le visage très pâle. Il était assis, tranquille, appuyé sur une main ; l'expression de sa figure était impassible et dure. Je songeai un instant à ce qu'il convenait de faire ; quand je me retournai vers sir Carne, il avait disparu. Je me mis aussitôt à sa recherche, espérant le trouver dans le vestibule. Mais Raschse n'y était pas ; personne ne l'y avait vu...

Sir Carne lui-même ne doute pas d'être réellement apparu à la Chambre, sous forme de double, préoccupé qu'il était de se rendre à la séance pour appuyer de son vote le gouvernement.»

Dans le Daily News, du 17 mai 1905, sir Arthur Hayter ajoute son témoignage à celui de sir Gilbert Parker. Il dit que lui-même, non seulement vit sir Carne Raschse, mais attira l'attention de Sir Henry Campbell Bannerman sur sa présence à la Chambre.

L'extériorisation, ou dédoublement de l'être humain, peut être provoquée par l'action magnétique. Des expériences ont été faites, et devant elles aucun doute n'est possible. Le sujet, endormi, se dédouble et va produire à distance des actes matériels.

Nous avons cité le cas du magnétiseur Lewis8. En d'autres circonstances semblables, l'apparition a été photographiée. Aksakof cite trois de ces cas dans Animisme et Spiritisme. D'autres faits analogues ont été observés par W. Stead, alors directeur du Boderland.

Ainsi l'objectivité de l'âme, en sa forme fluidique, se manifestant sur des points éloignés de celui où repose son corps, est démontrée d'une manière positive et ne saurait être sérieusement contestée.

Du reste, il suffit de consulter l'Histoire pour reconnaître que le passé est rempli de faits de ce genre. Les phénomènes de bilocation des vivants sont fréquents dans les annales religieuses. Le passé n'est pas moins riche en récits et témoignages concernant les esprits des morts, et cette abondance d'affirmations, cette persistance à travers les siècles est bien de nature à indiquer qu'au milieu des superstitions et des erreurs, il doit y avoir là une part de réalité.

En effet, la manifestation et la communication à distance entre esprits incarnés conduisent, logiquement et nécessairement, à la communication possible entre esprits incarnés et désincarnés.

Les habitants de l'espace ont fourni de nombreuses preuves expérimentales de cette loi de la communion universelle, dans la mesure où elle peut être constatée rigoureusement sur la terre.

Signalons, entre autres faits, l'expérience de la Société des Recherches, de Londres, à laquelle le monde savant est redevable de tant de découvertes dans le domaine psychique. Elle a établi un système d'échanges de pensées entre les Etats-Unis et l'Angleterre, sans autre moyen que deux médiums en transe. A l'aide de ces intermédiaires, un message a été transmis par un Esprit à un autre Esprit. Ce message se composait de quatre mots latins, langue que ne connaissaient ni l'un ni l'autre de ces médiums.

Cette expérience a été surveillée, contrôlée, par le professeur Hyslop, de l'Université de Columbia, à New York. Toutes les précautions nécessaires ont été prises pour éviter les fraudes9.

Des expériences du même genre ont été poursuivies pendant l'année 1913, par Mme de Watteville, avec l'aide de deux médiums. Les Esprits «Roudolphe», «Charles» et «Emilie» ont dicté à ces médiums, l'un Mme T..., à Paris, et l'autre Mlle R..., à Vimereux (Pas-de-Calais), plusieurs messages simultanés et absolument identiques, à 260 kilomètres de distance.

«Ces correspondances croisées, dit M. le docteur Geley10, revêtent un caractère imprévu, de spontanéité et de variété qui exclut l'idée d'une fraude préparée à l'avance. Il n'était ni dans l'esprit de Mme de W... ni dans l'esprit des médiums, d'obtenir ces phénomènes.»

Lorsqu'on étudie, sous ses divers aspects, le phénomène de la télépathie, les vues d'ensemble qui s'en dégagent grandissent peu à peu, et l'on est amené à reconnaître en lui un procédé de communication d'une portée incalculable. D'abord, nous avons vu là une simple transmission presque mécanique de pensées et d'images entre deux cerveaux. Mais le phénomène va revêtir les formes les plus variées et les plus impressionnantes. Après les pensées, ce sont les projections à distance des fantômes des vivants, celles des mourants et, enfin, sans que nulle solution de continuité interrompe l'enchaînement des faits, les apparitions des morts, alors que le voyant n'a, dans la plupart des cas, aucune connaissance du décès des personnages apparus. Il y a là une série continue de manifestations qui se graduent dans leurs effets et concourent à démontrer l'indestructibilité de l'âme.

L'action télépathique ne connaît pas de bornes. Elle supprime tous les obstacles et relie les vivants de la terre aux vivants de l'espace, le monde visible aux mondes invisibles, l'homme à Dieu ; elle les unit de la manière la plus étroite, la plus intime.

Les moyens de transmission qu'elle nous révèle constituent la base des relations sociales entre les esprits, leur mode usuel d'échanger les idées et les sensations. Le phénomène appelé télépathie sur la terre n'est autre chose que le procédé de communication entre tous les êtres pensants de la vie supérieure, et la prière est une de ses formes les plus puissantes, une de ses applications les plus hautes et les plus pures. La télépathie est la manifestation d'une loi universelle et éternelle.

Tous les êtres, tous les corps échangent des vibrations. Les astres s'influencent à travers les immensités sidérales ; de même, les âmes, qui sont des systèmes de forces et des foyers de pensées, s'impressionnent mutuellement et peuvent se communiquer à toutes distances11. L'attraction s'étend aux âmes comme aux astres ; elle les attire vers un centre commun, centre éternel et divin. Un double rapport s'établit : leurs aspirations montent vers lui sous forme d'appels et de prières ; des secours en descendent sous forme de grâces et d'inspirations.

Les grands poètes, écrivains, artistes, les sages et les purs connaissent ces impulsions, ces inspirations soudaines, ces lueurs de génie qui illuminent le cerveau comme des éclairs et semblent provenir d'un monde supérieur, dont elles reflètent la grandeur et l'enivrante beauté. Ou bien ce sont des visions de l'âme ; dans un élan extatique, elle voit s'entrouvrir ce monde inaccessible, elle en perçoit les radiations, les essences, les lumières.

Tout cela nous le démontre : l'âme est susceptible d'être impressionnée par d'autres moyens que les organes, de recueillir des connaissances dépassant la portée des choses terrestres et provenant d'une cause spirituelle. C'est grâce à ces lueurs, à ces éclairs, qu'elle entrevoit dans la vibration universelle le passé et l'avenir ; elle perçoit la genèse des formes, formes d'art et de pensée, de beauté et de sainteté, d'où découlent à jamais des formes nouvelles, dans une variété inépuisable comme la source dont elles émanent.

Considérons ces choses à un point de vue plus immédiat, voyons leurs conséquences dans le milieu terrestre. Déjà, par les faits télépathiques, l'évolution humaine s'accentue. L'homme conquiert de nouveaux pouvoirs psychiques, qui lui permettront, un jour, de manifester sa pensée à toutes distances, sans intermédiaire matériel. Ce progrès constitue une des plus magnifiques étapes de l'humanité vers une vie plus intense et plus libre. Il pourrait être le prélude de la plus grande révolution morale qui se soit produite sur notre globe ; par là, en effet, le mal serait vaincu ou considérablement atténué. Quand l'homme n'aura plus de secrets, qu'on pourra lire ses pensées dans son cerveau, il n'osera plus mal penser et, par conséquent, mal faire.

Ainsi, toujours, l'âme humaine montera, gravissant l'échelle des développements infinis. Les temps viendront où, de plus en plus, l'intelligence prédominera, se dégageant de la chrysalide charnelle, étendant, affirmant son empire sur la matière, créant par ses efforts des moyens nouveaux et plus étendus de perception et de manifestation. Les sens, à leur tour, affinés, verront s'élargir leur cercle d'action. Le cerveau humain deviendra comme un temple mystérieux, aux nefs vastes et profondes, emplies d'harmonies, de voix, de parfums, instrument admirable au service d'un esprit devenu plus subtil et plus puissant.

Et en même temps que la personnalité humaine - âme et organisme - la patrie terrestre se transformera. Pour que le milieu évolue, l'individu doit évoluer d'abord lui-même. C'est l'homme qui fait l'humanité, et l'humanité, par son action constante, transforme sa demeure. Il y a équilibre absolu et relation étroite entre le moral et le physique. La pensée et la volonté sont les outils par excellence à l'aide desquels nous pouvons tout transformer, en nous et autour de nous. N'ayons que des pensées hautes et pures ; aspirons à tout ce qui est grand, noble et beau. Peu à peu nous sentirons notre être se régénérer et, avec lui, de proche en proche, le milieu tout entier, le globe et l'humanité !

Dans notre ascension, nous arriverons à mieux comprendre et à pratiquer cette communion universelle qui relie tous les êtres. Inconsciente dans les états inférieurs de l'existence, cette communion devient de plus en plus consciente à mesure que l'être s'élève et parcourt les degrés innombrables de l'évolution, pour aboutir un jour à cet état de spiritualité où chaque âme, rayonnante de l'éclat des puissances acquises, dans l'élan de son amour, vit de la vie de tous et se sent unie à tous dans l'oeuvre éternelle et infinie.


1 Myers, la Personnalité humaine, etc., page 250.


2 Voir Bulletin de la Société de psychologie physiologique, I., page 24.


3 Phantasms of the living, I, 267. Proceedings, VII, 32-35.


4 Idem, II, 239.


5 Voir Après la mort : III° partie. Dans l'Invisible, Chap. XI.


6 Voir Phantasms of the living, II, 61, 78, 96, 100, 144.


7 The Umpire, du 14 mai 1905. Reproduit par les Annales des Sciences psychiques, juin 1905.


8 Revue scientifique du Spiritisme, février 1905, page 457.


9 On peut lire le récit de ce fait dans les Proceedings de la S.P.R..


10 Docteur Geley, Contribution à l'étude des correspondances croisées, in-12, Paris, impr. E. Roussel (1914).


11 Sir W. Crookes, dans un discours à la British Association, en 1898, sur la loi des vibrations, déclare qu'elle est la loi naturelle qui régit «toutes communications psychiques». La télépathie semble même s'étendre aux animaux. Il existe des faits indiquant une communication télépathique entre hommes et animaux. Voir dans les Annales des Sciences psychiques, août 1905, pages 469 et suiv., l'étude très documentée de M. E. Bozzano, Perceptions psychiques et animaux.