II. - LE CRITERIUM DE LA DOCTRINE DES ESPRITS.

Le spiritualisme moderne repose sur tout un ensemble de faits : les uns, simplement physiques, nous ont révélé l'existence et le mode d'action de forces longtemps inconnues ; les autres ont un caractère intelligent, ce sont : l'écriture directe ou automatique, la typtologie, les discours prononcés dans la transe ou incorporation. Toutes ces manifestations, nous les avons passées en revue et analysées ailleurs1. Nous avons vu qu'elles s'accompagnent fréquemment de marques, de preuves établissant l'identité et l'intervention d'âmes humaines qui ont vécu sur la terre et sont libérées par la mort.

C'est au moyen de ces phénomènes que les Esprits2 ont répandu leurs enseignements dans le monde, et ces enseignements ont été, comme nous le verrons, confirmés sur bien des points par l'expérience.

Le nouveau spiritualisme s'adresse donc à la fois aux sens et à l'intelligence. Expérimental, quand il étudie les phénomènes qui lui servent de base ; rationnel, quand il contrôle les enseignements qui en découlent, il constitue un instrument puissant pour la recherche de la vérité, puisqu'il peut servir simultanément dans tous les domaines de la connaissance.

Les révélations des Esprits, disions-nous, sont confirmées par l'expérience. Sous le nom de fluides, les Esprits nous ont enseigné théoriquement et démontré pratiquement, dès 18503, l'existence des forces impondérables que la science rejetait a priori. Le premier parmi les savants jouissant d'une grande autorité, sir W. Crookes a constaté, depuis, la réalité de ces forces, et la science actuelle en reconnaît chaque jour l'importance et la variété, grâce aux découvertes célèbres de Roentgen, Hertz, Becquerel, Curie, G. Le Bon, etc..

Les Esprits affirmaient et démontraient l'action possible de l'âme sur l'âme, à toutes distances, sans le secours des organes, et cet ordre de faits ne soulevait pas moins d'opposition et d'incrédulité.

Or, les phénomènes de la télépathie, de la suggestion mentale, de la transmission des pensées, observés et provoqués aujourd'hui en tous milieux, sont venus, par milliers, confirmer ces révélations.

Les Esprits enseignaient la préexistence, la survivance, les vies successives de l'âme.

Et voici que les expériences de F. Colavida, E. Marata, celles du colonel de Rochas, les miennes, etc., établissent que non seulement les souvenirs des moindres détails de la vie actuelle, jusque dans la plus tendre enfance, mais encore ceux des vies antérieures, sont gravés dans les replis cachés de la conscience. Tout un passé, voilé à l'état de veille, reparaît, revit dans la transe. En effet, ces souvenirs ont pu être reconstitués chez un certain nombre de sujets endormis, comme nous l'établirons plus loin, lorsque nous aborderons plus spécialement cette question4.

On le voit, le spiritualisme moderne ne saurait, à l'exemple des anciennes doctrines spiritualistes, être considéré comme un pur concept métaphysique. Il se présente avec un tout autre caractère et répond aux exigences d'une génération élevée à l'école du criticisme et du rationalisme, rendue défiante par les exagérations d'un mysticisme maladif et agonisant.

Croire ne suffit plus aujourd'hui ; on veut savoir. Aucune conception philosophique ou morale n'a chance de succès si elle ne s'appuie sur une démonstration à la fois logique, mathématique et positive et si, en outre, elle n'est couronnée par une sanction qui satisfasse tous nos instincts de justice.

On peut remarquer que ces conditions, Allan Kardec les a parfaitement remplies dans le magistral exposé que contient son Livre des Esprits.

Ce livre est le résultat d'un immense travail de classement, de coordination, d'élimination portant sur d'innombrables messages, venus de sources diverses, inconnues les unes des autres, messages obtenus sur tous les points du monde et que ce compilateur éminent a réuni, après s'être assuré de leur authenticité. Il a eu soin d'écarter les opinions isolées, les témoignages douteux, pour ne retenir que les points sur lesquels les affirmations étaient concordantes.

Ce travail est loin d'être terminé. Il se poursuit tous les jours, depuis la mort du grand initiateur. Déjà nous possédons une synthèse puissante, dont Kardec a tracé les grandes lignes et que les héritiers de sa pensée s'efforcent de développer avec le concours du monde invisible. Chacun d'eux apporte son grain de sable à l'édifice commun, à cet édifice dont les bases se fortifient chaque jour par l'expérimentation scientifique, mais dont le couronnement s'élèvera toujours plus haut.

Moi-même, je puis le dire, j'ai été favorisé des enseignements de guides spirituels, dont l'assistance et les conseils ne m'ont jamais fait défaut depuis quarante années. Leurs révélations ont pris un caractère particulièrement didactique au cours de séances qui se sont succédé pendant huit ans et dont j'ai souvent parlé dans un précédent ouvrage5.

Dans l'oeuvre d'Allan Kardec, l'enseignement des Esprits est accompagné, pour chaque question, de considérations, de commentaires, d'éclaircissements qui font ressortir avec plus de netteté la beauté des principes et l'harmonie de l'ensemble. C'est en cela que se montrent les qualités de l'auteur. Il s'est attaché, avant tout, à donner un sens clair et précis aux expressions qui reviennent habituellement dans son raisonnement philosophique ; puis à bien définir les termes qui pouvaient être interprétés dans des sens différents. Il savait que la confusion qui règne dans la plupart des systèmes provient du défaut de clarté des expressions familières à leurs auteurs.

Une autre règle, non moins essentielle dans tout exposé méthodique et qu'Allan Kardec a scrupuleusement observé, est celle qui consiste à circonscrire les idées et à les présenter dans des conditions qui les rendent compréhensibles pour tout lecteur. Enfin, après avoir développé ces idées dans un ordre et par un enchaînement qui les reliaient entre elles, il a su en dégager des conclusions, qui constituent déjà, dans l'ordre rationnel et dans la mesure des concepts humains, une réalité, une certitude.

C'est pourquoi nous nous proposons d'adopter ici les termes, les vues, les méthodes utilisés par Allan Kardec, comme étant les plus sûrs, en nous réservant d'ajouter à notre travail tous les développements résultant des cinquante années de recherches et d'expérimentation qui se sont écoulées depuis l'apparition de ses oeuvres.

On le voit donc par tout ceci, la doctrine des Esprits, dont Kardec était l'interprète et le compilateur judicieux, réunit, au même titre que les systèmes philosophiques les plus appréciés, les qualités essentielles de clarté, de logique et de rigueur.

Mais, ce qu'aucun système ne pouvait offrir, c'est l'imposant ensemble de manifestations à l'aide desquelles cette doctrine s'est affirmée d'abord dans le monde, puis a pu être contrôlée, chaque jour, en tous milieux. Elle s'adresse aux hommes de tous rangs, de toutes conditions, et non seulement à leurs sens, à leur intelligence, mais aussi à ce qu'il y a de meilleur en eux, à leur raison, à leur conscience. Ces puissances intimes ne constituent-elles pas, dans leur union, un critérium du bien et du mal, du vrai et du faux, plus ou moins clair ou voilé, sans doute, selon l'avancement des âmes, mais qu'on retrouve en chacune d'elles comme un reflet de l'éternelle raison dont elles émanent ?

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Il y a deux choses dans la doctrine des Esprits : une révélation du monde spirituel et une découverte humaine ; c'est-à-dire : d'une part, un enseignement universel, extra-terrestre, identique à lui-même dans ses parties essentielles et son sens général ; de l'autre, une confirmation personnelle et humaine, qui se poursuit suivant les règles de la logique, de l'expérience et de la raison. La conviction qui s'en dégage se fortifie et se précise de plus en plus, à mesure que les communications deviennent plus nombreuses et que, par cela même, les moyens de vérification se multiplient et s'étendent.

Nous n'avions connu jusqu'ici que des systèmes personnels, des révélations particulières. Aujourd'hui, ce sont des milliers de voix, les voix des défunts, qui se font entendre. Le monde invisible entre en action, et dans le nombre de ses agents, d'éminents Esprits se laissent reconnaître par la force et la beauté de leurs enseignements. Les grands génies de l'espace, poussés par une impulsion divine, viennent guider la pensée vers de radieux sommets6.

N'y a-t-il pas là une dispensation autrement vaste et grandiose que toutes celles du passé ? La différence dans les moyens n'a d'égale que celle des résultats. Comparons :

La révélation personnelle est faillible. Tous les systèmes philosophiques humains, toutes les théories individuelles, aussi bien celles d'Aristote, de Thomas d'Aquin, de Kant, de Descartes, de Spinoza que celles de nos contemporains, sont nécessairement influencées par les opinions, les tendances, les préjugés, les sentiments du révélateur. Il en est de même pour les conditions de temps et de lieu dans lesquelles elles se produisent. On pourrait en dire autant des doctrines religieuses.

La révélation des Esprits, impersonnelle, universelle, échappe à la plupart de ces influences, en même temps qu'elle réunit la plus grande somme de probabilités, sinon de certitudes. Elle ne peut être ni étouffée, ni dénaturée. Aucun homme, aucune nation, aucune église n'en a le privilège. Elle défie toutes les inquisitions et se produit là où l'on s'attend le moins à la rencontrer. On a vu les hommes qui lui étaient le plus hostiles, ramenés à d'autres vues par la puissance des manifestations, remués jusqu'au fond de l'âme par les appels et les exhortations de leurs proches décédés, se faire d'eux-mêmes les instruments d'une active propagande.

Les avertis comme saint Paul ne manquent pas dans le spiritisme, et ce sont des phénomènes d'un ordre semblable à celui du «chemin de Damas» qui ont provoqué leur changement d'opinion.

Les Esprits ont suscité de nombreux médiums dans tous les milieux, au sein des classes et des partis les plus divers et même jusqu'au fond des sanctuaires. Des prêtres, des pasteurs ont reçu leurs instructions et les ont propagées ouvertement ou bien sous le voile de l'anonymat7. Leurs parents, leurs amis défunts, remplissaient près d'eux l'office de maîtres et de révélateurs, ajoutant à leurs enseignements des preuves formelles, irrécusables, de leur identité.

C'est par de tels moyens que le spiritisme a pu envahir le monde et le couvrir de ses foyers. Il existe un majestueux accord dans toutes ces voix qui se sont élevées simultanément pour faire entendre à nos sociétés sceptiques la bonne nouvelle de la survivance, et fournir l'explication des problèmes de la mort et de la douleur. La révélation a pénétré par voie médianimique au coeur des familles et jusqu'au fond des bouges et des enfers sociaux. N'a-t-on pas vu les forçats du bagne de Tarragone adresser au Congrès spirite international de Barcelone, en 1888, une adhésion touchante en faveur d'une doctrine qui, disaient-ils, les avait ramenés au bien et réconciliés avec le devoir8 !

Dans le spiritisme, la multiplicité des sources d'enseignement et de diffusion constitue donc un contrôle permanent, qui déjoue et rend stériles toutes les oppositions, toutes les intrigues. Par sa nature même, la révélation des Esprits se dérobe aux tentatives d'accaparement ou de falsification. Devant elle, les velléités de dissidence ou de domination restent stériles, car si l'on parvenait à l'éteindre ou à la dénaturer sur un point, elle se rallumerait aussitôt sur cent autres, se jouant ainsi des ambitions malsaines et des perfidies.

Dans cet immense mouvement révélateur, les âmes obéissent à des ordres venus d'en haut ; elles le déclarent elles-mêmes. Leur action est réglée d'après un plan tracé à l'avance et qui se déroule avec une majestueuse ampleur. Un conseil invisible préside à son exécution, du sein des espaces. Il est composé de grands Esprits de toutes les races, de toutes les religions, des âmes d'élite qui ont vécu en ce monde suivant la loi d'amour et de sacrifice. Ces puissances bienfaisantes planent entre le ciel et la terre, les unissant d'un trait de lumière, par lequel montent sans cesse les prières et descendent les inspirations.

En ce qui touche la concordance des enseignements spirites, il est pourtant un fait, une exception qui a frappé certains observateurs, et dont on s'est servi comme d'un argument capital contre le spiritisme. Pourquoi, nous objecte-t-on, les Esprits qui, dans l'ensemble des pays latins, affirment la loi des vies successives et les réincarnations de l'âme sur la terre, la nient-ils, ou la passent-ils sous silence dans les pays anglo-saxons ? Comment expliquer une contradiction aussi flagrante ? N'y a-t-il pas là de quoi détruire l'unité de doctrine qui caractérise la révélation nouvelle ?

Remarquons qu'il n'y a pas là de contradiction, mais simplement une gradation nécessitée par des préjugés de caste, de race et de religion, invétérés en certains pays. L'enseignement des Esprits, plus complet, plus étendu dès le principe dans les milieux latins, a été restreint à l'origine et gradué en d'autres régions pour des raisons d'opportunité. On peut constater que le nombre s'accroît tous les jours, en Angleterre et en Amérique, des communications spirites affirmant le principe des réincarnations successives. Plusieurs d'entre elles fournissent même des arguments précieux dans la discussion ouverte entre spiritualistes de différentes écoles. L'idée réincarnationiste a gagné assez de terrain au-delà de l'Atlantique pour qu'un des principaux organes spiritualistes américains lui ait été entièrement acquis. Le Light, de Londres, après avoir longtemps écarté cette question, la discute aujourd'hui avec impartialité.

Il semble donc que, s'il y a eu des ombres et des contradictions au début, elles n'étaient qu'apparentes et ne résistent guère à un examen sérieux.

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Comme toutes les nouvelles doctrines, la révélation spirite a soulevé bien des objections et des critiques. Relevons-en quelques-unes. Tout d'abord, on nous accuse de nous être trop pressés de philosopher ; on nous blâme d'avoir édifié, sur la base des phénomènes, un système hâtif, une doctrine prématurée, et d'avoir compromis ainsi le caractère positif du spiritualisme moderne.

Un écrivain de valeur, se faisant l'interprète d'un certain nombre de psychistes, résumait leurs critiques en ces termes : «Une objection sérieuse contre l'hypothèse spirite est celle qui se réfère à la philosophie dont certains hommes trop pressés ont doté le spiritisme. Le spiritisme, qui ne devrait être encore qu'une science à peine débutante, est déjà une philosophie immense, pour laquelle l'univers n'a pas de secrets.»

Nous pourrions rappeler à cet auteur que les hommes dont il parle n'ont joué en tout ceci que le rôle d'intermédiaires, se bornant à coordonner et à publier les enseignements qui leur parvenaient par voie médianimique.

D'autre part, remarquons-le, il y aura toujours des indifférents, des sceptiques, des attardés pour trouver que nous nous sommes trop pressés. Aucun progrès ne serait possible s'il fallait attendre les retardataires. Il est vraiment plaisant de voir des gens qui s'intéressent d'hier à ces questions, régenter des hommes comme Allan Kardec, par exemple. Celui-ci ne s'est hasardé à publier ses travaux qu'après des années de laborieuses recherches et de mûres réflexions, obéissant en cela à des ordres formels et puisant à des sources d'information dont nos excellents critiques ne semblent même pas avoir une idée.

Tous ceux qui suivent avec attention le développement des études psychiques, peuvent constater que les résultats acquis sont venus confirmer sur tous ses points et fortifier de plus en plus l'oeuvre de Kardec.

Frédéric Myers, l'éminent professeur de Cambridge, qui fut pendant vingt ans, dit Ch. Richet, l'âme de la Society for psychical Research, de Londres, et que le Congrès officiel international de psychologie de Paris éleva, en 1900, à la dignité de président d'honneur, Myers le déclare dans les dernières pages de son oeuvre magistrale : la Personnalité humaine, sa Survivance, dont la publication a produit dans le monde savant une sensation profonde : «Pour tout chercheur éclairé et consciencieux, ces recherches aboutissent logiquement et nécessairement à une vaste synthèse philosophique et religieuse.» Partant de ces données, il consacre son dixième chapitre à une «généralisation ou conclusion qui établit un rapport plus clair entre les nouvelles découvertes et les schémas déjà existants de la pensée et des croyances des hommes civilisés9

Il termine ainsi l'exposé de son travail :

«... Bacon avait prévu la victoire progressive de l'observation et de l'expérience dans tous les domaines des études humaines ; dans tous, sauf un : le domaine des "choses divines". Je tiens à montrer que cette grande exception n'est pas justifiée. Je prétends qu'il existe une méthode d'arriver à la connaissance de ces choses divines avec la même certitude, la même assurance auxquelles nous devons les progrès dans la connaissance des choses terrestres. L'autorité des Eglises sera ainsi remplacée par celle de l'observation et de l'expérience. Les impulsions de la foi se transformeront en convictions raisonnées et résolues qui feront naître un idéal supérieur à tous ceux que l'humanité avait connus jusqu'ici

Ainsi, ce que certains critiques à courtes vues considèrent comme une tentative prématurée, apparaît à F. Myers comme «une évolution nécessaire et inévitable». La synthèse philosophique qui couronne son oeuvre a reçu les plus hautes approbations. Pour sir Oliver Lodge, l'académicien anglais, «elle constitue vraiment un des schémas de l'existence les plus vastes, les plus compréhensibles et les mieux fondés qu'on ait jamais vus10

Le professeur Flournoy, de Genève, en fait le plus grand éloge dans ses Archives de psychologie de la Suisse romande (juin 1903).

En France, d'autres hommes de science, sans être spirites, aboutissent à des conclusions identiques.

M. Maxwell, docteur en médecine, procureur général près la Cour d'appel de Bordeaux, s'exprimait ainsi11 :

«Le spiritisme vient à son heure et répond à un besoin général... L'extension que prend cette doctrine est un des plus curieux phénomènes de l'époque actuelle. Nous assistons à ce qui me paraît être la naissance d'une véritable religion, sans cérémonial rituel et sans clergé, mais ayant des assemblées et des pratiques. Je trouve pour ma part un intérêt extrême à ces réunions et j'ai l'impression d'assister à la naissance d'un mouvement religieux appelé à de grandes destinées.»

En face de ces témoignages, les récriminations de nos contradicteurs tombent d'elles-mêmes. A quoi devons-nous attribuer leur aversion pour la doctrine des Esprits ? Serait-ce à ce fait, que l'enseignement spirite, avec sa loi des responsabilités, l'enchaînement des causes et des effets qu'il nous montre dans le domaine moral, et les exemples de sanction qu'il nous apporte, devient un terrible gêneur pour quantité de personnes peu soucieuses de philosophie ?

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Parlant des faits psychiques, F. Myers dit12 : «Ces observations, expériences et inductions ouvrent la porte à une révélation.» Il est évident que le jour où des relations ont été établies avec le monde des Esprits, par la force même des choses, le problème de l'être et de la destinée s'est posé aussitôt avec toutes ses conséquences, et sous des aspects nouveaux.

Quoi qu'on puisse dire, il n'était pas possible de communiquer avec nos parents et amis défunts en faisant abstraction de tout ce qui se rattache à leur mode d'existence ; en se désintéressant de leurs vues, forcément élargies et différentes de ce qu'elles étaient sur la terre, au moins pour les âmes déjà évoluées.

A aucune époque de l'Histoire, l'homme n'a pu se soustraire à ces grands problèmes de l'être, de la vie, de la mort, de la douleur. Malgré son impuissance à les résoudre, ils l'ont sans cesse hanté, revenant toujours avec plus de force, chaque fois qu'il tentait de les écarter, se glissant dans tous les événements de sa vie, dans tous les replis de son entendement, frappant pour ainsi dire, aux portes de sa conscience. Et lorsqu'une source nouvelle d'enseignements, de consolations, de forces morales, lorsque de vastes horizons s'ouvrent à la pensée, comment celle-ci pourrait-elle rester indifférente ? Ne s'agit-il pas de nous, en même temps que de nos proches ? N'est-ce pas notre sort futur, notre sort de demain qui est en question ?

Eh quoi ! ce tourment, cette angoisse de l'inconnu qui assiège l'âme à travers les temps ; cette intuition confuse d'un monde meilleur, pressenti, désiré ; ce souci de Dieu et de sa justice peuvent être, dans une nouvelle et plus large mesure, apaisés, éclairés, satisfaits, et nous en dédaignerions les moyens ? N'y a-t-il pas, dans ce désir, dans ce besoin de la pensée de sonder le grand mystère, un des plus beaux privilèges de l'être humain ; n'est-ce pas là ce qui fait la dignité, la beauté, la raison d'être de sa vie ?

Et chaque fois que nous avons méconnu ce droit, ce privilège ; chaque fois que, renonçant pour un temps à tourner ses regards vers l'Au-delà, à diriger ses pensées vers une vie plus haute, l'homme a voulu restreindre son horizon à la vie présente, n'a-t-on pas vu, dans ce même temps, les misères morales s'aggraver, le fardeau de l'existence s'appesantir plus lourdement sur les épaules des malheureux, le désespoir et le suicide multiplier leurs ravages, et les sociétés s'acheminer vers la décadence et l'anarchie ?

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Un autre genre d'objection est celui-ci : La philosophie spirite, nous dit-on, n'a pas de consistance. Les communications sur lesquelles elle repose proviennent, le plus souvent, du médium lui-même, de son propre inconscient, ou bien des assistants. Le médium en transe «lit dans l'esprit des consultants les doctrines qui y sont entassées, doctrines éclectiques, empruntées à toutes les philosophies du monde et surtout à l'hindouisme».

L'auteur de ces lignes a-t-il bien réfléchi aux difficultés que doit présenter un tel exercice ? Serait-il capable de nous expliquer les procédés à l'aide desquels on peut lire, à première vue, dans le cerveau d'autrui, les doctrines qui y sont «entassées» ? S'il le peut, qu'il le fasse, sinon nous serons fondés à voir dans ses allégations des mots, rien que des mots, employés à la légère et pour les besoins d'une critique de parti pris. Tel qui ne veut pas paraître dupe des sentiments est souvent dupé par les mots. L'incrédulité systématique sur un point devient de la crédulité naïve sur un autre13.

Rappelons d'abord que les opinions de la plupart des médiums, au début des manifestations, étaient entièrement opposées à celles exprimées par les messages. Presque tous avaient reçu une éducation religieuse et étaient imbus des idées de paradis et d'enfer. Leurs vues sur la vie future, quand ils en avaient, différaient sensiblement de celles exposées par les Esprits. C'est encore fréquemment le cas aujourd'hui ; c'était celui de trois médiums de notre groupe, dames catholiques et pratiquantes qui, malgré les enseignements philosophiques qu'elles recevaient et transmettaient, ne renoncèrent jamais complètement à leurs habitudes cultuelles.

Quant aux assistants, aux auditeurs, aux personnes désignées sous le nom de «consultants», n'oublions pas non plus qu'à l'aube du spiritisme, en France, c'est-à-dire vers l'époque d'Allan Kardec, les hommes possédant des notions de philosophie, soit orientale, soit druidique, comportant la théorie des transmigrations ou vies successives de l'âme, ces hommes étaient bien peu nombreux, et il fallait les chercher au sein des académies ou dans quelques milieux scientifiques très fermés.

Nous demanderons à nos contradicteurs comment des médiums innombrables, dispersés sur tous les points de la terre, inconnus les uns des autres, auraient pu arriver à constituer d'eux-mêmes les bases d'une doctrine assez solide pour résister à toutes les attaques, à tous les assauts, assez exacte pour que ses principes aient pu être confirmés et se confirment chaque jour par l'expérience, comme nous l'avons établi au début de ce chapitre.

Au sujet de la sincérité des communications médianimiques et de leur portée philosophique, rappelons les paroles d'un orateur, dont les opinions ne paraîtront pas suspectes aux yeux de tous ceux qui connaissent l'aversion de la plupart des hommes d'église pour le spiritisme.

Dans un sermon, prononcé le 7 avril 1899, à New York, le révérend J. Savage, prédicateur de renom, disait :

«Les balivernes qui, soi-disant, viennent de l'Au-delà, sont légion. Et, en même temps, il existe toute une littérature de morale des plus pures et d'enseignements spiritualistes incomparables. Je sais un livre, par exemple, dont l'auteur était un gradué d'Oxford, pasteur de l'Église anglaise, et qui est devenu spirite et médium14. Son livre a été écrit automatiquement. Parfois, pour détourner sa pensée du travail qu'accomplissait sa main, il lisait Platon en grec. Et son livre, contrairement à ce que l'on admet en général pour des oeuvres de ce genre, se trouvait en opposition absolue avec ses propres croyances religieuses, si bien qu'il se convertit avant qu'il l'eût terminé. Cet ouvrage renferme des enseignements moraux et spirituels dignes de n'importe quelle Bible du monde.

Les premiers âges du christianisme, vous vous en souviendrez si vous lisez saint Paul, étaient composés de gens avec lesquels les personnes considérées ne voulaient avoir rien de commun. Le spiritualisme a débuté jusqu'aux temps actuels par un groupement du même genre. Mais, de nos jours, beaucoup de noms fameux se rangent sous cette bannière, et l'on y trouve les hommes les meilleurs et les plus intelligents. Rappelez-vous donc que c'est un grand mouvement très sincère en général15

Dans son discours, le révérend Savage a su faire la part des choses. Il est certain que les communications médianimiques n'offrent pas toutes un égal intérêt. Beaucoup se composent de banalités, de redites, de lieux communs. Tous les Esprits ne sont pas aptes à nous donner d'utiles et profonds enseignements. Comme sur la terre et plus encore, l'échelle des êtres, dans l'espace, comporte des degrés infinis. On y rencontre les plus nobles intelligences comme les âmes les plus vulgaires. Mais, parfois, les esprits inférieurs, eux-mêmes, en nous décrivant leur situation morale, leurs impressions à la mort et dans l'Au-delà, en nous initiant aux détails de leur nouvelle existence, nous fournissent des matériaux précieux pour déterminer les conditions de la survivance selon les diverses catégories d'esprits. Il y a donc des éléments d'instruction à puiser un peu partout dans nos rapports avec les Invisibles. Cependant, tout n'est pas à retenir. C'est à l'expérimentateur prudent et avisé à savoir séparer l'or de sa gangue. La vérité ne nous arrive pas toujours nue, et l'action d'en haut laisse aux facultés et à la raison de l'homme le champ nécessaire pour s'exercer et se développer.

En tout ceci, de sérieuses précautions doivent être prises, un continuel et vigilant contrôle doit être exercé. Il faut se mettre en garde contre les fraudes, conscientes ou inconscientes, et voir s'il n'y a pas, dans les messages écrits, un simple cas d'automatisme. Dans ce but, il convient de s'assurer que les communications, par la forme et par le fond, sont au-dessus des capacités du médium. Il faut exiger des preuves d'identité de la part des manifestants et ne se départir de toute rigueur que dans les cas où les enseignements, par leur supériorité et leur majestueuse ampleur, s'imposent d'eux-mêmes et surpassent de bien haut les possibilités du transmetteur.

Quand l'authenticité des communications est assurée, il faut encore comparer entre eux, et passer au crible d'un jugement sévère, les principes scientifiques et philosophiques qu'elles exposent, et accepter seulement les points sur lesquels la presque unanimité des vues est établie.

En dehors des fraudes d'origine humaine, il y a aussi les mystifications de source occulte. Tous les expérimentateurs sérieux savent qu'il existe deux spiritismes. L'un pratiqué à tort et à travers, sans méthode, sans élévation de pensée, attire à nous les badauds de l'espace, les Esprits légers et moqueurs, qui sont nombreux dans l'atmosphère terrestre. L'autre, plus grave, pratiqué avec mesure, avec un sentiment respectueux, nous met en rapport avec les Esprits avancés, désireux de secourir et d'éclairer ceux qui les appellent d'un coeur fervent. C'est là ce que les religions ont connu et désigné sous le nom de «communion des saints».

On demande encore : Comment, dans ce vaste ensemble de communications dont les auteurs sont invisibles, peut-on distinguer ce qui provient des entités supérieures et doit être conservé ? A cette question, il n'est qu'une réponse : Comment distinguons-nous les bons et les mauvais livres des auteurs depuis longtemps décédés ? Comment distinguer un langage noble et élevé d'un langage banal et vulgaire ? N'avons-nous pas un jugement, une règle pour mesurer la qualité des pensées, qu'elles proviennent de notre monde ou de l'autre ? Nous pouvons juger les messages médianimiques surtout par leurs effets moralisateurs ; ils sont grands parfois et ont amélioré bien des caractères, purifié bien des consciences. C'est là le plus sûr critérium de tout enseignement philosophique.

Dans nos rapports avec les Invisibles, il existe aussi des signes de reconnaissance pour distinguer les bons Esprits des âmes arriérées. Les sensitifs reconnaissent facilement la nature des fluides : doux, agréables chez les bons ; violents, glacials, pénibles à supporter chez les esprits mauvais. Un de nos médiums annonçait toujours à l'avance l'arrivée de «l'Esprit bleu», qui se révélait par des vibrations harmonieuses et des radiations brillantes. Il en est qui se distinguent à l'odeur, perceptible pour certains médiums. Délicates, suaves chez les uns16, ces odeurs sont répugnantes chez d'autres. L'élévation d'un Esprit se mesure à la pureté de ses fluides, à la beauté de sa forme et de son langage.

Dans cet ordre de recherches, ce qui frappe, persuade et convainc le plus, ce sont les entretiens établis avec ceux de nos parents et amis qui nous ont précédés dans la vie de l'espace. Quand des preuves incontestables d'identité nous ont assurés de leur présence, que l'intimité d'autrefois, la confiance et l'abandon règnent de nouveau entre eux et nous, les révélations obtenues dans ces conditions prennent un caractère des plus suggestifs. Devant elles, les dernières hésitations du scepticisme s'évanouissent forcément pour faire place aux élans du coeur.

Peut-on résister en effet aux accents, aux appels de ceux qui ont partagé notre vie, entouré nos premiers pas de leur tendre sollicitude, de ces compagnons de notre enfance, de notre jeunesse, de notre virilité, qui, un à un, se sont évanouis dans la mort, laissant, à chaque départ, notre route plus solitaire, plus désolée ? Ils reviennent dans la transe, avec des attitudes, des inflexions de voix, des rappels de souvenirs, avec mille et mille preuves d'identité, banales dans leurs détails pour des étrangers, mais si émouvantes pour les intéressés ! Ils nous instruisent des problèmes de l'Au-delà, nous exhortent et nous consolent. Les hommes les plus froids, les plus doctes expérimentateurs, comme le professeur Hyslop, n'ont pu résister à ces influences d'outre-tombe17. Ceci le démontre : il n'y a pas seulement, dans le spiritisme, comme certains le prétendent, des pratiques frivoles et abusives, mais plutôt un mobile noble et généreux, c'est-à-dire l'attachement à nos morts, l'intérêt que nous portons à leur souvenir. N'est-ce pas là un des côtés les plus respectables de la nature humaine, un des sentiments, une des forces qui élèvent l'homme au-dessus de la matière et le différencient de la brute ?

Puis, à côté, au-dessus des exhortations émues de nos proches, signalons les envolées puissantes des Esprits de génie, les pages écrites fiévreusement, dans la demi-obscurité, par des médiums de notre connaissance, incapables d'en comprendre la valeur et la beauté, mais où la splendeur du style s'allie à la profondeur des idées. Ou bien ces discours impressionnants, comme nous en entendîmes souvent dans notre groupe d'études, discours prononcés par l'organe d'un médium très modeste de savoir et de caractère, et par lesquels un Esprit nous entretenait de l'éternelle énigme du monde et de lois qui régissent la vie spirituelle. Ceux qui eurent la faveur d'assister à ces réunions savent quelle influence pénétrante elles exerçaient sur nous tous. Malgré les tendances sceptiques et l'esprit gouailleur des hommes de notre génération, il y a des accents, des formes de langage, des élans d'éloquence auxquels ils ne pourraient résister. Les plus prévenus seraient obligés d'y reconnaître la caractéristique, la marque incontestable d'une grande supériorité morale, le sceau de la vérité. Devant ces Esprits descendus un instant sur notre monde obscur et arriéré pour y faire briller un éclair de leur génie, le criticisme le plus exigeant se trouble, hésite et se tait.

Pendant vingt ans, nous reçûmes, à Tours, des communications de cet ordre. Elles touchaient à tous les grands problèmes, à toutes les questions importantes de philosophie et de morale, et composaient plusieurs volumes manuscrits. C'est le résumé de ce travail, beaucoup trop étendu, trop touffu pour être publié intégralement, que je voudrais présenter ici. Jérôme de Prague, mon ami, mon guide du présent et du passé, l'Esprit magnanime qui dirigea les premiers essors de mon intelligence enfantine, dans le lointain des âges, en est l'auteur. Combien d'autres Esprits éminents ont répandu ainsi leurs enseignements à travers le monde, dans l'intimité de quelques groupes ! Presque toujours anonymes, ils se révèlent seulement par la haute valeur de leurs conceptions. Il m'a été donné de soulever quelques-uns des voiles cachant leur personnalité véritable. Mais je dois garder leur secret, car les Esprits d'élite se reconnaissent précisément à cette particularité, qu'ils se dissimulent sous des désignations d'emprunt et veulent rester ignorés. Les noms célèbres que l'on trouve au bas de certaines communications, plates et vides, ne sont trop souvent qu'un leurre.

Par tous ces détails, j'ai voulu démontrer une chose : cette oeuvre n'est pas exclusivement mienne, mais plutôt le reflet d'une pensée plus haute que je cherche à interpréter. Elle concorde, sur tous les points essentiels, avec les vues exprimées par les instructeurs d'Allan Kardec ; toutefois, des points laissés obscurs par ceux-ci y ont été abordés. J'ai dû également tenir compte du mouvement de la pensée et de la science humaines, de leurs découvertes, et les signaler dans cet ouvrage. En certains cas, j'y ai ajouté mes impressions personnelles et mes commentaires ; car, dans le spiritisme, nous ne saurions trop le dire, il n'est pas de dogmes, et chacun de ses principes peut et doit être discuté, jugé, soumis au contrôle de la raison.

J'ai considéré comme un devoir de faire bénéficier mes frères terrestres de ces enseignements. Une oeuvre vaut par elle-même. Quoi qu'on puisse penser et dire de la révélation des Esprits, je ne saurais admettre, alors que l'on enseigne dans toutes les Universités d'immenses systèmes métaphysiques bâtis par la pensée des hommes, que l'on puisse considérer comme négligeables et rejeter les principes divulgués par les nobles Intelligences de l'espace.

Si nous aimons les maîtres de la raison et de la sagesse humaines ce n'est pas un motif pour dédaigner les maîtres de la raison surhumaine, les représentants d'une sagesse plus haute et plus grave. L'esprit de l'homme, comprimé par la chair, privé de la plénitude de ses ressources et de ses perceptions, ne peut parvenir de lui-même à la connaissance de l'univers invisible et de ses lois. Le cercle dans lequel s'agitent notre vie et notre pensée est borné ; notre point de vue, restreint. L'insuffisance des données acquises nous rend toute généralisation impossible ou improbable. Il nous faut des Guides pour pénétrer dans le domaine inconnu et infini des lois. C'est par la collaboration des penseurs éminents des deux mondes, des deux humanités, que les plus hautes vérités seront atteintes, au moins entrevues, et les plus nobles principes établis. Bien mieux et plus sûrement que nos maîtres terrestres, ceux de l'espace savent nous mettre en présence du problème de la vie, du mystère de l'âme, nous aider à prendre conscience de notre grandeur et de notre avenir.

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Parfois, une question nous est posée, une nouvelle objection est faite. En présence de l'infinie variété des communications et de la liberté pour chacun de les apprécier, de les contrôler à son gré, que devient, nous dit-on, l'unité de doctrine, cette unité puissante qui a fait la force, la grandeur et assuré la durée des religions sacerdotales ?

Le spiritisme, nous l'avons dit, ne dogmatise pas. Il n'est ni une secte, ni une orthodoxie. C'est une philosophie vivante, ouverte à tous les libres esprits, et qui progresse en évoluant. Il n'impose rien ; il propose, et ce qu'il propose, il l'appuie sur des faits d'expérience et des preuves morales. Il n'exclut aucune des autres croyances, mais s'élève au-dessus d'elles et les embrasse dans une formule plus vaste, dans une expression plus haute et plus étendue de la vérité.

Les intelligences supérieures nous ouvrent la voie. Elles nous révèlent les principes éternels que chacun de nous adopte et s'assimile dans la mesure de sa compréhension, suivant le degré de développement atteint par ses facultés dans la succession de ses vies.

En général, l'unité de doctrine n'est obtenue qu'au prix de la soumission aveugle et passive à un ensemble de principes, de formules fixés en un moule rigide. C'est la pétrification de la pensée, le divorce entre la religion et la science qui, elle, ne saurait se passer de liberté et de mouvement.

Cette immobilité, cette fixité rigide des dogmes prive la religion qui se l'impose de tous les bénéfices du mouvement social et de l'évolution de la pensée. En se considérant comme la seule croyance bonne et véritable, elle en arrive à proscrire tout ce qui est du dehors, et se mure ainsi dans une tombe, où elle voudrait entraîner avec elle la vie intellectuelle et le génie des races humaines.

Le plus grand souci du spiritisme est d'éviter ces funestes conséquences de l'orthodoxie. Sa révélation est un exposé libre et sincère de doctrines qui n'ont rien d'immuables, mais constituent une étape nouvelle vers la vérité éternelle et infinie. Chacun a le droit d'en analyser les principes, et ils n'ont d'autre sanction que la conscience et la raison. Mais, en les adoptant, on doit y conformer sa vie et remplir les devoirs qui en découlent. Ceux qui ne le font pas ne peuvent être considérés comme des adeptes sérieux.

A. Kardec nous a toujours mis en garde contre le dogmatisme et l'esprit sectaire. Il nous recommande sans cesse, dans ses ouvrages, de ne pas laisser cristalliser le spiritisme et d'éviter les méthodes néfastes qui ont ruiné l'esprit religieux dans notre pays.

Dans notre temps de discorde et de luttes politiques et religieuses, où la science et l'orthodoxie sont aux prises, nous voudrions démontrer aux hommes de bonne volonté de toutes les opinions, de toutes les croyances, ainsi qu'à tous les penseurs vraiment libres et doués d'une compréhension large, qu'il est un terrain neutre, celui du spiritualisme expérimental, où nous pouvons nous rencontrer et nous donner la main. Plus de dogmes ! plus de mystères ! Ouvrons notre entendement à tous les souffles de l'esprit ; puisons à toutes les sources du passé et du présent. Disons-nous que, dans toute doctrine, il y a des parcelles de la vérité ; mais aucune ne la contient entièrement, la vérité, dans sa plénitude, étant plus vaste que l'esprit humain.

C'est seulement dans l'accord des bonnes volontés, des coeurs sincères, des esprits désintéressés que se réaliseront l'harmonie de la pensée et la conquête de la grande somme de vérité assimilable à l'homme sur notre terre, à cette heure de l'histoire.

Un jour viendra où tous comprendront qu'il n'y a pas antithèse entre la science et la vraie religion. Il n'y a que des malentendus. L'antithèse est entre la science et l'orthodoxie : en nous rapprochant sensiblement des doctrines sacrées de l'Orient et de la Gaule, touchant l'unité du monde et l'évolution de la vie, les découvertes récentes, la science nous le prouvent. C'est pourquoi nous pouvons affirmer qu'en poursuivant leur marche parallèle sur la grande route des siècles, la science et la croyance se rencontreront forcément un jour, car leur but est identique, et elles finiront par se pénétrer réciproquement. La science sera l'analyse ; la religion deviendra la synthèse. En elles, le monde des faits et le monde des causes s'uniront ; les deux termes de l'intelligence humaine se relieront ; le voile de l'invisible sera déchiré ; l'oeuvre divine apparaîtra à tous les yeux dans sa splendeur majestueuse !

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Les allusions que nous venons de faire aux doctrines antiques pourraient susciter une autre objection : les enseignements du spiritisme, dira-t-on, ne sont donc pas entièrement nouveaux ? Non, sans doute. A tous les âges de l'humanité, des éclairs ont jailli, des lueurs ont éclairé la pensée en marche, et les vérités nécessaires sont apparues aux sages et aux chercheurs. Toujours les hommes de génie, de même que les sensitifs et les voyants, ont reçu de l'Au-delà des révélations appropriées aux besoins de l'évolution humaine18. Il est peu probable que les premiers hommes aient pu arriver d'eux-mêmes et par leurs seules ressources mentales à la notion de lois et même aux premières formes de civilisation. Consciente ou non, la communion entre la terre et l'espace a toujours existé.

Aussi, nous retrouverions facilement dans les doctrines du passé la plupart des principes remis en lumière par l'enseignement des Esprits. Du reste, ces principes, réservés au petit nombre, n'avaient pas pénétré jusqu'à l'âme des foules. Leur révélation se produisait plutôt sous la forme de communications isolées, de manifestations présentant un caractère sporadique ; elles étaient considérées le plus souvent comme miraculeuses. Mais après vingt ou trente siècles de lent travail et de gestation silencieuse, l'esprit critique s'est développé et la raison s'est élevée jusqu'au concept de lois plus hautes. Ces phénomènes avec l'enseignement qui s'y rattache reparaissent, se généralisent, viennent guider les sociétés hésitantes dans la voie ardue du progrès.

C'est toujours aux heures troubles de l'Histoire que les grandes conceptions synthétiques se forment au sein de l'humanité ; lorsque les religions vieillies et les philosophies trop abstraites ne suffisent plus à consoler les afflictions, à relever les courages abattus, à entraîner les âmes vers les sommets. Pourtant, il y a encore en elles bien des forces latentes et des foyers de chaleur qu'on pourrait ranimer. Aussi ne partageons-nous pas les vues de certains théoriciens qui, dans ce domaine, songent plutôt à démolir qu'à restaurer. Ce serait une faute. Il y a deux parts à faire dans l'héritage du passé et même dans les religions ésotériques, créées pour des esprits enfants et qui, toutes, répondent aux besoins d'une catégorie d'âmes. La sagesse consisterait à recueillir les parcelles de vie éternelle, les éléments de direction morale qu'elles contiennent, tout en écartant les superfétations inutiles que l'action des âges et des passions est venue y ajouter.

Cette oeuvre de discernement, de triage, de rénovation, qui pouvait l'accomplir ? Les hommes y étaient mal préparés. Malgré les avertissements impérieux des dernières années, malgré la déchéance morale de notre temps, aucune voix autorisée ne s'est élevée, ni dans le sanctuaire, ni dans les hautes chaires académiques, pour dire les paroles fortes et graves que le monde attendait.

Dès lors, l'impulsion ne pouvait venir que d'en haut. Elle est venue. Tous ceux qui ont étudié le passé avec attention savent qu'il y a un plan dans le drame des siècles. La pensée divine s'y manifeste de façons différentes et la révélation se gradue de mille manières, suivant les besoins des sociétés. C'est pourquoi, l'heure d'une nouvelle dispensation étant arrivée, le monde invisible est sorti de son silence. Par toute la terre, les communications des défunts ont afflué, apportant les éléments d'une doctrine en qui se résument et se fondent les philosophies et les religions de deux humanités. Le but du spiritisme n'est pas de détruire, mais d'unifier et de compléter en rénovant. Il vient séparer, dans le domaine des croyances, ce qui est vivant de ce qui est mort. Il recueille et rassemble, dans les nombreux systèmes où s'est enfermée jusqu'ici la conscience de l'humanité, les vérités relatives qu'ils renferment, pour les unir aux vérités d'ordre général proclamées par lui. Bref, le spiritisme attache à l'âme humaine, encore incertaine et débile, les puissantes ailes des larges espaces et, par ce moyen, il l'élève à des hauteurs d'où elle peut embrasser la vaste harmonie des lois et des mondes et, en même temps, obtenir une claire vision de sa destinée.

Et cette destinée se trouve incomparablement supérieure à tout ce que lui ont murmuré les doctrines du moyen âge et les théories d'un autre temps. C'est un avenir d'immense évolution qui s'ouvre pour elle et se poursuit de sphères en sphères, de clartés en clartés, vers un but toujours plus beau, toujours plus illuminé des rayons de la justice et de l'amour.


1 Voir Dans l'Invisible : Spiritisme et Médiumnité, deuxième partie. Nous ne parlons ici que des seuls faits spirites et non des faits d'animisme ou manifestations des vivants à distance.


2 Nous appelons Esprit l'âme revêtue de son corps subtil.


3 Voir Allan Kardec, le Livre des Esprits, le Livre des Médiums.
On peut lire dans la Revue spirite de 1860, page 81, un message de l'esprit du docteur Vignal, déclarant que les corps rayonnent de la lumière obscure. N'est-ce pas là la radioactivité constatée par la science actuelle, mais qui était ignorée par la science d'alors ?
Voici ce qui a été écrit en 1867 par Allan Kardec, dans la Genèse (les fluides) page 305 :
«Qui connaît la constitution intime de la matière tangible ? Elle n'est peut être compacte que par rapport à nos sens, et ce qui le prouverait, c'est la facilité avec laquelle elle est traversée par les fluides spirituels et les Esprits, auxquels elle ne fait pas plus d'obstacle que les corps transparents n'en font à la lumière.
La matière tangible, ayant pour élément primitif le fluide cosmique éthéré, doit pouvoir, en se désagrégeant, retourner à l'état d'éthérisation, comme le diamant, le plus dur des corps, peut se volatiliser en gaz impalpable. La solidification de la matière n'est en réalité qu'un état transitoire du fluide universel, qui peut retourner à son état primitif quand les conditions de cohésion cessent d'exister


4 Voir Compte rendu du Congrès spirite de 1900, pages 349, 350. Voir aussi A. de Rochas, les Vies successives, Chacornac, édit., 1911.


5 Voir Dans l'Invisible, passim.


6 Voir les communications publiées par Allan Kardec dans le Livre des Esprits et le Ciel et l'Enfer ;
Enseignements spiritualistes obtenus par Stainton Moses.
Nous signalerons aussi : le Problème de l'Au-Delà (Conseils des Invisibles), recueil de messages publiés par le général Amade. Leymarie, Paris, 1902 ; Sur le Chemin..., par Albert Pauchard et La Vie continue de l'Ame, par A. Naschitz-Rousseau, recueils de messages d'un puissant intérêt (Editions Jean Meyer, Paris, 1922).


7 Voir Raphaël, le Doute ; P. Marchal, l'Esprit consolateur. (Paris, Didier et Cie, édit., 1878.) Révérend Stainton Moses, Enseignements spiritualistes.
Le Père Didon écrivait (4 août 1876), dans ses Lettres à Mlle. Th. V. (Plon-Nourrit, edit., Paris, 1902), page 34 : «Je crois à l'influence que les morts et les saints exercent mystérieusement sur nous. Je vis en communion profonde avec ces invisibles et j'expérimente avec délices les bienfaits de leur secret voisinage.»
M. Alfred Benézech, pasteur éminent de l'Eglise réformée de France, nous écrivait au sujet de phénomènes observés par lui-même : «Je pressens que le spiritisme pourrait bien devenir une religion positive, non pas à la manière des religions révélées, mais en qualité de religion établie sur des faits d'expérience et pleinement d'accord avec le rationalisme et la science. Chose étrange ! à notre époque de matérialisme, où les Eglises semblent sur le point de se désorganiser et de se dissoudre, la pensée religieuse nous revient par des savants, accompagnée du merveilleux des temps anciens. Mais ce merveilleux, que je distingue du miracle puisqu'il n'est qu'un naturel supérieur et rare, ne sera plus au service d'une Eglise particulièrement honorée des faveurs de la divinité ; il sera la propriété de l'humanité, sans distinction de cultes. Comme cela est plus grand et plus moral !»


8 Voir Compte rendu du Congrès spirite de Barcelone, 1888. (Librairie des Sciences Psychiques, Paris, 42, rue Saint-Jacques.)


9 F. Myers, la Personnalité humaine ; sa survivance, ses manifestations supra-normales. (Félix Alcan, edit., pages 401, 402, 403 - 1905).


10 La synthèse de F. Myers peut se résumer ainsi : Evolution graduelle et infinie, à nombreuses étapes, de l'âme humaine, dans la sagesse et dans l'amour. L'âme humaine tire sa force et sa grâce d'un univers spirituel. Cet univers est animé et dirigé par l'Esprit divin, lequel est accessible à l'âme et en communication avec celle-ci.


11 J. Maxwell, les Phénomènes psychiques. (Alcan, édit., 1903, pages 8 et 11.)


12 F. Myers, la Personnalité humaine, page 417.


13 Il est notoire que la suggestion et la transmission des pensées ne peuvent s'exercer que sur des sujets depuis longtemps entraînés et par des personnes qui ont pris sur elles un certain empire. Jusqu'ici, ces expériences ne portent que sur des mots ou des séries de mots, et jamais sur un ensemble de «doctrines». Un médium liseur de pensées - s'inspirant des opinions des assistants - si cela était possible, en retirerait, non pas des notions précises sur un principe quelconque de philosophie, mais les données les plus confuses et les plus contradictoires.


14 Il s'agit du livre de Stainton Moses : Enseignements spiritualistes.


15 Reproduit par la Revue du Spiritualisme moderne, 25 octobre 1901. Nous devons faire remarquer que dans le cas de Stainton Moses, comme en certains autres, les messages ne sont pas seulement obtenus par l'écriture automatique, mais encore par l'écriture directe, sans l'intermédiaire d'aucune main humaine.


16 Voir docteur Maxwell, les Phénomènes psychiques, page 164.


17 Voir Dans l'Invisible, chapitre XIX, les entretiens du professeur Hyslop, de l'Université de Columbia, avec son père, son frère, ses oncles défunts.


18 Voir Dans l'lnvisible, chapitre XXIV : La Médiumnité glorieuse.