CHAPITRE IV
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HYPOTHESE.

Jusqu'ici nous nous sommes bornés à étudier le périsprit dans l'homme et pendant la désincarnation. Les esprits nous ayant appris qu'il est formé du fluide universel, nous avons accepté leur assertion, sans nous inquiéter de savoir par quel procédé ce périsprit pouvait avoir acquis toutes les qualités dont il est doué. Nous allons, dans ce chapitre, chercher à soulever un coin du voile qui nous masque le passé. Pour expliquer le fonctionnement de l'enveloppe de l'esprit, nous ferons l'hypothèse suivante :

Le périsprit fixe en lui, pendant l'évolution de l'âme, toutes les qualités qui lui permettent de diriger la vie organique ; de sorte que l'homme posséderait : 1° la vie végétative, due au principe vital ; 2° la vie organique due au périsprit ; 3° la vie intellectuelle, qui est celle de l'âme.

Nous entreprendrons donc de démontrer que le double fluidique de l'homme est le principe directeur de la vie organique ; pour arriver à cette conclusion, nous admettrons comme absolument démontrées les lois du transformisme qui s'adaptent merveilleusement à notre sujet. Nous ferons, toutefois, observer que c'est enter une hypothèse sur une supposition, mais ayant déjà déclaré que nous étions prêts à accepter toute autre théorie qu'on nous démontrera meilleure, nous pouvons sans crainte proposer la nôtre.

Nous dirons d'ailleurs, pour nous justifier, que nous avons une habitude ou une tendance instinctive de l'esprit, qui nous porte à vouloir expliquer tout et à inventer l'explication quand elle nous manque. Or, s'il est évident que l'on peut logiquement descendre d'une cause connue à l'effet qu'elle détermine, il n'est pas moins clair que l'opération inverse est absolument dépourvue de règles et livrée à tous les hasards de l'interprétation.

Si l'on sait, dit M. Jamin, que l'eau est pressée par l'atmosphère, on prévoit aussitôt qu'elle montera dans le tuyau d'une pompe où l'on fera le vide. Mais, admettons que l'on ne connaisse pas l'existence de cette pression et que l'on voie monter l'eau, on aura le choix entre une multitude de causes que l'imagination peut suggérer ; et quand on voudra se décider entre elles, on aura toutes les chances possibles de se tromper contre une seule de deviner juste. On sait comment avaient réussi les anciens qui admettaient l'horreur de la nature pour le vide.

C'est le même besoin que l'on veut satisfaire et la même opération que l'on fait quand on dit que la matière s'attire ; tout se ressemble dans ces deux hypothèses, jusqu'à la manière dont on les exprime, et peut-être que tout se ressemble aussi dans la réalité des deux explications. Qu'il y ait une force agissante entre deux astres voisins, c'est ce que la mécanique démontre rigoureusement, mais quand on dit que cette force est une attraction de la matière, on fait une supposition aussi gratuite que celle des anciens, quand ils disaient que la force qui fait monter l'eau est une horreur du vide. Voit-on se produire les phénomènes de la chaleur, de l'électricité, du magnétisme et de la lumière, on s'empresse d'inventer quatre fluides pour les expliquer ; et que sont ces fluides ? Ce sont des êtres d'imagination parfaitement choisis d'ailleurs pour se prêter à toutes les explications, parce qu'en les créant pour le besoin qu'on en a, on peut leur donner toutes les propriétés que l'on veut.

C'est là, dans toute sa beauté, la mise au monde d'un système. Le plus souvent ces théories ne servent qu'à voiler l'ignorance où l'on se trouve des véritables causes, elles habituent l'esprit à se payer de mots. Il est rare que le progrès des sciences ne détruise pas ces brillants produits de l'imagination ; on en a fait beaucoup ; il n'en reste guère, et qui peut prévoir le sort de ceux que nous acceptons ?

Bien que les physiciens modernes prennent pour s'en garantir autant de soin qu'en mettaient les anciens à les multiplier, ils admettent cependant encore quelques systèmes, mais à une condition qui leur donne une véritable utilité, à la condition qu'ils soient renfermés dans une hypothèse générale qui puisse embrasser mathématiquement toutes les lois expérimentales d'une science tout entière, et même à en faire découvrir d'autres.

De ce nombre est la nouvelle théorie qu'on accepte en optique. Aussitôt que l'on a admis que la lumière est un mouvement vibratoire de l'éther, toutes les lois expérimentales deviennent des conséquences que l'on fait découler de l'hypothèse, et, l'optique arrive peu à peu à cet état de perfection finale où l'expérience n'est plus qu'un auxiliaire qui vérifie les prévisions de la théorie, au lieu d'être l'unique moyen de rechercher les lois : c'est à ces caractères que l'on juge aujourd'hui les systèmes, c'est à ces conditions qu'on les admet.

Le spiritisme scientifique a franchi les premiers pas de l'expérience, guidé par des savants illustres, mais l'explication de tous ses phénomènes ne peut encore être utilement tentée, car trop peu de documents existent à l'heure actuelle pour permettre de mener à bien ce travail. C'est donc un simple essai que nous donnons et qui n'a nullement la prétention de se poser comme une vérité absolue.

En philosophie, il y a, pour expliquer la vie dans l'homme, matérialisme à part, trois systèmes différents :

1° Les vitalistes ;
2° Les organiciens ;
3° Les animistes.

Passons rapidement en revue ces différentes écoles.

On sait, d'une manière générale, que le corps s'accroît comme les végétaux, qu'il sent et se meut comme l'animal, enfin qu'il a une existence supérieure qui réside dans la vie intellectuelle. Il faut donc que le système qui explique l'homme physique et moral embrasse ces trois ordres de faits. Nous allons constater qu'ils sont tous insuffisants, parce qu'ils se bornent à n'envisager chacun qu'un côté de la question, au lieu de la voir dans son ensemble.

Les VITALISTES ne veulent reconnaître dans l'homme qu'une force : le principe vital, et ils prétendent qu'il suffit à tout expliquer. Voici sur quoi s'appuie leur conviction.

Ils remarquent qu'il existe entre les phénomènes de la nature inorganique et ceux de la matière organisée une différence radicale : c'est que les corps bruts obéissent à des lois qu'il nous a été donné de connaître et de formuler, de manière que nous pouvons, à volonté, faire l'analyse et la synthèse de toutes les substances. Mais lorsque des corps bruts nous passons à la plante la plus infime, à la plus rudimentaire, il nous devient impossible d'en faire une semblable, quelles que soient les conditions dans lesquelles nous opérions. Une simple feuille d'arbre que le vent détache est un mystère impénétrable quant à sa production. La chimie peut décomposer cette feuille, savoir le poids et la nature des corps qui entrent dans sa composition, mais il lui est impossible de la reproduire, car elle ne dispose pas de la vie, qui est la seule puissance capable d'organiser cette matière.

Dans le corps humain, ce principe agit de la même manière que dans la plante ; il nourrit les cellules des tissus, les remplace sans que l'âme en ait conscience et, de plus, il agit encore, même après la mort, puisque l'on a trouvé certains cadavres sur lesquels les cheveux et les ongles avaient poussé.

Mais si l'on veut expliquer tous les phénomènes qui se passent dans l'homme par le simple jeu du principe vital, on se heurte à des difficultés insurmontables.

Il faut soigneusement distinguer les effets vitaux de ceux produits par l'âme, car entre ces deux genres d'action il existe des différences énormes. Ainsi, par exemple, les phénomènes de digestion, d'assimilation, de circulation du sang sont indépendants de la volonté, ils s'opèrent sans la participation de l'âme. Jeoffroy, le philosophe éclectique, s'écrie :

«Le moi se sent absolument étranger à la production des phénomènes de la vie ; ils arrivent non seulement sans qu'il ait conscience de les engendrer, mais sans qu'il ait la moindre connaissance et soit même averti qu'ils se produisent... Pour saisir es phénomènes de la vie, il faut que nous sortions de nous et que, par des expériences détournées et difficiles, sur le corps humain ou sur celui des animaux, que nous rendions visible à nos sens cette vie qui n'est pas la nôtre et dont notre conscience ne nous dit rien.»

M. Barthélemy Saint-Hilaire ajoute à cette proposition que nous n'intervenons pas plus dans notre nutrition, au point de vue volontaire, que dans celle de la plante.

Barthès, le célèbre médecin, accepte et développe ces arguments. Il oppose à la perpétuelle mobilité de l'âme l'inaltérable immobilité des phénomènes vitaux qui semblent produits par des lois fatales, et il conclut en disant que des effets si différents ne peuvent provenir de la même cause.

Donc il existe un principe vital, mais il ne peut rendre compte de toutes les modalités humaines ; donc les vitalistes ont une théorie incomplète.

Les ORGANICIENS prétendent expliquer la vie végétale et, la vie animale par le simple jeu des organes, autrement dit par l'activité naturelle de la matière. Ils se basent sur ce fait que l'on peut, dans certaines conditions déterminées, soumettre des insectes, tels que les rotifères et les tardigrades, à la mort et à la résurrection, du moins ils qualifient ainsi l'état de ces animaux avant et après l'opération. Il suffit, en effet, après que l'on a desséché ces animalcules à froid et qu'ils semblent morts, de les mettre dans une étuve que l'on porte graduellement à cent degrés, pour les voir revenir à la vie, si on les humecte après refroidissement. D'où les organiciens concluent que le milieu physique fait tout, l'organisme rien.

Mais ce qui prouve que ces philosophes sont dans l'erreur, c'est qu'il y a une température que l'on ne peut dépasser sans que l'animal perde la vie. Donc il y a chez lui un principe qui résiste à la mort jusqu'à un certain degré, puis cette limite dépassée, cette force est détruite, ce qui nous prouve, une fois de plus, l'existence du principe vital.

Les organiciens se basent aussi sur la transformation de la chaleur en force. M. Gavarret établit expérimentalement, par des faits rigoureux, vérifiés et contrôlés par des physiologistes éminents, que la production de la chaleur, la contraction musculaire et l'action nerveuse dérivent directement de l'action de l'oxygène de l'air sur les matériaux du sang. Cette réaction chimique est la seule source de la force indispensable à l'organisme pour exécuter les mouvements qui composent la vie. Ainsi ni âme, ni principe vital, telle est la conclusion de ce physicien.

Pour répondre à M. Gavarret, il suffit de faire remarquer que ces phénomènes se produisent dans les corps animés, c'est-à-dire qui ont déjà été organisés par la force vitale. L'explication du savant physiologiste est donc simplement un renseignement sur la manière dont fonctionne la vie chez les êtres organisés, mais ne touche en rien au principe vital lui-même.

Les partisans de l'opinion précitée se sont appuyés aussi sur les phénomènes qui se passent dans l'estomac et le poumon ; ils ont étudié avec soin les actions produites par ces deux viscères et sont arrivés à connaître les lois qui les dirigent ; ils en ont conclu qu'il n'est pas besoin d'autres forces que celles qui entrent en jeu dans ce cas, pour expliquer la vie.

Comme précédemment, nous leur observerons que la chimification ne peut se produire que si l'estomac est vivant, de même le poumon ne respire que si l'animal est en vie, ainsi que l'ont très bien fait voir MM. Cuvier et Flourens. Cette proposition est si exacte que Muller, le physiologiste, constate que «le germe est une matière sans forme, c'est-à-dire une masse non organisée qui ne présente aucune espèce d'organe ou de rudiments d'organisation, et cependant il vit ; donc la force organique existe dans le germe avant tous les organes.»

Les ANIMISTES, enfin, espèrent tout expliquer par la seule action consciente ou inconsciente de l'âme. Si nous pouvons admettre que les phénomènes intellectuels sont directement le produit de l'âme, les actions de la vie organique doivent être attribuées à une autre cause, car on ne peut comprendre l'action qu'exercerait une force immatérielle sur la matière du corps.

Chaque école se place donc à un point de vue trop exclusif et ne peut résoudre complètement le problème. Le spiritisme, avec les lumières qu'il apporte dans ces questions si controversées, peut servir de synthèse à ces conceptions diverses. Voici comment.

Le principe vital ayant une existence bien démontrée, nous l'acceptons comme une cause de la vie végétative. Il reste à faire saisir de quelle manière s'exercent les actions automatiques qui se passent dans le corps humain. La notion du périsprit va nous faire comprendre comment le double fluidique peut être considéré comme le régulateur de la vie organique, ce qui donne raison, dans une certaine mesure, aux organiciens. Enfin, les animistes peuvent se rallier à nous en voyant de quelle manière nous expliquons l'action de l'âme sur le corps.

Ce qui nous reste à dire, c'est comment le périsprit peut avoir acquis toutes les qualités nécessaires au fonctionnement d'une merveille comme le corps humain. Il faut que nous établissions par quel procédé cette organisation fluidique peut diriger les différentes catégories d'actions organiques qui composent la vie.

Suivant nous, plus l'esprit s'élève, plus son enveloppe s'épure ; donc, en regardant en arrière, nous pouvons dire que, plus cette enveloppe est grossière, moins l'esprit est avancé ; d'où cette conclusion que l'âme humaine, avant d'animer un organisme aussi parfait que le corps de l'homme, a dû passer par la filière animale.

Nous ne prétendons pas que le principe intelligent ait été obligé de traverser la phase végétale, car dans les plantes nous ne trouvons aucun signe de sensibilité bien nettement accusé. Les mouvements de certaines dyonées, comme le mimosa pudica, vulgairement appelé sensitive, ne suffisent pas à établir cette propriété dans les races végétales. Nous prendrons donc le point de départ des évolutions du principe intelligent parmi les animaux les plus rudimentaires.

Nous savons par l'étude de la géologie que le principe vital n'a pas toujours existé sur la terre. Cette science nous apprend qu'à une époque indéterminée de la durée, la terre n'était qu'une masse de matière inorganique, soumise simplement aux lois physico-chimiques qui régissent le monde minéral. C'est l'époque azoïque.

Lorsque notre globe eut subi toutes les modifications matérielles dont il était susceptible, apparut la vie, c'est-à-dire la force organisatrice, et, dès ce moment, nous assistons à une série de transformations merveilleuses. Les organismes procèdent les uns des autres en allant du simple au composé. Depuis la matière du protoplasma jusqu'aux formes les plus élevées, il y a une échelle d'êtres non interrompue, une suite d'anneaux qui relient la plus infime créature à l'homme, suprême expression des types qui se sont succédé ici-bas.

Cette longue élaboration a demandé des milliers de siècles, et à mesure que le monde vieillissait, il devenait de plus en plus apte à recevoir des êtres plus parfaits. Darwin a essayé d'expliquer cette progression continue par les lois naturelles. Hoeckel a repris et développé le système du savant Anglais, et bien que le transformisme ne soit pas encore universellement admis, nous adoptons ses théories, car elles nous paraissent, par la majestueuse lenteur qu'elles accusent, en harmonie avec le natura non facit saltum des naturalistes et conformes à l'idée que nous nous faisons de la puissance créatrice.

Nous avons vu, déjà, une première transformation s'accomplir : à la nature brute succède la nature organisée, grâce à l'apparition du principe vital ; à celui-ci succède le principe animique et la conséquence de ce deuxième agent est la formation des animaux. La plante vit, mais ne possède ni la sensibilité ni le pouvoir de se déplacer. L'animal, au contraire, non seulement vit, mais sent et se meut. C'est à partir de ce moment que nous pouvons entreprendre l'étude de l'évolution intellectuelle.

Si nous admettons que l'âme et son enveloppe aient passé par la filière animale, nous concevons immédiatement de quelle manière les choses ont dû se produire. Nous remarquons que l'animal possède l'instinct, c'est-à-dire une force qui le dirige sûrement pour lui faire éviter ce qui lui est nuisible. Comment cette force a-t-elle pris naissance ?

Dans l'animal, toute action est le résultat d'un jugement primitif qui implique volonté, conscience, raisonnement et intelligence. Ces facultés nous ne pouvons en trouver le germe dans la matière, c'est pourquoi nous les attribuons à l'esprit ; l'instinct est une propriété périspritale qui a pour cause l'âme, mais qui en diffère essentiellement. Pour faire comprendre cette différence, prenons un exemple.

Comment l'enfant apprend-il à lire ?

Il doit d'abord se pénétrer de la forme des lettres. Dans les premiers temps il confond les A et les O, les N et les U, les B et les D, les P et les Q ; il doit se livrer à beaucoup de comparaison pour reconnaître leurs caractères distinctifs. Chaque fois qu'il porte un jugement, qu'il dit d'un A que c'est un A, qu'il dit d'un O que c'est un O, il a dû se raisonner à lui-même le pourquoi de ce jugement. Mais par l'exercice, ce jugement devient de plus en plus rapide, de manière que ce premier pas fait, on peut procéder avec lui à l'étude des syllabes. Il faut qu'il apprenne maintenant à distinguer NA, de AN, OU de UO, IE de EI, nouvelles comparaisons, nouveaux raisonnements, nouveaux exercices ; puis ces difficultés sont vaincues à leur tour. On aborde alors la connaissance des mots, puis des phrases.

Que de temps, que d'efforts, que d'études sont nécessaires pour qu'il arrive à lire couramment.

Il y parvient cependant, et, à la fin, il saisit immédiatement une phrase par la seule inspection du texte, comme certains joueurs font instantanément l'addition de cinq ou six dominos étalés devant eux. Arrivé à ce point il n'a plus même connaissance des actes préliminaires par lesquels il a dû passer pour avoir l'intelligence de la phrase. Il ne s'aperçoit plus qu'il épelle, qu'il juge de la forme des lettres et de leur position respective dans les syllabes, etc., il lui semble qu'il comprend d'emblée ce qu'il lit.

Et comment apprend-il à tracer les lettres avec la plume, à les assembler pour en former des mots, à soigner l'orthographe ? Tous ces mouvements sont d'abord voulus, faits avec pleine conscience, puis, à la fin, il arrive à écrire sous la dictée, sans faire même attention aux paroles qui se prononcent, sa main obéit en quelque sorte d'elle-même aux sons qui frappent son oreille.

C'est d'une manière analogue que le périsprit acquiert insensiblement toutes ses qualités fonctionnelles. Comme il ne se détruit pas à la mort du corps, qu'il a une existence aussi réelle que l'esprit, il accumule dans son sein tous les efforts et tous les acquis de l'esprit. C'est grâce à sa perpétuité que l'esprit doit de pouvoir revenir sur la terre, mieux outillé que la fois précédente.

Les organismes des animaux primitifs sont, en effet, très simples, ils se rapprochent de la nature des plantes. Le principe animique n'a que peu de fonctions à remplir, il s'habitue à la vie active, mais il ne faudrait pas croire qu'il soit inerte, car dès ses premiers pas dans la vie animale, le germe intelligent a des sensations. Il veut, par exemple, fuir ou poursuivre un objet, mais le mouvement ne suit pas immédiatement sa volonté ; il doit pour cela déployer un effort et vaincre certaines résistances qui proviennent d'un arrangement périsprital des molécules peu favorable au mouvement. Ce mouvement finit cependant par se propager en suivant la ligne des molécules dont la vibration présente avec lui le moins de divergence.

C'est ainsi qu'est surmontée dans les premiers temps l'inertie des molécules périspritales sous l'influence de la volonté naissante. De là, il résulte que le même mouvement, quand il est voulu une seconde fois, éprouve moins de résistance, exige moins d'efforts et, à la longue, à force de répétitions, il finit par se faire avec le plus petit effort possible, avec un effort tellement faible qu'il n'est plus senti. Donc le mouvement, d'abord pénible, devient ensuite facile, puis naturel et enfin machinal.

Voilà de quelle manière on peut concevoir que, peu à peu, après des milliers de passages du principe intelligent dans la série animale, le périsprit arrive à fixer en lui ces lois qui nous apparaissent sous forme d'instinct, mais qui ont été lentement conquises par lui au moyen d'existences successives.

Ainsi donc, on peut dire d'une manière générale que le mouvement est volontaire quand on sait comment et pourquoi on le fait ; qu'il est habituel, quand on le fait sans savoir comment ; instinctif, quand on le fait sans savoir pourquoi ; réflexe ou automatique quand on le fait sans le savoir.

L'habitude s'acquiert par l'exercice, c'est-à-dire par la répétition volontaire d'une série d'actes, lesquels finissent par se succéder de plus en plus rapidement avec une dépense de force moindre. L'habitude modifie l'organisme jusque dans les ovules et les spermatozoïdes. La modification des parents se retrouve chez les enfants sous forme de besoin d'abord, d'instinct ensuite. En même temps que l'animal se perfectionne, les instincts progressent et servent à le diriger ; c'est ainsi que se forment les lois de la matière animée. A mesure que l'esprit vieillit, c'est-à-dire qu'il se réincarne, il acquiert des qualités nouvelles et devient de plus en plus apte à habiter des corps plus perfectionnés.

Arrivée à l'humanité, l'âme a fixé dans son enveloppe toutes les lois automatiques destinées à régler cette merveilleuse machine appelée le corps humain. Toutes les fonctions animales s'accomplissent avec régularité et l'âme, dégagée des plus grossières étreintes de la matière, émerge de la gangue qui l'enveloppait et doit devenir la maîtresse absolue de la matière qui la dominait jusque-là.

Un fait semblerait contredire la théorie que nous soutenons. C'est qu'on remarque entre le singe le plus perfectionné et le sauvage, même le plus abruti, des différences immenses qui semblent indiquer une démarcation nettement tranchée entre l'homme et l'animal.

Pour expliquer cette anomalie, au point de vue physique, l'anthropologie nous enseigne qu'il existe une série d'animaux nommés anthropoïdes qui sont les intermédiaires entre l'humanité et l'animalité. Il n'y a donc pas discontinuité dans la grande chaîne des êtres. Au point de vue moral, qui est le plus important, les savantes recherches de MM. Boucher de Perthes, Du Mortillet, Lartet, Gaudry et de tant d'autres, ont établi qu'à un certain moment de la période quaternaire, les caractères humains et simiens se trouvaient réunis chez les anthropoïdes de cette époque lointaine. L'apophyse dentaire, c'est-à-dire l'excroissance sur laquelle s'insèrent les muscles qui favorisent le langage, n'existait pas encore, et cependant tous les caractères du squelette prouvent que l'individu ainsi constitué était déjà un homme.

A mesure que cet être a progressé, ses organes se perfectionnant par suite des efforts qu'il fit pour communiquer avec ses semblables, l'apophyse dentaire s'est formée et cet animal humain a pu parler.

On ne saurait imaginer la longueur du temps qui s'est écoulé pour accomplir cette transformation, mais tout porte à croire qu'elle a été énorme. L'homme ne parlant pas est celui que l'on trouve à l'étage supérieur tertiaire, et malgré les vives discussions qu'a soulevées la qualification d'homme qu'on lui a attribuée, on peut en tout cas le considérer comme un précurseur, puisqu'il taillait des pierres pour son usage.

Quelle que soit l'opinion qu'on se fasse sur l'homme de l'époque pliocène, il est absolument certain et démontré que l'homme, tel qu'il existe actuellement, est apparu à l'étage quaternaire, ce qui lui assure encore une respectable antiquité, puisque des calculs basés sur l'usure des roches calcaires démontrent qu'il y aurait 450.000 années que les glaces auraient disparu, et que l'homme était contemporain, sinon antérieur, à l'époque glacière !

Si le principe intelligent des animaux est obligé de passer par des formes intermédiaires pour parvenir à l'humanité, les singes étant les représentants directs des anthropoïdes, et leur race tendant chaque jour à disparaître, on se demande, quand il n'y en aura plus, comment les âmes animales parviendront à notre degré humain.

Cette objection est très sensée et nous démontre qu'il ne faut pas borner à la terre les évolutions du principe intelligent. Nous faisons partie de l'Univers, et rien ne prouve que le principe animique soit obligé, en arrivant sur notre terre, de suivre toute la série des espèces qui existent à sa surface.

A l'époque quaternaire, il pouvait se faire que les âmes animales se transformassent, en passant, par des graduations insensibles, en âmes humaines ; mais à notre époque ceci n'est plus possible, puisque l'on ne retrouve pas trace d'intermédiaires intellectuels entre l'homme et le singe. Il faut donc admettre que l'âme animale parvenue au sommet de l'échelle des formes qu'elle avait à gravir est emmenée sur un monde où, petit à petit, elle acquiert les qualités qui différencient l'homme de l'animal, c'est-à-dire la connaissance de soi-même, la perfectibilité et le sentiment du bien et du mal.

On remarquera que nous n'avons fait aucune supposition sur la création du principe intelligent, car ces questions sont si obscures, si peu étudiées jusqu'alors, que l'on ne saurait formuler un avis sur ces matières. Le passage de l'âme dans la filière animale nous semble rationnel, mais il y a encore bien des points à éclaircir, et nous ne pouvons donner cette hypothèse que sous les réserves les plus formelles.

Pour rentrer sur le terrain solide des faits, nous pouvons affirmer que depuis plus de 300.000 années l'homme existe sur la terre ; qu'il est sorti lentement des langes de la bestialité pour s'élever jusqu'aux plus hauts sommets de la vie intellectuelle. Quel spectacle et quel enseignement que celui que nous présentent nos aïeux misérables, logeant dans les cavernes et courant nus à la recherche de leur nourriture ! A peine se distinguaient-ils des autres animaux plus forts et aussi féroces qu'eux. Mais l'homme porte au front le signe de la supériorité, il possède l'intelligence, et c'est elle qui va le tirer de cet état épouvantable pour en faire le maître de la création tout entière. C'est la loi du progrès qui se manifeste et qui nous élève des plus bas-fonds de l'être jusqu'aux sphères rayonnantes où tout est amour, justice et fraternité.