CHAPITRE III
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LE PERISPRIT PENDANT LA DESINCARNATION. - SA COMPOSITION.

Nous avons deux moyens de contrôler l'existence du périsprit chez les désincarnés. Nous pouvons, en premier lieu, l'observer pendant que se produisent les manifestations de l'âme, comme nous l'avons fait pour le double fluidique de l'homme ; puis nous assurer de son existence par les médiums voyants et le témoignage des esprits. Fidèle à la méthode positive, nous allons tout d'abord rapporter un certain nombre de faits qui établissent que la personnalité posthume n'est pas niable. C'est donc à la fois la démonstration de l'immortalité de l'âme et de son enveloppe, qui se dégagera de cette étude.

Allan Kardec rapporte dans la Revue d'avril 1860 l'histoire que voici :

«Le fait suivant de manifestation spontanée a été transmis à notre collègue M. Krotzoff, de Saint-Pétersbourg, par son compatriote le baron Tcherkasoff, qui habite Cannes et qui en certifie l'authenticité. Il paraît, du reste, que le fait est très connu, et fit beaucoup de sensation à l'époque où il s'est produit.

«Au commencement de ce siècle, il y avait à Saint-Pétersbourg un riche artisan qui occupait un grand nombre d'ouvriers dans ses ateliers ; son nom m'échappe, mais je crois que c'était un Anglais. Homme probe, humain et rangé, il vaquait non seulement à la bonne facture de ses produits, mais bien plus encore au bien-être physique et moral de ses ouvriers, qui offraient, par conséquent, l'exemple de la bonne conduite et d'une concorde presque fraternelle. D'après une coutume observée en Russie jusqu'à nos jours, ils étaient défrayés du logement et de la nourriture par leur patron et occupaient les étages supérieurs et les combles de la même maison que lui. Un matin, plusieurs des ouvriers, en se réveillant, ne trouvèrent plus leurs habits qu'ils avaient mis à côté d'eux en se couchant. On ne pouvait supposer un vol ; on questionna mais inutilement, et on soupçonna les plus malicieux d'avoir voulu jouer un tour à leurs camarades ; enfin à force de recherches, on trouva tous les objets disparus au grenier, dans les cheminées et jusque dans les toits. Le patron fit des remontrances générales, puisque personne ne s'avouait coupable ; chacun, au contraire protestait de son innocence.

«A quelque temps de là, la même chose se renouvela ; nouvelles remontrances, nouvelles protestations. Peu à peu cela commença à se répéter toutes les nuits et le patron en conçut de vives inquiétudes, car, outre que son travail en souffrait beaucoup, il se voyait menacé par une émigration de tous ses ouvriers, qui avaient peur de rester dans une maison où il se passait, disaient-ils, des choses surnaturelles.

«D'après les conseils du patron, il fut organisé un service nocturne, choisi par les anciens mêmes, pour surprendre le coupable ; mais rien ne réussit, tout au contraire, les choses allèrent en empirant. Les ouvriers, pour gagner leurs chambres, devaient monter des escaliers qui n'étaient point éclairés ; or, il arriva à plusieurs d'entre eux de recevoir des coups et des soufflets ; et quand ils cherchaient à se défendre, ils ne frappaient que l'espace, tandis que la force des coups leur faisait supposer qu'ils avaient affaire à un être solide. Cette fois le patron leur conseilla de se diviser en deux groupes ; l'un d'eux devait rester en haut de l'escalier, l'autre arriver d'en bas ; de cette manière, le mauvais plaisant ne pouvait manquer d'être pris et de recevoir la correction qu'il méritait. Mais la prévoyance du patron se trouva encore en défaut, les deux groupes furent battus à outrance et chacun accusa l'autre. Les récriminations étaient devenues sanglantes, et la mésintelligence entre les ouvriers étant parvenue à son comble, le pauvre patron songeait déjà à fermer ses ateliers ou à déménager.

«Un soir, il était assis, triste et pensif, entouré de sa famille ; tout le monde était plongé dans l'abattement, lorsque tout à coup un grand bruit se fait entendre dans la chambre à côté, qui lui servait de cabinet de travail. Il se lève précipitamment, et va reconnaître la cause de ce bruit. La première chose qu'il voit en ouvrant la porte, c'est son bureau ouvert et la bougie allumée ; or, il venait peu d'instants avant de fermer le bureau et d'éteindre la lumière. S'étant approché, il distingua sur le bureau un encrier de verre et une plume qui ne lui appartenaient pas, et une feuille de papier sur laquelle étaient écrits ces mots : «Fais démolir le mur à tel endroit (c'était sur l'escalier) ; tu y trouveras des ossements humains que tu feras ensevelir en terre sainte.» Le patron prit le papier et courut en avertir la police.

«Le lendemain on se mit donc à chercher d'où provenaient le papier et la plume. En les montrant aux habitants de la même maison, on arriva jusqu'à un marchand de légumes et de denrées coloniales, qui avait sa boutique au rez-de-chaussée et qui connut l'un et l'autre pour les siens. Interrogé sur la personne à laquelle il les avait donnés, il répondit : «Hier soir, ayant déjà fermé la porte de ma boutique, j'entendis un petit coup frappé au vasistas de la fenêtre ; je l'ouvris, et un homme dont il me fut impossible de distinguer les traits me dit : Donne-moi, je te prie, un encrier et une plume, je te les paierai. Lui ayant passé les deux objets, il me jeta une grosse monnaie de cuivre que j'entendis tomber sur le plancher, mais que je n'ai pu retrouver.»

«On fit démolir le mur à l'endroit indiqué et l'on y trouva des ossements humains, qui furent enterrés, et tout rentra dans l'ordre. On ne put jamais savoir à qui avaient appartenu ces ossements.»

Nous trouvons dans cette histoire tous les traits distinctifs que nous constaterons dans les suivantes. 1° L'esprit est invisible, insaisissable, mais manifeste sa présence par des effets physiques qui prouvent qu'il est matérialisé. 2° Il demande à être enseveli en terre sainte. Nous allons voir que, dans la plupart des cas, il en est ainsi. Les apparitions tangibles sont moins rares qu'on pourrait le supposer. En voici une rapportée aussi par Allan Kardec.

«Le 14 janvier dernier, le sieur Lecomte, cultivateur dans la commune de Brix, arrondissement de Valogne, a été visité par un individu qui s'est dit être un de ses anciens camarades, avec lequel il avait travaillé au port de Cherbourg et dont la mort remonte à deux ans et demi. Cette apparition avait pour but de prier Lecomte de lui faire dire une messe. Le 15, l'apparition se reproduisit. Lecomte, moins effrayé, reconnut enfin son ancien camarade ; mais troublé encore, il ne sut que répondre ; il en fut de même les 17 et 18 janvier. Ce ne fut que le 19 que Lecomte lui dit : Puisque tu désires une messe, où veux-tu qu'elle soit dite, et y assisteras-tu ? - Je désire, répond l'esprit, que la messe soit dite à la chapelle de Saint-Sauveur, dans huit jours, et je m'y trouverai. Il ajoute : Il y a longtemps que je ne t'avais vu, et il y a loin pour venir te trouver. Cela dit, il le quitte en lui serrant la main.

«Le sieur Lecomte n'a pas manqué à sa promesse ; le 27 janvier, la messe a été dite à Saint-Sauveur, et il a vu son ancien camarade agenouillé sur les marches de l'autel. Depuis ce jour, le sieur Lecomte n'a plus été visité et il a repris sa tranquillité habituelle.»

Nous avons dit qu'en mourant l'esprit emporte avec lui ses croyances et ses préjugés. Les deux anecdotes précédentes le prouvent, puisque l'esprit de Saint-Pétersbourg demande que ses ossements reposent en terre sainte, et le second qu'on dise une messe pour lui. Nous ne saurions trop le répéter, ceci est dû à ce que l'âme se retrouve après la mort dans des conditions identiques à celles qu'elle avait sur la terre. L'esprit a un corps, le périsprit, qui lui semble matériel ; il va et vient suivant ses habitudes et s'étonne de ce qu'on ne lui répond pas. Sa situation est analogue à celle dans laquelle nous nous trouvons dans le rêve. Nous avons conscience que nous vivons, nous accomplissons certains actes, nous voyons les personnes et les objets, mais tout cela d'une manière particulière. Nous ne réfléchissons jamais à notre état pendant ce temps ; les événements s'accomplissent, nous y prenons part, mais quoi qu'il en résulte quelquefois du bonheur ou de la souffrance et que nous ressentions ces sensations, elles ne font pas sur nous les mêmes impressions que celles qu'elles produiraient à l'état de veille. Il semble que le raisonnement et la sensibilité sont détournés de l'activité normale.

Dans le rêve, l'esprit veut, pense, agit. Il se trouve en contact avec d'autres personnages connus ou inconnus, mais il ne tire pas de déductions de ces rencontres, ou de ce qu'il voit, en un mot ne jouit pas de la plénitude de ses facultés.

A la mort, le même phénomène se reproduit. L'esprit entre dans le trouble, il sait bien qu'il est vivant, il est sûr qu'il existe, et cependant personne ne l'accueille, ses parents, ses amis ne lui adressent jamais la parole. Il vaque à ses occupations ordinaires comme pendant sa vie, et cette situation se prolonge jusqu'à ce qu'il ait reconnu son état. Ces faits ne se produisent pas seulement chez les hommes dépourvus d'intelligence, ils peuvent se présenter pour des esprits cultivés, mais, ou ne croyant à rien, ou ayant des idées fausses sur l'avenir de l'âme. Il est naturel que le matérialiste, même le plus instruit, ne se croie pas mort, puisque, pour lui, ce mot est synonyme de néant. D'autre part, les esprits religieux qui croient fermement au jugement de Dieu, au paradis, à l'enfer, se persuadent qu'ils ne sont pas morts, puisqu'ils ont un corps et que rien de ce qu'ils attendent n'arrive. Voici des faits qui appuient notre raisonnement.

Le premier est rapporté dans les annales de l'Académie de médecine de Leipzig ; il a été discuté publiquement par ce corps savant, il présente donc tous les caractères de la certitude.

En 1659 mourut à Crossen, en Silésie, un garçon apothicaire, nommé Christophe Monig. Quelques jours après, on aperçut un fantôme dans la pharmacie. Tout le monde reconnaît Christophe Monig. Ce fantôme s'assoit, se lève, va aux étagères, saisit pots, flacons, etc., et les change de place. Il examine et goûte les médicaments, les pèse dans la balance, pile les drogues avec fracas, sert les personnes qui lui présentent des ordonnances, reçoit l'argent et le place dans le comptoir. Cependant personne n'ose lui adresser la parole.

Ayant sans doute quelques ressentiments contre son maître, alors très sérieusement malade, il se livre contre lui à une foule de vexations. Un jour il prend un manteau qui se trouvait dans la pharmacie, ouvre la porte et sort. Il traverse les rues sans regarder personne, entre chez plusieurs de ses connaissances, les contemple un instant sans proférer une parole, et se retire. Rencontrant dans le cimetière une servante, il lui dit : «Rentre chez ton maître, et creuse dans la chambre basse : tu y trouveras un trésor inestimable.» La pauvre fille épouvantée perd connaissance et tombe à terre. Il se baisse et la relève, mais en laissant sur elle une marque longtemps visible. Rentrée chez elle et quoique encore saisie d'épouvante, elle raconte ce qui vient de lui arriver. On creuse dans l'endroit désigné et on découvre dans un vieux pot une belle hématite. On sait que les alchimistes attribuaient à cette pierre des propriétés occultes. Le bruit de ces prodiges étant arrivé aux oreilles de la princesse Elisabeth Charlotte, celle-ci ordonna qu'on exhumât le corps de Monig. On croyait avoir affaire à un vampire ; mais on ne trouve qu'un cadavre dans un état de putréfaction assez avancé. On conseilla alors à l'apothicaire de se débarrasser de tous les objets qui avaient appartenu à Monig. Le spectre ne reparut plus à partir de ce moment.

Ici l'état dont nous parlions est bien caractérisé. L'âme de l'apprenti revient et se livre à ses occupations habituelles, c'est ce qui a lieu très souvent, mais les conditions nécessaires à la matérialisation du périsprit ne se présentent pas toujours, expliquent la rareté de ces apparitions. Nous verrons tout à l'heure quelles sont ces conditions.

Empruntons à M. Dassier un autre cas où l'individualité posthume est aussi bien accentuée. L'auteur tient ce récit de l'obligeance de M. Augé, ancien instituteur à Sentenac (Ariège), paroisse de l'abbé Peytou.

Sentenac-de-Sérou, le 8 mai 1879.

MONSIEUR,

«Vous m'avez prié de vous raconter, pour être ensuite discutés scientifiquement, les faits sur les revenants, généralement admis par les personnes les mieux pensantes de Sentenac et qui sont entourés de tout ce qui peut les rendre incontestables. Je vais les citer tels qu'ils se sont produits et tels que les témoins dignes de foi les rapportent.

«PREMIER. - Quand, il y a environ quarante-cinq ans, M. Peytou, curé de Sentenac, fut mort, on entendait chaque soir, à partir de la nuit tombante, quelqu'un remuer les chaises, dans les chambres du presbytère, se promener, ouvrir et fermer une tabatière, et se produire le même bruit qu'un homme qui prend une prise. Ce fait-là, qui se répéta longtemps, fut, comme cela arrive toujours, admis immédiatement par les plus simples et les plus peureux. Ceux qui voulaient paraître, ce que vous me permettrez d'appeler les esprits forts de la commune, ne voulaient y ajouter aucune foi ; ils se contentaient de rire de tous ceux qui semblaient, ou pour mieux dire, étaient persuadés que M. Peytou, le curé mort, revenait.

«Les nommés Eycheinne (Antoine), maire de la commune, à cette époque, et décédé depuis cinq ans, et Galy (Baptiste), qui vit encore, les deux seuls de l'endroit qui fussent un peu lettrés, et partant les plus incrédules, voulurent s'assurer par eux-mêmes si tous les bruits nocturnes qu'on disait entendre au presbytère avaient quelque fondement ou n'étaient que l'effet d'imaginations faibles trop faciles à s'effrayer. Un soir, armés chacun d'un fusil et d'une hache, ils résolurent d'aller passer la nuit à la maison presbytérale, bien déterminés s'ils entendaient quelque chose, à savoir si c'étaient des vivants ou des morts qui faisaient ce bruit.

«Ils s'installent à la cuisine, près d'un bon feu, et commençaient à causer sur la simplicité des habitants, disant qu'eux n'entendaient rien et pourraient parfaitement reposer sur la paillasse qu'ils avaient eu soin d'apporter, quand, dans la chambre qui est au-dessus de leur tête, ils entendent un bruit, puis les chaises remuer, quelqu'un marcher, puis descendre l'escalier et se diriger vers la cuisine. Ils se lèvent ; le sieur Eycheinne va à la porte de la cuisine, tenant la hache d'une main prêt à frapper celui qui osera rentrer, et le sieur Galy met en joue avec son fusil.

«Celui qui semblait marcher, arrivé en face de la porte de la cuisine, prend une prise de tabac, c'est-à-dire que les hommes entendirent le même mouvement que fait un homme qui prise et au lieu d'ouvrir la porte de la cuisine le revenant passa dans le salon où il parut se promener. Les sieurs Eycheinne et Galy, toujours armés, sortent de la cuisine, passent au salon et ne voient absolument rien. Ils montent dans les chambres, parcourent la maison de haut en bas, regardant dans tous les coins, et ne trouvant ni chaises ni rien autre chose qui ne fût à sa place. Le sieur Eycheinne qui avait été le plus incrédule, dit alors à son compagnon Galy : «Mon ami ! ce ne sont pas des vivants qui font ce tapage, ce sont réellement des morts ; c'est M. le curé Peytou ; c'est son marcher et sa manière de priser que nous avons entendus ; nous pouvons dormir tranquilles.»

«DEUXIEME. - Marie Calvet servante chez M. Ferré successeur de M. Peytou, femme courageuse s'il en fût, ne se laissant impressionner par rien, n'ayant aucune foi à ce qu'on racontait, qui aurait sans crainte couché dans une église, comme on dit vulgairement pour désigner une femme qui n'a pas peur ; cette servante, dis-je, nettoyait un soir, à la nuit tombante, et dans le corridor de la grange, les ustensiles de cuisine. M. Ferré, son maître, qui avait été voir M. le curé Desplas, son voisin, ne devait pas rentrer. Pendant que la susdite Calvet était occupée à bien laver les ustensiles, un curé passe devant elle sans lui adresser la parole. «Oh ! vous ne me ferez pas peur, Monsieur le curé, dit-elle, je ne suis pas si bête de croire que M. Peytou revient.» Voyant que le curé qui était passé et qu'elle prenait pour son maître ne lui disait rien, Marie Calvet lève la tête, se tourne et n'aperçoit rien. Alors la peur commença à s'emparer d'elle, et elle descendit rapidement chez les voisins pour leur dire ce qui venait de lui arriver et prier la femme Galy de venir coucher avec elle.

«TROISIEME. - Anne Maurette, épouse Ferrau (Raymond), encore vivante, allait à la pointe du jour, à la montagne, chercher avec son âne une charge de bois. En passant devant le jardin presbytéral, elle voit un curé qui se promenait, un bréviaire à la main, le long de l'allée. Au moment où elle voulait lui dire : «Bonjour, Monsieur le curé, vous vous êtes levé bien matin, le prêtre se tourne, continuant la récitation de son bréviaire. La femme, ne voulant pas interrompre M. le curé dans ses prières, poursuit son chemin sans qu'aucune pensée de revenant se présentât à son esprit. En rentrant de la montagne avec son âne chargé de bois, elle rencontra M. le curé de Sentenac devant l'église : «Vous vous êtes levé bien matin, Monsieur le curé, dit-elle ; je croyais que vous vouliez aller en voyage, quand en passant je vous ai vu dire l'office devant le jardin.» - Non, ma bonne femme, répondit M. le curé, il n'y a pas longtemps que j'ai quitté mon lit, je viens à peine de dire la sainte messe. - Et alors, répliqua cette femme, comme saisie de frayeur, quel était ce prêtre qui récitait à la pointe du jour son bréviaire dans l'allée de votre jardin, et qui s'est retourné au moment où je voulais lui adresser la parole ? J'ai été fort heureuse de croire que c'était vous-même, Monsieur le curé ; je serais morte de peur si j'avais pu croire que c'était le curé qui n'est plus. Mon Dieu ! je n'aurai plus le courage de repasser le matin.»

«Voilà, Monsieur, trois faits qui ne sont pas le produit d'une imagination faible ou effrayée, je doute que la science puisse naturellement les expliquer. Sont-ce des revenants ? Je me garderai de l'affirmer, mais c'est toujours quelque chose qui n'est pas naturel.

«Votre dévoué

«J. Augé.»

Toutes les circonstances de ce récit montrent la personnalité posthume du curé Peytou, continuant dans l'autre monde la vie terrestre. Il va et vient dans son appartement, se promène en lisant son bréviaire ; il est donc impossible de nier la persistance de l'individualité dans ces conditions.

Pour ne pas fatiguer les lecteurs par une fastidieuse compilation, nous nous bornerons à citer l'histoire suivante racontée par le chevalier des Mousseaux qui s'exprime ainsi en parlant des apparitions des Esprits : «Ces faits sont confirmés de nos jours par des ouvrages anglo-américains modernes, que publièrent des savants tels que le grand juge Edmonds, président du Sénat ; Roger, Bavie, Grégory, professeur à l'Université d'Edimbourg. Parmi les faits innombrables de cet ordre, voici ce que racontait, à qui voulait l'entendre, l'homme le moins catholique du monde et le plus sceptique : lord Byron.

«Le capitaine Kidd me dit : Une belle nuit je m'éveillai dans mon hamac et je sentis sur moi quelque chose de pesant ; j'ouvris les yeux, c'était mon frère, en uniforme, couché en travers de mon lit. Je voulus me figurer que cette vision n'était qu'un rêve, et je fermai les yeux pour m'endormir. Mais le même poids se fit sentir, et je revis mon frère couché dans la même position. J'étendis la main et je touchai son uniforme, il était mouillé ! J'appelai : quelqu'un vint, et cette forme humaine disparut. J'appris plus tard que, cette même nuit, mon frère s'était noyé dans l'océan Indien.»

Les faits abondent pour démontrer la survivance et la manifestation des esprits qui ont quitté la terre. Nous ne continuerons pas notre énumération, et en nous référant au livre de M. Dassier, nous prendrons ses principales remarques, déduites de milliers d'observations. L'être posthume possède, comme le double fluidique de l'homme, une forme nettement définie qui reproduit la physionomie et l'ensemble physique du défunt. L'esprit dans ces conditions passe à travers les obstacles matériels qu'on voudrait lui opposer, sans en être aucunement gêné. Nous l'avons vu se livrer habituellement aux mêmes occupations que durant sa vie et cesser tout à coup ses manifestations.

M. Dassier, positiviste, niait d'abord que la survivance fût possible, puis, vaincu par l'évidence, il reconnut son erreur et proclama l'existence de l'être posthume. Mais ce qu'il y a de plus curieux, c'est qu'il ne l'admet pas indéfinie. Il croit que le fantôme n'a qu'une existence momentanée due au peu de force vitale qui reste dans le corps après la mort. Il ne songe pas que le cerveau étant détruit, le posthume ne pourrait faire acte d'intelligence, aller, venir, parler, etc. M. Dassier nous apprend que ce fantôme se dissocie lentement pour rentrer dans le grand tout. Sur quoi base-t-il son appréciation ? Sur ce que les manifestations ne se reproduisent pas toujours.

Cette raison est spécieuse, car elles cessent, en général, lorsqu'on a accompli les volontés de l'être qui se manifeste, et dès lors il n'a plus aucun motif de continuer son tapage ; d'ailleurs les milliers de communications que nous recevons chaque jour nous affirment que l'âme est bien immortelle, et que, loin de se dissoudre lentement, elle va, au contraire, en grandissant moralement et intellectuellement. Oui, mais M. Dassier ne croit pas aux communications ; il se figure qu'elles sont produites par le double fluidique de la personne qui évoque, par ce qu'il nomme l'éther mesmérien.

Il suffit pour combattre cette théorie hasardée, de faire remarquer que les médiums sont absolument dans leur état normal lorsqu'ils obtiennent des communications. Si on n'avait de relations avec le monde des esprits qu'au moyen de somnambules, nous pourrions admettre que la double personnalité intervient, mais nos médiums sont parfaitement éveillés et, de plus, l'hypothèse de M. Dassier n'expliquerait pas même tous les cas de la médiumnité.

Admettons pour un instant que la personnalité mesmérienne du médium soit en action ; cette personnalité ; en supposant qu'elle reproduise exactement le calque intellectuel et physique du médium, ne peut acquérir, par le seul fait de son changement, des qualités qu'elle n'avait pas auparavant. Dès lors, comment expliquer les communications reçues en langues étrangères, l'hébraïco-syriaque de M. Des Mousseaux, et les facultés du garçon de magasin dont parle Cox, qui traitait les plus hauts sujets de la philosophie ? Non, une doctrine comme celle de M. Dassier n'est pas acceptable, et loin de détruire, comme il en a la prétention, «les énervantes hallucinations du spiritisme», il ne fait que nous confirmer plus profondément dans notre foi par les nombreux arguments que son livre nous apporte.

Signalons encore deux caractères de l'être posthume. Il se déplace avec autant de rapidité que le fantôme vivant. Le frère du capitaine Kidd, mort dans l'océan Indien, vient le trouver dans l'Atlantique, la nuit même où s'est produite sa mort.

Deuxièmement le posthume semble redouter la lumière, il la fuit avec une promptitude extrême. Toutes les manifestations auxquelles il se livre ont lieu la nuit et bien rarement pendant le jour. Dans ce dernier cas, c'est particulièrement aux approches du crépuscule qu'elles se produisent.

M. Dassier attribue à la lumière une action désorganisatrice due à l'extrême rapidité des vibrations lumineuses ; nous sommes assez de cet avis, nous verrons tout à l'heure pourquoi et dans quelles conditions.

Jusqu'alors nous avons constaté l'existence de l'âme après la mort, nous avons remarqué qu'elle était revêtue d'une enveloppe, et ceci en nous basant sur l'observation de faits dont l'authenticité nous paraît des mieux établies. Mais nous nous attendons à ce que les incrédules mettent sur le compte de l'hallucination la plupart de ces faits. En vain leur objectera-t-on qu'une pareille concordance entre les récits puisés à des sources si différentes témoigne de la réalité du fait, ils continueront à le nier et à l'attribuer à une maladive attraction que le vulgaire ressent pour le merveilleux. Du haut de leur scepticisme ignorant, ils continueront à sourire de ces superstitions populaires. Mais peut-être cette sécurité railleuse sera-t-elle ébranlée si nous mettons sous leurs yeux, non plus des récits puisés un peu partout et qu'on peut toujours récuser, mais des expériences précises, faites par des hommes de science dans leur laboratoire.

Les faits de matérialisation des esprits qu'on a signalés dans tous les temps n'avaient pas lieu d'une manière régulière, et l'étrangeté des circonstances dans lesquelles ils se produisaient, la peur dont les témoins se sentaient saisis, étaient autant de raisons pour qu'ils fussent mal observés. Grâce au spiritisme, nous pouvons aujourd'hui expérimenter avec quelque certitude, nous connaissons théoriquement les causes de ces phénomènes et si nous ne pouvons encore expliquer scientifiquement comment ils se produisent, nous pouvons déjà trouver dans la science nos plus fermes points d'appui. Nous allons revenir à l'ouvrage de M. Crookes : Recherches sur le Spiritualisme, qui n'est, à vrai dire, que la reproduction des articles qu'il a publiés dans le Quarterly review, réunis en volume par la librairie des sciences psychologiques.

Lorsque ces remarquables travaux parurent en Angleterre, ils excitèrent une stupeur générale. Comment, un homme de cette valeur osait se prononcer affirmativement sur un sujet aussi controversé ? Il apportait des expériences scientifiques ? Vraiment la chose était incroyable, et de tous côtés les vociférations des matérialistes de se faire entendre. M. Crookes dédaigna ces attaques qui ne reposaient sur rien, mais une fois pour toutes il répondit à ceux qui l'accusaient de n'avoir pas une compétence suffisante pour se prononcer dans ces questions :

«Il semble que mon plus grand crime est d'être «un spécialiste parmi les spécialistes !» Moi, un spécialiste ! c'est vraiment nouveau pour moi, que j'aie limité mon attention à un seul sujet spécial. Mon chroniqueur serait-il assez bon pour me dire quel est ce sujet ? Est-ce la chimie générale dont j'ai fait des comptes rendus depuis la création du chimical new en 1859 ? Est-ce le thallium, au sujet duquel le public a probablement entendu dire tout ce qui pouvait l'intéresser ? Est-ce l'analyse chimique sur laquelle j'ai publié récemment un traité des méthodes choisies, qui est le résultat de douze ans de travaux ? Est-ce la désinfection, la prévention et la guérison de la peste bovine sur laquelle j'ai publié un rapport qui, on peut le dire, a popularisé l'acide carbonique ? Est-ce la photographie, sur laquelle j'ai écrit de très nombreux articles tant sur la théorie que sur la pratique ? Est-ce la métallurgie de l'or et de l'argent dans laquelle ma découverte de la valeur du sodium pour le procédé d'amalgamation est à présent largement employé en Australie, en Californie et dans l'Amérique du Sud ? Est-ce l'optique, branche pour laquelle je n'ai que la place de renvoyer à mes mémoires sur quelques phénomènes de la lumière polarisée, publiés avant que j'eusse vingt et un ans ; à ma description détaillée du spectroscope et mes travaux avec cet instrument à une époque où il était presque inconnu en Angleterre ; à mes articles sur les spectres solaires et terrestres ; à mes études sur les phénomènes optiques des opales et à la construction du microscope spectral ; à mes mémoires sur la mesure de l'intensité de la lumière et à la description de mon photomètre de polarisation ? Ou bien ma spécialité est-elle l'astronomie et la météorologie, puisque pendant un an j'ai été à l'Observatoire Radcliffe à Oxford, où, en plus de ma fonction spéciale de surveiller la météorologie, j'avais partagé mes loisirs entre Homère et les mathématiques à Magdalen Hall ; la chasse aux planètes et les prises de passage avec M. Pogson, maintenant directeur de l'observatoire de Madras, et la photographie céleste exécutée avec le magnifique héliomètre attaché à l'observatoire.

«Les photographies de la lune, prises par moi en 1855, à l'observatoire de M. Hartnup, à Liverpool, ont été pendant plusieurs années les meilleures qui existassent, et la Société Royale m'honora d'une gratification en argent pour poursuivre mes travaux sur ce sujet. Ces faits, joints à mon voyage à Oran, l'année dernière, en qualité de membre de l'expédition envoyée par le gouvernement pour y étudier l'éclipse, et l'invitation que j'ai reçue naguère de me rendre à Ceylan pour le même but sembleraient montrer que l'astronomie est ma spécialité. A vrai dire, peu d'hommes de science prêtent moins que moi à l'accusation d'être un spécialiste parmi les spécialistes.»

Ajoutons à ce magnifique ensemble de découvertes celle de la matière radiante, et nous pourrons marcher hardiment derrière un tel homme, sans craindre les sarcasmes des ignorants qui ne sauraient nous atteindre.

C'est en étudiant avec M. Home que Crookes obtint les premières manifestations visibles et tangibles. Nous avons raconté déjà qu'il vit une main lumineuse écrire rapidement, puis remonter dans l'air et disparaître. Il eut l'occasion en poursuivant ses expériences de constater des formes et figures de fantômes. «Ces phénomènes, dit-il, sont les plus rares de tous ceux dont il a été témoin.» Les conditions nécessaires pour leur apparition semblent être si délicates, et il faut si peu de chose pour contrarier leur manifestation que je n'ai eu que de très rares occasions de les voir dans des conditions de contrôle suffisantes. Je mentionnerai deux de ces cas.

«Au déclin du jour, pendant une séance de M. Home chez moi, je vis s'agiter les rideaux d'une fenêtre, qui était environ à huit pieds de distance de M. Home. Une forme sombre, obscure, demi-transparente, semblable à une forme humaine, fut aperçue par tous les assistants, debout près de la croisée, et cette forme agitait le rideau avec sa main. Pendant que nous la regardions, elle s'évanouit et les rideaux cessèrent de se mouvoir.»

Le cas qui suit est encore plus frappant. Comme dans le cas précédent, M. Home était le médium.

«Une forme de fantôme s'avança d'un coin de la chambre, alla prendre un accordéon, et ensuite glissa dans l'appartement en jouant de cet instrument. Cette forme fut visible pendant plusieurs minutes pour toutes les personnes présentes et en même temps on voyait aussi M. Home. Le fantôme s'approcha ensuite d'une dame qui était assise à une certaine distance du reste des assistants ; cette dame poussa un petit cri à la suite duquel l'ombre disparut.»

Ici le récit de l'apparition n'est plus niable, il n'est pas constaté par des paysans ignorants et superstitieux, il ne s'est pas produit à une époque reculée, ou devant des personnes incompétentes pour juger. La supercherie n'est pas possible, puisque l'apparition se montre dans le propre appartement de M. Crookes. Ce fait justifie la possibilité, et, nous dirons plus, la certitude que les autres se sont bien réellement accomplis.

Voici, d'ailleurs, d'autres preuves qui viennent s'ajouter aux précédentes et qui établissent d'une manière irrécusable l'existence et la matérialisation des Esprits dans certaines conditions. Ainsi que nous l'avons dit, il y eut des luttes passionnées, des polémiques violentes dans les journaux anglais, et c'est à ces dissensions que nous avons la bonne fortune de voir M. Crookes intervenir dans le débat, par une série de lettres dans lesquelles il expose les résultats auxquels il est arrivé en compagnie de mademoiselle Florence Cook.

Pour permettre au lecteur de suivre la discussion, il faut que nous exposions de quelle manière on procède ordinairement pour obtenir des matérialisations d'esprit. Dans une chambre quelconque, on suspend en diagonale, dans un des coins, un rideau qui peut se mouvoir sur des tringles. C'est dans ce réduit que se place le médium, après avoir été préalablement visité des pieds à la tête, puis toutes les personnes présentes s'asseyent en rond en se tenant par la main, et toutes les portes sont closes. Au bout d'un temps plus ou moins long, l'esprit apparaît, sortant du cabinet et se promène dans l'espace libre laissé par les assistants. Ceci dit, revenons à M. Crookes. Voici sa première lettre.

«Monsieur,

«Je me suis efforcé, le plus que j'ai pu, d'éviter toute controverse en parlant sur un sujet aussi inflammable que les phénomènes appelés spirites. Excepté dans un très petit nombre de cas où l'éminente position de mes adversaires aurait pu faire donner à mon silence d'autres motifs que les véritables, je n'ai jamais répliqué aux attaques et aux fausses interprétations que mes attaches à cette cause ont fait diriger contre moi.

«Le cas est autre cependant, lorsque quelques lignes de ma part pourront éloigner un injuste soupçon jeté sur quelqu'un. Et lorsque ce quelqu'un est une femme jeune, sensible et innocente, c'est tout spécialement un devoir d'apporter le poids de mon témoignage en faveur de celle que je crois injustement accusée.

«Parmi tous les arguments mis en avant de part et d'autre touchant les phénomènes obtenus par la médiumnité de mademoiselle Cook, je vois très peu de faits établis de manière à amener un lecteur à dire, pourvu qu'il puisse avoir confiance dans le jugement et la véracité du narrateur : «Enfin, voici une preuve absolue !»

«Je vois beaucoup de fausses assertions, beaucoup d'exagérations non intentionnelles, des conjectures et des suppositions sans fin, pas mal d'insinuations de fraude, un peu de bouffonnerie vulgaire, mais je ne vois personne se présenter avec l'affirmation positive, basée sur l'évidence de ses propres sens, que quand la forme qui se donne elle-même le nom de «Katie» est dans la chambre, le corps de mademoiselle Cook est au même moment dans le cabinet ou n'y est pas.

«Il me semble que toute la question se resserre entre ces étroites limites. Qu'on prouve comme un fait, l'une ou l'autre des deux alternatives précédentes, et toutes les autres questions subsidiaires seront écartées...

«La séance se tenait dans la maison de M. Luxmore, et le «cabinet» (espace réservé au médium) était un arrière-salon séparé par un rideau de la chambre du devant, dans laquelle se trouvait l'assistance.

«La formalité ordinaire d'inspecter la chambre et d'examiner les fermetures ayant été effectuée, mademoiselle Cook pénétra dans le cabinet.

«Au bout de peu de temps, la forme de Katie apparut, à côté du rideau, mais elle se retira bientôt en disant que son médium n'était pas bien et ne pouvait pas être mis dans un sommeil suffisamment profond pour qu'il fût sans danger pour elle de s'en éloigner.

«J'étais placé à quelques pieds du rideau derrière lequel mademoiselle Cook était assise, le touchant presque, et je pouvais fréquemment entendre ses plaintes et ses sanglots, comme si elle souffrait. Ce malaise continua par intervalles, presque pendant toute la durée de la séance, et une fois comme la forme de Katie était devant moi dans la chambre, j'entendis distinctement le son d'un sanglot plaintif, identique à ceux que mademoiselle Cook avait fait entendre par intervalles pendant le cours de la séance, et qui venait de derrière le rideau où elle était assise.

«J'avoue que la figure était frappante de vie et d'apparence de réalité, et autant que je pouvais voir à la lumière un peu indécise, ses traits ressemblaient à ceux de mademoiselle Cook ; mais cependant la preuve positive donnée par un de mes sens, que le soupir venait de mademoiselle Cook dans le cabinet, tandis que la figure était au-dehors, cette preuve, dis-je, est trop forte pour être renversée par une simple supposition du contraire, même bien soutenue.»

Le témoignage de M. Crookes est une garantie de l'exactitude des faits, mais nous allons constater que ces manifestations, encore un peu vagues, ont été en s'accentuant de plus en plus jusqu'à amener M. Crookes à dire dans une lettre suivante : «Je suis heureux de dire que j'ai enfin obtenu «la preuve absolue» dont je parlais dans la lettre précédente.» Laissons la parole à l'éminent chimiste.

«Pour le moment, je ne parlerai pas de la plupart des preuves que Katie m'a données dans les nombreuses occasions où mademoiselle Cook m'a favorisé de séances chez moi, et je n'en décrirai qu'une ou deux qui ont eu lieu récemment.

«Depuis quelque temps, j'expérimentais avec une lampe à phosphore, consistant en une bouteille de 6 ou 8 onces qui contenait un peu d'huile phosphorée et qui était solidement bouchée. J'avais des raisons pour espérer qu'à la lumière de cette lampe, quelques-uns des mystérieux phénomènes du cabinet pourraient se rendre visibles, et Katie espérait, elle aussi, obtenir le même résultat.

«Le 12 mars, pendant une séance chez moi, et après que Katie eut marché au milieu de nous, qu'elle nous eut parlé pendant quelque temps, elle se retira derrière le rideau qui séparait mon laboratoire, où l'assistance était assise, de ma bibliothèque, qui, temporairement, faisait l'office de cabinet. Au bout d'un moment, elle m'appela à elle en disant : «Entrez dans la chambre et soulevez la tête de mon médium : elle a glissé à terre.» Katie était alors devant moi, vêtue de sa robe blanche habituelle et coiffée de son turban. Immédiatement je me dirigeai vers la bibliothèque pour relever mademoiselle Cook, et Katie fit quelques pas de côté pour me laisser passer. En effet, mademoiselle Cook avait glissé en partie de dessus le canapé, et sa tête se penchait dans une position très pénible. Je la remis sur le canapé, et en faisant cela, j'eus, malgré l'obscurité, la vive satisfaction de constater que mademoiselle Cook n'était pas revêtue du costume de Katie, mais qu'elle portait son vêtement ordinaire de velours noir et se trouvait dans une profonde léthargie. Il ne s'était pas écoulé plus de cinq secondes entre le moment où je vis Katie en robe blanche devant moi et celui où je relevai mademoiselle Cook sur le canapé en la retirant de la position où elle se trouvait.

«En retournant à mon poste d'observation, Katie apparut de nouveau et dit qu'elle pensait qu'elle pourrait se montrer à moi, en même temps que son médium. Le gaz fut baissé et elle me demanda ma lampe à phosphore. Après s'être montrée à sa lueur pendant quelques secondes, elle me la remit dans les mains en disant : «Maintenant, entrez et venez voir mon médium.» Je la suivis de près dans ma bibliothèque et, à la lueur de ma lampe, je vis mademoiselle Cook reposant sur le sofa exactement comme je l'y avais laissée. Je regardai autour de moi pour voir Katie, mais elle avait disparu ; je l'appelai, mais je ne reçus pas de réponse.

«Je repris ma place et Katie réapparut bientôt et me dit que tout le temps elle avait été debout à côté de mademoiselle Cook. Elle me demanda alors si elle ne pourrait pas elle-même essayer une expérience, et prenant de mes mains la lampe à phosphore, elle passa derrière le rideau, me priant de ne pas regarder derrière le rideau pour le moment. Au bout de quelques minutes, elle me rendit la lampe en disant qu'elle n'avait pu réussir, qu'elle avait épuisé tout le fluide du médium, mais qu'elle essaierait une autre fois. Mon fils aîné, un garçon de 14 ans, qui était assis en face de moi, dans une position telle qu'il pouvait voir derrière le rideau, me dit qu'il avait vu distinctement la lampe à phosphore paraissant flotter dans l'espace au-dessus de mademoiselle Cook et l'éclairant pendant qu'elle était étendue sans mouvement sur le sofa, mais qu'il n'avait pu voir personne tenir la lampe.

«Je passe maintenant à la séance tenue hier soir à Hachney. Jamais Katie n'est apparue avec une aussi grande perfection ; pendant près de deux heures elle s'est promenée dans la chambre, en causant familièrement avec ceux qui étaient présents. Plusieurs fois elle prit mon bras en marchant, et l'impression ressentie par mon esprit, que c'était une femme vivante qui se trouvait à mon côté, et non pas un visiteur de l'autre monde, cette impression, dis-je, fut si forte, que la tentative de répéter une récente et curieuse expérience fut presque irrésistible.

«Pensant donc que si je n'avais pas un esprit près de moi, il y avait tout au moins une dame, je lui demandai la permission de la prendre dans mes bras, afin de me permettre de vérifier les intéressantes observations qu'un expérimentateur hardi avait récemment fait connaître d'une manière tant soit peu prolixe. Cette permission me fut gracieusement donnée et, en conséquence, j'en usai convenablement, comme tout homme bien élevé l'eût fait dans ces circonstances. M. Volckman sera charmé de savoir que je puis corroborer son assertion que le fantôme (qui, du reste, ne fit aucune résistance) était un être aussi matériel que mademoiselle Cook elle-même...

«Katie dit alors que cette fois elle se croyait capable de se montrer en même temps que mademoiselle Cook. Je baissai le gaz et ensuite avec une lampe à phosphore je pénétrai dans le cabinet. Mais préalablement, j'avais prié un de mes amis, qui est habile sténographe, de noter toute observation que je pourrais faire pendant que je serais dans ce cabinet, car je connais l'importance qui s'attache aux premières impressions et je ne voulais pas me confier à ma mémoire plus qu'il n'était nécessaire. Ces notes sont en ce moment devant moi.

«J'entrai dans la chambre avec précaution ; il y faisait noir, et ce fut à tâtons que je cherchai mademoiselle Cook ; je la trouvai accroupie sur le plancher.

«M'agenouillant, je laissai l'air entrer dans ma lampe, et à sa lueur je vis cette jeune dame vêtue de velours noir, comme elle l'était au début de la séance, et ayant tout à fait l'apparence d'être complètement insensible. Elle ne bougea pas lorsque je pris sa main et tins la lampe tout à fait près de son visage ; mais elle continua à respirer paisiblement.

Elevant la lampe, je regardai autour de moi et je vis Katie debout, tout près de mademoiselle Cook et se tenant derrière elle. Elle était vêtue d'une draperie courte et flottante, comme nous l'avions déjà vue pendant la séance. Tenant une des mains de mademoiselle Cook dans la mienne et m'agenouillant encore, j'élevai et j'abaissai la lampe, tant pour éclairer la figure entière de Katie que pour pleinement me convaincre que je voyais bien réellement la vraie Katie que j'avais pressée dans mes bras, quelques minutes auparavant, et non pas le fantôme d'un cerveau malade. Elle ne parla pas, mais elle remua la tête en signe de reconnaissance. Par trois fois différentes j'examinai soigneusement mademoiselle Cook accroupie devant moi, pour m'assurer que la main que je tenais devant moi était bien celle d'une femme vivante et, à trois reprises différentes, je tournai ma lampe vers Katie, pour l'examiner avec une attention soutenue, jusqu'à ce que je n'eusse plus le moindre doute qu'elle était là devant moi. A la fin, mademoiselle Cook fit un léger mouvement, et aussitôt Katie me fit signe de m'en aller ; je me retirai dans une autre partie du cabinet et cessai alors de voir Katie, mais je ne quittai pas la chambre jusqu'à ce que mademoiselle Cook se fût réveillée et que deux des assistants eussent pénétré avec de la lumière.»

On pourrait supposer d'après ce que nous connaissons jusqu'alors des propriétés du périsprit, qu'il s'opère simplement un dédoublement de la personnalité du médium, mais la suite des remarques de Crookes va nous montrer que le double fluidique ne joue ici aucun rôle et que l'action est due à un être spirituel momentanément matérialisé.

«Avant de terminer cet article, je désire faire connaître quelques-unes des différences que j'ai observées entre mademoiselle Cook et Katie. La taille de Katie est variable ; chez moi je l'ai vue plus grande de six pouces que mademoiselle Cook. Hier soir, ayant les pieds nus et ne se tenant pas sur la pointe des pieds, elle avait 4 pouces 1/2 de plus que mademoiselle Cook. Hier soir, Katie avait le cou découvert, la peau était parfaitement douce au toucher et à la vue, tandis que mademoiselle Cook a au cou une cicatrice qui, dans des circonstances semblables, se voit distinctement et est rude à toucher. Les oreilles de Katie ne sont pas percées, tandis que mademoiselle Cook porte ordinairement des boucles d'oreilles. Le teint de Katie est très blanc, tandis que celui de mademoiselle Cook est très brun. Les doigts de Katie sont beaucoup plus longs que ceux de mademoiselle Cook, et son visage est aussi plus grand. Dans les façons et manières de s'exprimer, il y a bien des différences marquées.»

Voilà les faits, nous espérons qu'ils sont circonstanciés et entourés des précautions les plus minutieuses. La bonne foi de l'illustre savant ne peut et remise en cause, il n'aurait donc pu qu'être le jouet d'une illusion, d'une hallucination, en prenant pour vraies des fantaisies de son imagination. Mais cette explication, qui charmerait M. Jules Soury, ne peut même pas être invoquée, car la lettre suivante va nous apprendre qu'on a pu photographier l'esprit Katie. Or si l'on peut concevoir un homme de génie halluciné, il est tout à fait ridicule de prétendre qu'on peut photographier des hallucinations.

Laissons parler les faits. Voici une troisième et dernière lettre de M. Crookes.

«Ayant pris une part très active aux dernières séances de mademoiselle Cook, et ayant très bien réussi à prendre de nombreuses photographies à la lumière électrique de Katie King, j'ai pensé que la publication de quelques détails serait intéressante pour les spiritualistes.

«Durant la semaine qui a précédé le départ de Katie, elle a donné des séances chez moi, presque tous les soirs, afin de me permettre de la photographier à la lumière artificielle. Cinq appareils complets de photographie furent donc préparés à cet effet. Ils consistaient en cinq chambres noires, une de la grandeur de plaque entière, une de demi-plaque, une de quart, et de deux chambres stéréoscopiques binoculaires, qui devaient toutes être dirigées sur Katie en même temps, chaque fois qu'elle poserait pour obtenir son portrait. Cinq bains sensibilisateurs et fixateurs furent employés, et nombre de glaces furent nettoyées à l'avance, prêtes à servir afin qu'il n'y eût ni hésitations, ni retard pendant les opérations photographiques, que j'exécutai moi-même assisté d'un aide.

«Ma bibliothèque servit de cabinet noir ; elle avait une porte à deux battants qui s'ouvrait sur le laboratoire ; un de ces battants fut enlevé de ses gonds, un rideau fut suspendu à sa place pour permettre à Katie d'entrer et de sortir facilement. Ceux de nos amis qui étaient présents étaient assis dans le laboratoire, en face le rideau, et les chambres noires étaient placées un peu derrière eux, prêtes à photographier Katie quand elle sortirait, et à prendre également l'intérieur du cabinet, chaque fois que le rideau serait enlevé dans ce but. Chaque soir, il y avait quatre ou cinq expositions de glace dans les cinq chambres noires, ce qui donnait au moins quinze épreuves par séance. Quelques-unes se gâtèrent au développement, d'autres en réglant la lumière. Malgré tout, j'ai quarante-quatre négatifs, quelques-uns médiocres, quelques-uns ni bons ni mauvais, et d'autres excellents1.

«Katie donna pour instruction à tous les assistants de rester assis et d'observer cette condition ; seul, je ne fus pas compris dans cette mesure, ca depuis quelque temps elle m'avait donné la permission de faire ce que je voudrais, de la toucher, d'entrer dans le cabinet et d'en sortir, presque chaque fois qu'il me plairait. Je l'ai suivie dans le cabinet et je l'ai vue quelquefois, elle et son médium, en même temps, mais le plus généralement je ne trouvai que le médium en léthargie et reposant sur le paquet : Katie et son costume blanc avaient instantanément disparu.

«Durant ces six derniers mois, mademoiselle Cook a fait chez moi de nombreuses visites et y est restée quelquefois des semaines entières. Elle n'apportait avec elle qu'un petit sac de nuit ne fermant pas à clef, pendant le jour, elle était constamment en compagnie de madame Crookes, de moi-même, ou de quelque autre membre de ma famille, et ne dormant pas seule, il y a eu manque absolu d'occasion de rien préparer, même d'un caractère moins achevé, qui fût apte à jouer le rôle de Katie King. J'ai préparé et disposé moi-même ma bibliothèque ainsi que le cabinet noir, et d'habitude, après que mademoiselle Cook avait dîné et causé avec nous, elle se dirigeait droit au cabinet, et à sa demande je fermai à clef la seconde porte, gardant la clef sur moi pendant toute la séance : alors on baissait le gaz et on laissait mademoiselle Cook dans l'obscurité.

«En entrant dans le cabinet, mademoiselle Cook s'étendait sur le plancher, sa tête sur un coussin, et bientôt elle était en léthargie. Pendant les séances photographiques, Katie enveloppait la tête de son médium avec un châle, pour empêcher que la lumière ne tombât sur son visage. Fréquemment j'ai soulevé un coin du rideau pendant que Katie était debout tout auprès. Les sept ou huit personnes qui étaient dans le laboratoire pouvaient voir en même temps mademoiselle Cook et Katie, sous le plein éclat de la lumière électrique. Nous ne pouvions pas, alors, voir le visage du médium à cause du châle, mais nous apercevions ses mains et ses pieds, nous le voyions se remuer péniblement sous l'influence de cette lumière intense, et par moments nous entendions ses plaintes. J'ai une épreuve de Katie et de son médium photographiés ensemble ; mais Katie est placée devant la tête de mademoiselle Cook. Pendant que je prenais une part active à ces séances, la confiance qu'avait en moi Katie s'accroissait graduellement, au point qu'elle ne voulait plus donner de séance, à moins que je ne me chargeasse des dispositions à prendre, disant qu'elle voulait toujours m'avoir près d'elle et près du cabinet. Dès que cette confiance fut établie, et quand elle eut la satisfaction d'être sûre que je tiendrais les promesses que je pouvais lui faire, les phénomènes augmentèrent beaucoup en puissance, et des preuves me furent données qu'il m'eût été impossible d'obtenir, si je m'étais approché du sujet d'une manière différente.

«Elle m'interrogeait souvent au sujet des personnes présentes aux séances et sur la manière dont elles seraient placées, car dans les derniers temps elle était devenue très nerveuse à la suite de certaines suggestions malavisées qui conseillaient d'employer la force pour procéder à des modes de recherches plus scientifiques.

«Une des photographies les plus intéressantes est celle où je suis debout à côté de Katie, elle a son pied nu, sur un point particulier du plancher. J'habillai ensuite mademoiselle Cook comme Katie ; elle et moi nous nous plaçâmes absolument dans la même position, et nous fûmes photographiés par les mêmes objectifs placés absolument comme dans l'autre expérience et éclairés par la même lumière. Lorsque ces deux dessins sont placés l'un sur l'autre, les photographies de moi coïncident parfaitement quant à la taille, etc.., mais Katie est plus grande d'une demi-tête que mademoiselle Cook, et auprès d'elle, elle semble une grosse femme. Dans beaucoup d'épreuves, la largeur de son visage et la grosseur de son corps diffèrent essentiellement de son médium, et les photographies font voir plusieurs autres points de dissemblance.

«Mais la photographie est aussi impuissante à dépeindre la beauté parfaite du visage de Katie, que les mots le sont eux-mêmes à décrire le charme de ses manières. La photographie peut, il est vrai, donner un dessin de sa pose, mais comment pourrait-elle reproduire la pureté brillante de son teint, ou l'expression sans cesse changeante de ses traits si mobiles, tantôt voilés de tristesse lorsqu'elle racontait quelque événement de sa vie passée, tantôt souriant avec toute l'innocence d'une jeune fille lorsqu'elle avait réuni mes enfants autour d'elle et qu'elle les amusait en leur racontant des épisodes de ses aventures dans l'Inde.

«J'ai si bien vu Katie récemment, lorsqu'elle était éclairée par la lumière électrique, qu'il m'est facile d'ajouter quelques traits aux différences que j'ai établies, dans un précédent article entre elle et son médium. J'ai la certitude la plus absolue que mademoiselle Cook et Katie sont deux individualités distinctes, du moins en ce qui concerne leur corps. Plusieurs petites marques qui se trouvent sur le visage de mademoiselle Cook font défaut sur celui de Katie. La chevelure de mademoiselle Cook est d'un brun si foncé qu'elle paraît presque noire. Une boucle de celle de Katie, qui est là sous mes yeux, et qu'elle m'avait permis de couper au milieu de ses tresses luxuriantes, après l'avoir suivie de mes propres doigts jusque sur le haut de sa tête et m'être assuré qu'elle y avait bien poussé, est d'un riche châtain doré.

«Un soir, je comptais les pulsations de Katie : son pouls battait régulièrement 75, tandis que celui de mademoiselle Cook peu d'instants après atteignait 90, son chiffre habituel. En appuyant mon oreille sur la poitrine de Katie, je pouvais entendre un coeur battre à l'intérieur, et ses pulsations étaient encore plus régulières que celles du coeur de mademoiselle Cook, lorsque après la séance elle me permettait la même expérience. Eprouvés de la même manière, les poumons de Katie se montrèrent plus sains que ceux de son médium. Car au moment où je fis mon expérience, mademoiselle Cook suivait un traitement médical pour un gros rhume.

«Vos lecteurs trouveront sans doute intéressant qu'à vos récits et à ceux de M. Ross Church, au sujet de la dernière apparition de Katie, peuvent s'ajouter les miens, du moins ceux que je puis oublier. Lorsque le moment de nous dire adieu fut arrivé pour Katie, je lui demandai la faveur d'être le dernier à la voir. En conséquence, quand elle eut appelé à elle chaque personne de la société et qu'elle leur eut dit quelques mots en particulier, elle donna des instructions générales pour notre direction future et la protection à donner à mademoiselle Cook. De ces instructions, qui furent sténographiées, je cite la suivante : «M. Crookes a très bien agi constamment, et c'est avec la plus grande confiance que je laisse Florence entre ses mains, parfaitement sûre que je suis qu'il ne trompera pas la foi que j'ai en lui. Dans toutes les circonstances imprévues, il pourra faire mieux que moi-même, car il a plus de force.»

«Ayant terminé ses instructions, Katie m'engagea à entrer dans le cabinet avec elle, et me permit d'y demeurer jusqu'à la fin.»

«Après avoir fermé le rideau, elle causa avec moi quelque temps, puis elle traversa la chambre pour aller à mademoiselle Cook qui gisait inanimée sur le plancher. Se penchant sur elle, Katie la toucha et lui dit : «Eveillez-vous, Florence, éveillez-vous ! il faut que je vous quitte maintenant.»

«Mademoiselle Cook s'éveilla et, tout en larmes, elle supplia Katie de rester quelque temps encore. «Ma chère, je ne le puis pas, ma mission est accomplie. Que Dieu vous bénisse !» répondit Katie, et elle continua à parler à mademoiselle Cook. Pendant quelques minutes elles causèrent ensemble, jusqu'à ce qu'enfin les larmes de mademoiselle Cook l'empêchèrent de parler. Lisant les instructions de Katie, je m'élançai pour soutenir mademoiselle Cook, qui allait tomber sur le plancher et qui sanglotait convulsivement. Je regardai autour de moi, mais Katie et sa robe blanche avaient disparu. Dès que mademoiselle Cook fut assez calmée, on apporta une lumière, et je la conduisis hors du cabinet.

«Les séances presque journalières dont mademoiselle Cook m'a favorisé dernièrement ont beaucoup éprouvé ses forces, et je désire faire connaître le plus possible les obligations que je lui dois pour son empressement à m'assister dans mes expériences. Quelque épreuves que j'aie proposées, elle a accepté de s'y soumettre avec la plus grande bonne volonté ; sa parole est franche et va droit au but, et je n'ai jamais rien vu qui pût en rien ressembler à la plus légère apparence du désir de tromper. Vraiment je ne crois pas qu'elle pût mener une fraude à bonne fin ; si elle venait à l'essayer, et si elle le tentait, elle serait très promptement découverte, car une telle manière de faire est tout à fait étrangère à sa nature. Et quant à penser qu'une innocente écolière de 15 ans ait été capable de concevoir et de mener pendant trois ans, avec un plein succès, une aussi gigantesque imposture que celle-ci, et que pendant ce temps elle se soit soumise à toutes les conditions qu'on a exigées d'elle, qu'elle ait supporté les recherches les plus minutieuses, qu'elle ait voulu être inspectée à n'importe quel moment, soit avant, soit après les séances, qu'elle ait obtenu encore plus de succès dans ma propre maison que chez ses parents, sachant qu'elle y venait expressément pour se soumettre à de rigoureux essais scientifiques - quant à m'imaginer, dis-je, que la Katie King des trois dernières années est le résultat d'une imposture, cela fait plus de violence à la raison et au bon sens que de croire qu'elle est ce qu'elle affirme elle-même.»

Nous dédions ces faits à MM. Jules Soury, Bersot, de Fonvieille et autres incrédules qui n'ont vu qu'âneries ou subterfuges dans les manifestations spirites. Devant l'évidence des faits, il ne leur restera que la ressource de les nier, mais le public sera juge entre des affirmations téméraires, se basant sur une négation systématique, et les savantes études de l'homme le plus éminent de l'Angleterre à l'heure actuelle. Ceci dit, revenons à notre sujet.

L'esprit Katie King s'est matérialisé, lui aussi, non plus dans une lumière douteuse, mais sous le plein éclat de la lumière électrique ; son corps était aussi réel, aussi tangible que celui de M. Crookes lui-même, puisqu'on entendait battre son coeur. Il faut donc admettre la possibilité de la matérialisation temporaire des esprits, mais une condition se dégage déjà : c'est qu'un médium est nécessaire. Toutes les fois que nous avons observé des cas d'apparitions, nous pouvons sans crainte affirmer qu'un médium se trouvait à proximité du lieu où le phénomène se produisait. Nous allons tenter de comprendre comment les choses se passent. Nous n'avons pas la prétention d'apporter une explication positive complète, mais, simplement, de montrer de quelle manière on peut concevoir la production de ces phénomènes au moyen d'analogies tirées de la science.


1 Voici deux certificats sous la foi du serment, que ces expériences eurent lieu dans les meilleures conditions ; ils ont été publiés en 1875, dans une brochure intitulée : Procès des spirites.

Villa chancer Road Hern Hill, Londres.

Je déclare solennellement et sincèrement que j'ai fait toutes mes études scientifiques et que j'ai étudié avec un grand soin les phénomènes spirites pendant plusieurs années ; je sais qu'ils sont réels. Dans quelques cas j'ai trouvé et démasqué l'imposture publiquement. J'ai assisté à des expériences où M. Cromwell Warley, qui a créé le câble Atlantique, et M. William Crookes, membre de la Société royale de Londres, ont obtenu, avec une évidence absolue, des formes spirites matérialisées et qui, dans diverses occasions, étaient des phénomènes vrais sans imposture. Dans les expériences de M. Crookes, j'ai vu la preuve de ces phénomènes donnée par les instruments scientifiques de ces savants ; dans les expériences de M. Warley, je n'ai pas vu le résultat sur les instruments, parce que j'étais occupé à noter les indications de ces mêmes instruments, pendant qu'un courant électrique, passant par le corps du médium dans le cabinet où ce dernier se trouvait, nous permettait de constater qu'il était toujours à la même place et dans l'impossibilité d'agir comme un esprit matérialisé.
J'ai vu plusieurs fois des mains matérialisées que le médium ne pouvait imiter d'aucune manière. Un jour, chez madame Makdugall Grégory (21, Green-Street, Grosvenor Square, à Londres), j'ai vu clairement et distinctement une main vivante, matérialisée, qui n'était celle d'aucune personne présente ; cette main s'agitait sur le parquet à environ cinq pieds de moi, pendant que le médium était assis sur une chaise.
Cette main jouait sur un instrument de musique pendant que je l'observais.
Je déclare tout ceci vrai, et en vertu d'un acte du parlement, etc., etc.

Signé par WILLIAM HENRY HARISSON.

Devant M. Leth du Conseil de la reine, administrateur des serments, et vérifié par le consul français :
Je soussigné Edwards Dawson Rogers, de la cité de Londres, journaliste, certifie d'avoir vu fréquemment le phénomène du spiritualisme appelé la matérialisation et l'apparition d'une seconde forme humaine autre que celle du médium, sortir d'une petite chambre ou cabinet dans laquelle le médium avait été lié.
J'ai vu ceci plus d'une fois dans des conditions rigoureuses d'expérimentations imposées par le professeur Crookes, l'illustre chimiste et membre de la Société royale de la Grande-Bretagne, où il était impossible de pratiquer aucune déception. L'apparition se promenait au milieu des investigateurs assis devant le cabinet, causant avec eux et étant touchée par eux. Une fois, l'apparition étant ainsi occupée, le professeur Crookes entra dans le cabinet et tira le rideau qui avait caché le médium à la compagnie ; nous vîmes alors et le médium et l'apparition matérialisés en même temps.

Signé : E. DAWSON ROGER
Rose Villa Finchley (London W.).