LA CHARITE

En choisissant le thème de cet exposé, je ne me doutais pas de toute sa portée. L'esprit de Saint Vincent de Paul, dans une communication à la Société d'Etudes Spirites de Paris le 8 juin 1858, a déclaré : "J'ai honte de moi-même, d'oser vous promettre un travail sur la charité, quand je pense que dans ce livre (L'Evangile du Christ) vous trouverez tous les enseignements qui doivent vous conduire, par la main, aux régions célestes"1.

Pourtant, la charité tient une place prépondérante dans les oeuvres de base de la doctrine spirite, notamment dans le Livre des Esprits - questions 886 à 888, et surtout dans L'Evangile selon le Spiritisme, où pas moins de trois chapitres XI, XIII, et XV y sont entièrement consacrés, ravivant les enseignements de l'Evangile du Christ.

Tout y est abordé, tout y est défini. Il ne manque plus que l'action et la pratique du bien de la part des hommes.

Le Spiritisme nous enseigne que la démarche évolutive de l'Esprit passe non seulement par le développement intellectuel, mais aussi par celui des vertus morales, dont la charité est un exemple sublime.

L'Esprit de Vérité nous avertit : "Spirites ! Aimez-vous, voilà le premier enseignement ; instruisez-vous, voilà le second"2.

L'amour peut se manifester sous diverses formes, mais c'est la charité qui "résume tous les devoirs envers le prochain"3, et est donc un passage obligé. Allan Kardec affirme, en parlant des "vrais spirites" ou des "spirites chrétiens", qu'ils s'efforcent "de faire le bien et de réprimer leurs penchants mauvais", que la "charité est en toutes choses la règle de leur conduite"4. L'examen minutieux du parcours de notre maître montre que, loin de se contenter de ces affirmations, il nous a lui aussi montré, par son attitude exemplaire, la base d'une crédibilité infaillible.

Je vais donc tenter de rappeler les diverses formes de la charité, de sa pratique, ainsi que les obstacles les plus courants, en m'inspirant des communications des bons Esprits contenues dans les oeuvres de base de la Doctrine Spirite.

A la question n° 886 du Livre des Esprits : "Quel est le véritable sens du mot charité tel que l'entendait Jésus ?", les esprits élevés répondent sans ambiguïté : "Bienveillance pour tout le monde, indulgence pour les imperfections d'autrui, pardon des offenses". Elle "embrasse tous les rapports que nous avons avec nos semblables, qu'ils soient nos inférieurs, nos égaux ou nos supérieurs".

La charité peut être analysée sous ses trois formes principales : la charité matérielle, la charité intellectuelle et la charité morale.

La charité matérielle, lorsque opportune et juste, est très utile et généreuse. Elle permet d'assurer "le premier de tous les droits naturels de l'homme": celui de vivre5.

Elle est nécessaire sur la Terre, car la société matérialiste n'assure pas à tous ses membres le droit d'accès aux biens, aux services ou à ses bénéfices. Le nombre d'exclus sociaux augmente, que ce soit dans les pays industrialisés ou les pays en voie de développement.

Toutefois, les actes de charité matérielle, qu'ils soient philanthropiques, d'assistance sociale ou plus simplement l'aumône doivent répondre à quelques principes de base.

  • Afin de préserver la dignité des nécessiteux, de ne pas les humilier ou les réduire, la charité doit rester bonne et bienveillante; elle est autant dans la manière que dans le fait; évitons les aumônes jetées froidement ou avec irritation; "ouvrons notre coeur à la demande du premier malheureux qui nous tend la main; en lui donnant, ne lui demandons pas si sa misère n'est pas simulée, ou si son mal n'est pas la conséquence d'un vice; laissons toute justice dans les mains divines; laissons la punition des misères simulées au Créateur; enfin, pratiquons la charité par la seule joie qu'elle apporte, sans chercher son utilité"6.
  • Pour éviter le paternalisme ou l'assistanat, engendrant une dépendance excessive, la charité doit, dans la mesure du possible, donner aux nécessiteux les moyens de retrouver des conditions de travail et d'autonomie.
  • Elle ne doit pas être excessive, car cela pourrait gêner la marche évolutive de l'esprit nécessiteux. L'autre extrême est également condamnable, car la notion karmique ne doit en aucun cas justifier l'absence de charité.
  • La charité doit aller "au devant des misères cachées", car les plus nécessiteux ne sont pas toujours ceux qui demandent7;
  • "L'ostentation enlève aux yeux de Dieu le mérite du bienfait. Jésus a dit : Que votre main gauche ignore ce que donne votre main droite; il nous apprend par là à ne point ternir la charité par l'orgueil"8.
  • La véritable charité n'attend pas de gratitude, de reconnaissance ou de récompense. "Il faut se placer au-dessus de l'humanité pour renoncer à la satisfaction que procure le témoignage des hommes et attendre l'approbation de Dieu"9.
  • Ces principes démontrent que la charité matérielle doit presque toujours être doublée de charité intellectuelle et morale.

    La charité intellectuelle est l'élucidation de notre prochain. Jésus a dit : "Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée. Quand on allume une lampe, ce n'est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison"10.

    La tâche des Spirites est de diffuser les vérités spirituelles et spirites de la troisième révélation divine, qui doivent être partagées ! "Rien ne justifiera le silence de celui qui peut élucider"11 :

    Devant l'ampleur de cette tâche, Allan Kardec nous conseille de ne pas perdre notre temps avec ceux qui refusent de voir et d'entendre : "Mieux vaut ouvrir les yeux à cent aveugles qui désirent voir clair qu'à un seul qui se complait dans l'obscurité"12 pour lequel il vaut mieux attendre le temps propice.

    L'Esprit de Saint Vincent de Paul nous conseille encore : "Au lieu de mépriser l'ignorance et le vice, instruisez-les et moralisez-les"13.

    "Ayons de la bonne volonté envers les hommes, à l'exemple de l'amour que Jésus et ses messagers ont envers nous"14.

    Cette forme de charité s'applique aussi envers nos frères désincarnés qui sont dans une situation de trouble. Une orientation par l'intermédiaire d'un contact médiumnique est souvent le meilleur moyen de les aider à prendre conscience de leur état d'Esprit désincarné et ainsi, à sortir du trouble.

    Enfin, examinons la forme la plus noble de la charité, qui est la charité morale. C'est à la fois la plus difficile à pratiquer, et celle qui procure la plus grande joie intime lorsqu'elle est bien assimilée. Voici quelques définitions et quelques exemples, tirés de la littérature spirite ou de l'Evangile :

  • C'est l'indulgence face aux défauts, aux erreurs ou aux faiblesses de nos semblables;
  • C'est la base de la tolérance réciproque, au foyer, avec des amis, en société;
  • C'est la compréhension envers ceux qui ne partagent pas nos idées;
  • C'est avoir soin de ne froisser l'amour-propre de personne;
  • "C'est savoir se taire pour laisser parler un plus sot que soi;
  • C'est savoir être sourd quand un mot moqueur s'échappe d'une bouche habituée à railler;
  • C'est ne pas voir le sourire dédaigneux qui accueille votre entrée chez des gens qui, souvent à tort, se croient au-dessus de vous, tandis que dans la vie spirite, la seule réelle, ils en sont quelque fois bien loin"15;
  • C'est la pitié envers les criminels, dont nous comprenons la situation sur le plan évolutif et devant la loi de cause à effet;
  • C'est prier pour les pauvres délaissés qui se sont désincarnés sans avoir été à même de voir la lumière;
  • Ce sont les liens établis avec les nécessiteux, plus que ce qui leur est donné;
  • C'est tendre la main aux enfants abandonnés;
  • C'est pardonner les offenses.
  • Il y a bien d'autres exemples. C'est toujours Saint Vincent de Paul qui affirme : "Le Christ ne vous a-t-il dit pas tout dit en ce qui concerne ces vertus de charité et d'amour ? (...) Lisez donc ces pages toutes brûlantes du dévouement de Jésus, et méditez-les"16. Nous y trouverons des exemples sublimes, couvrant la majorité des situations auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement.

    La Doctrine Spirite ne laisse donc aucune ambiguïté quant à la charité, en faisant comprendre la nécessité de sa pratique.

    Nous ne devons pas oublier que la médiumnité, par laquelle nous bénéficions d'instructions, d'encouragements et de consolations, qui sont des formes de charité de la part des bons Esprits envers les hommes, doit aussi assurer sa fonction d'intermédiaire pour la pratique de la charité envers nos frères de l'au-delà, qui sont en difficultés ou qui persistent dans le mal. Les travaux de délivrance (aide des Esprits dans le trouble) en sont l'exemple majeur.

    Le conseil de Jésus : "Donnez et on vous donnera"17 confirme clairement la condition qui nous assure de la compagnie des bons Esprits. Luttons contre l'orgueil, l'envie, la jalousie et l'égoïsme, qui nous en éloignent.

    En parallèle avec les activités d'études ou d'expérimentations, les Centres Spirites cherchent donc à offrir à leurs membres des occasions de pratiquer la charité :

    Le Mouvement Spirite est humain et donc, sujet à l'imperfection des hommes. Par contre, la Doctrine Spirite, révélation divine par l'intervention des Esprits élevés, constitue, malgré son caractère progressif lié à l'Etat d'imperfection de nos connaissances et aux limitations de nos capacités d'entendement sur les plans intellectuel et moral, la base solide, écrite, positive et rationnelle de l'unification du mouvement.

    La charité joue donc actuellement un rôle fondamental dans la procédure d'unification du Mouvement Spirite au niveau mondial, en limitant les obstacles liés à l'imperfection des hommes. Allan Kardec l'avait bien pressenti en affirmant que "la tolérance, conséquence de la charité, qui est la base de la morale spirite, lui fait un devoir de respecter toutes les croyances. Voulant être acceptée librement, par conviction et non par contrainte, proclamant la liberté de conscience comme un doit naturel imprescriptible, elle dit : Si j'ai raison, les autres finiront par penser comme moi; si j'ai tort, je finirai par penser comme les autres. En vertu de ces principes, ne jetant la pierre à personne, elle ne donnera aucun prétexte à représailles, et laissera aux dissidents toute la responsabilité de leurs paroles et de leurs actes"18.

    La responsabilité de l'homme est d'autant plus grande qu'ils est conscient des lois divines. Les spirites sincères savent que leur intérêt personnel ne sera servi qu'en fonction de leur ardeur à servir l'intérêt collectif.

    Faisons en sorte qu'à notre retour dans la vie spirituelle, face à notre conscience, nous ne soyons pas embarrassés lorsque l'on nous demandera : "Qu'avez-vous fait dans cette vie pour aider votre prochain ?"

    C'est pour cela que tous les spirites sincères ont pour bannière la maxime adoptée par Allan Kardec :

    "HORS LA CHARITE, POINT DE SALUT".


    1 Revue Spirite 1858, page 216


    2 L'Evangile selon le Spiritisme, chap. VI


    3 L'Evangile selon le Spiritisme, chap. XI, item 4


    4 Le Livre des Médiums, chap. III, item 28.3


    5 Le Livre des Esprits, question 880


    6 Revue Spirite 1858, page 217, Saint Vincent de Paul


    7 Le Livre des Esprits, question 888


    8 Idem


    9 Allan Kardec, L'Evangile selon le Spiritisme, chap. XIII, item 3


    10 Evangile selon Matthieu, 5:14


    11 Ernani Cabral, Reformador 02/1995, page 62


    12 Allan Kardec, L'Evangile selon le Spiritisme, chap. XXIV, item 10


    13 Revue Spirite 1859, page 339


    14 Ernani Cabral, Reformador 02/1995, page 62


    15 Soeur Rosalie, L'Evangile selon le Spiritisme, chap. XIII, item 9


    16 L'Evangile selon le Spiritisme, chap. XIII, item 12


    17 Evangile selon Luc, 6:38


    18 Oeuvres Posthumes, 5° partie, chap. II - Constitution du Spiritisme