V.
-
Son courrier.

Léon Denis recevait journellement de nombreuses lettres de France et de l'étranger dont le dépouillement durait parfois une heure, elles venaient de tous les coins du monde : Suisse, Belgique, Angleterre, Espagne, Roumanie, Serbie, Grèce, les plus lointaines de la Norvège, de Madagascar, du Cameroun, de l'Asie-Mineure et du Brésil. Certains correspondants demandaient à l'auteur l'autorisation du traduire une de ses oeuvres, d'autres, des affligés pour la plupart, exprimaient la joie d'avoir été consolés par la lecture d'une oeuvre de l'écrivain spirite.

Dans l'article Cinq ans après1 le Maître désirant montrer le bienfait exercé sur les âmes douloureuses par la compréhension de la doctrine fit une sélection dans ce volumineux courrier afin de reproduire les plus belles lettres.

Cette correspondance, d'une lecture si émouvante qu'on l'achevait avec peine, renfernmait des pensées d'une richesse inouïe, tant la douleur humaine peut être éloquente. Des femmes, que la mort avait séparées d'un mari adoré, d'une fille unique ou d'un tout petit enfant, exprimaient leur douleur d'une façon poignante. Mais souvent au cri de douleur succédait l'hosanna de l'âme qui a trouvé la paix du coeur, l'espoir du revoir ; la lecture d'Après la Mort ou du Problème de l'Etre avait fait comprendre à ces infortunées le but de la souffrance et le sens de la vie.

Beaucoup de lettres émanaient d'hommes qui reconnaissaient avoir trouvé dans les oeuvres de Léon Denis le "pourquoi de la vie" vainement cherché pendant toute leur jeunesse. Aucune étude philosophique n'avait jusqu'alors satisfait à la fois leur coeur et leur raison. Un grand nombre, traînant comme un boulet le remords d'avoir gâché leur existence, exprimaient leur chagrin d'avoir connu trop tard la doctrine des vies successives.

Sur les huit lettres publiées dans la Revue Spirite, six sont devenues notre propriété, nous les reproduisons in-extenso, quant à celles de Mmes Godefroy et Mina Radovici, quoique fragmentées, elles n'en sont pas moins intéressantes.

Voici deux lettres de mères, l'une Serbe, l'autre Roumaine, désespérées de la mort d'une fille unique :

Belgrade, 14 Octobre 1922.

Très vénéré Maître.

Il y a deux ans et demi que nous avons perdu notre fille unique, notre enfant bien-aimée, et nous sommes plongés mon mari et moi dans un désespoir sans bornes. Elle était tout notre bonheur, tout notre amour, et dans cet amour toute notre vie fut concentrée. A quoi bon vivre quand on est sans but, pourquoi travailler et lutter ? Et alors, quand la douleur fut à son comble, quand la consolation ne venait d'aucune part, même de la religion dans laquelle nous la cherchions, j'entendis dans mon for intérieur une voix qui me disait : "Lis les livre Spirites, lis les oeuvres de Léon Denis". Et j'obéis à cette voix. Alors cher Maître, vos admirables oeuvres éclairèrent mon âme d'un rayon d'espérance, j'ai conçu que la vie n'est pas un hasard fortuit, mais qu'elle est gouvernée par des lois immuables et justes ; je suis convaincue à présent que je ne suis séparée de ma fille chérie que pour un temps et que nous nous retrouverons dans la vie de l'espace, bien meilleure, bien supérieure à celle de la terre.

Quand ce sentiment m'eut envahie entièrement, le désir me vint de venir en aide à d'autres mères affligées et à tous ceux qui pleurent leurs chers disparus. Et comme aucune de vos oeuvres n'est encore traduite en Serbe, je m'adresse à vous pour vous demander de traduire votre livre Après la mort. Combien de mères affligées qui pleurent leurs fils tombés sur le champ d'honneur, vous seront reconnaissantes et vous béniront pour les mots de consolation qu'on trouve dans ce livre !

Kosara KATITCH.

Obiliéev Vende 46.

Bucarest, le 3 Septembre 1923.

Vénéré Maître,

Tout d'abord, je veux vous exprimer ma profonde reconnaissance ! Par vos écrits vous avez sauvé mon âme. Quoique très croyante, à la suite d'un grand malheur, la perte de mon unique enfant, l'idée du suicide me hantait. J'ai demandé à mes croyances religieuses une consolation, je ne suis parvenue qu'à la révolte. A force de méditer j'étais arrivée à douter de Dieu, de sa bonté, de sa justice. Je ne pouvais pas concevoir un Dieu juste et bon frappant si cruellement une pauvre mère qui n'avait rien fait pour mériter ce terrible sort. Pendant plus d'un an, un désespoir grandissant torturait ma pauvre âme. J'aspirais à la mort, au néant ! Une de mes tantes me conseilla la lecture de la Nouvelle Révélation, de Conan Doyle, qui a fait naître en moi une lueur d'espoir. J'ai pris goût aux lectures spirites ; le premier ouvrage que je me suis procuré a été votre Après la Mort. Je l'ai lu, relu et le relirai encore et souvent. Aujourd'hui, une foi nouvelle remplit mon âme. Je crois en Dieu, en sa bonté, en son amour ! Si la perte de ma chère petite fille me fait toujours cruellement souffrir, j'ai pris mon mal en patience et attends avec sérénité le jour où Dieu voudra me rappeler à Lui pour rejoindre mon enfant.

Dans notre pays il y a tant d'affligés auxquels la grande guerre a enlevé, enfant, mari, père, frère, qui trouveraient comme moi une consolation à leurs peines, s'ils pouvaient connaître les bienfaits du spiritisme ! Ayant un ardent désir de me rendre utile à la cause spirite et à mes semblables, je vous demande pour l'amour de la vérité la permission de traduire vos oeuvres.

Mina RADOVICI.

L'attention du Maître se fixa sur deux lettres masculines. La reconnaissance des hommes s'exprimait en termes plus vigoureux, mais non moins touchants. Le Dr Moty lui écrivait le 10 janvier 1898, alors qu'il était médecin-major du 1° Corps d'armée à Lille.

Monsieur et cher Maître,

La magnifique svnthèse de l'humanité que vous avez condensée dans votre préface m'a produit l'effet d'une révélation, m'a rempli d'une admiration enthousiaste et m'a fait voir le chemin. En vous apportant l'hommage de ces sentiments je crois remplir un devoir de piété. Celui qui a écrit de telles pages est certainement au-dessus de l'orgueil, et à plus forte raison au-dessus de la vanité, mais il a droit à la reconnaissance de ceux qu'il a soutenus dans la vie spirituelle, et la certitude que ceux-ci s'acquittent avec joie de ce devoir sera sans doute la meilleure récompense de sa vie si généreusement dépensée pour les autres.

Au revoir, Monsieur, car maintenant je crois que nous nous reverrons, même si l'un de nous meurt demain, et veuillez agréer l'expression de la profonde reconnaissance d'un de vos nouveaux disciples.

Docteur MOTY,

Médecin principal de 2° Classe,

Hôpital Militaire de Lille.

Combien touchante aussi la belle lettre d'un commandant en retraite qui prend le Maître comme confesseur et par une froide analyse de soi, fait merveilleusement voir quels efforts il a tentés, quelles études il a faites afin de découvrir un sens logique à la vie. En voici les principaux passages :

"Après des deuils cruels j'étais arrivé au dernier carrefour, celui qui précède la vieillesse. J'éprouvais à ce moment un ardent, un impérieux besoin de croire et de prier. Mais, en même temps mon âme me semblait vide et je ne savais à qui adresser ma prière. J'ai été élevé dans la religion catholique, mais les dogmes de mon enfance ne me satisfaisaient plus, et, malgré toute ma bonne volonté les vieilles formules me semblaient mortes. J'en cherchai d'autres, j'allai jusqu'au panthéïsme de Spinoza, mais sa sécheresse et son aridité me glaçaient, tout cela manquait de chaleur, de vie et d'enthousiasme ; les temples où je pénétrais me semblaient toujours déserts. Ce fut une période très pénible et je commençais à me décourager. Alors un hasard, une conversation tout imprévue avec un collègue m'amena à lire votre beau livre Après la Mort et ce fut une révélation. Tout ce qui dormait en moi d'idées vagues, d'aspirations non formulées, prit un corps, ce fut comme une cristallisation soudaine. Il me sembla que j'entendais une langue oubliée depuis longtemps, une langue que j'avais connue autrefois, dans des temps très anciens. Je me sentis une chaleur au coeur et, dans l'esprit une tranquillité, une sérénité que j'ignorais depuis longtemps. Dès lors, ma vie intérieure a pris une orientation nouvelle et, je crois, définitive. Tout cela est votre oeuvre et je désirais vous l'apprendre. J'estime que vous remercier serait une banalité. Permettez-moi de vous embrasser de coeur. Croyez bien que ce n'est pas une frivole et mondaine curiosité qui m'a amené à vous, mais bien votre conception des fins humaines, cet acheminement de tous vers la lumière et ces radieux espoirs que vous offrez à l'esprit inquiet des hommes."

Commandant B.

Des personnes de tout âge, de toutes conditions, se sont épanchées ainsi dans le coeur du grand apôtre. Les lettres des jeunes gens touchaient particulièrement le vieux Maître ; le silence ému qu'il garda après la lecture de celle du jeune Pellegrin, semblait une action de grâce.

Lyon, 26 Mai 1920.

Maître,

Permettez-moi de vous donner ce titre, à vous qui m'avez révélé le but grandiose de la vie en relevant mon âme qu'étouffait le matérialisme. Laissez-moi vous remercier de la vision magnifique que vous m'avez fait entrevoir. Je suis jeune, élevé dans la croyance de l'Eglise, mes études et surtout celles de la science positive tuèrent ma foi. Pour moi, comme pour beaucoup de mes amis, la vie due au hasard n'était qu'une vaste ironie. Je devins railleur, niant tout idéal, mais ce n'était qu'un masque dont je voilais ma profonde tristesse ; je regrettais la foi naïve de mon enfance. Un jour le hasard, (est-ce bien le hasard ?) me fit tomber un de vos livres entre les mains. Ce fut pour moi une révélation ; mais je suis impuissant à décrire les sensations violentes et pourtant si douces que ces horizons sublimes que vous me dévoiliez firent en moi. Vous avez créé mon âme une seconde fois.

Depuis j'ai lu toutes vos oeuvres, elles resteront toujours les compagnes de ma vie. Votre plume étincelante me fit comprendre l'humanité, la beauté de la douleur et le rachat de nos fautes par l'amour, l'étude, la charité. Etant seul dans la mêlée humaine, vous resterez toujours pour moi le père de mon âme que vous avez dégagée de la matière en lui montrant la route qui conduit aux joies éternelles, route dont vous êtes un des plus purs flambeaux.

Et, en vous remerciant encore du plus profond de mon âme, permettez-moi de me dire : Votre ardent et respectueux admirateur et disciple.

Louis PELLEGRIN,

38, rue Vauban.

La lettre de Mlle Jeanne Flavier, tout empreinte de simplicité et de sincérité, est une de celles qui font encore voir quelle salutaire action exerçait la lecture des oeuvres du Maître sur les esprits et sur les coeurs meurtris par la douleur.

17 Janvier 1920.

Monsieur,

Je craindrais d'être importune si la lecture de vos livres ne me donnait une grande confiance en la bonté de votre âme.

Très éprouvée par la guerre, cette lecture me réconforte et me laisse un calme d'âme jamais ressenti jusqu'alors. Nous avons perdu successivement un frère de vingt ans, un père, médecin-major de première classe, décédé des suites d'une maladie très pénible contractée dans les hôpitaux et, en 1918, un autre frère de vingt-huit ans, capitaine au 4° tirailleurs, héros glorieux s'il en fut.

Ma pauvre mère, d'une tristesse pénible, mais très pieuse gardait au fond du coeur un vague espoir de revoir nos chers aimés, et courageuse vivait pour moi et mon jeune frère, classe 17, qui, heureusement nous est revenu. Moi, l'âme en révolte, ne pouvant comprendre certaines injustices de notre religion, je penchais presque pour le néant. Quand une amie a commencé à me parler du spiritisme et nous avons lu vos livres et d'autres encore, et toute la sublime logique de ces choses, nous prend, nous domine et calme en nous les rancoeurs de la vie, nous laissant confiance et foi en l'avenir. Ma chère maman est maintenant souriante, presque heureuse ! Je voudrais, cher monsieur, aller plus avant dans cette étude et viens vous demander quelques conseils.

Plusieurs fois déjà nous avons fait tourner la table demandant mes frères. Nous avons eu des preuves indiscutables de leur présence près de nous, même avant-hier, je suis arrivée à écrire plusieurs phrases très pieuses venant de mon jeune frère. Ne connaissant personne dans le monde spirite, je voudrais savoir à qui m'adresser pour assister à une réunion et peut-être arriver à revoir mes frères.

Si je ne craignais d'abuser de vos précieux instants, je vous demanderais quelques conseils pour arriver à mieux et sans erreur.

Avec tous mes remerciements pour le grand bien que vous nous avez déjà fait, croyez Monsieur, en ma haute considération.

Jeanne FLAVIER.

Une des conséquences de la cruelle guerre de 1914 fut d'inciter à la lecture d'oeuvres consolatrices, au premier rang desquelles se placent celles de Léon Denis.

Que de mères éplorées, de veuves et de soeurs, lui confièrent leur désespérance et lui témoignèrent leur reconnaissance : Une institutrice du département de Tarn-et-Garonne, Mme Thoumazet, lui adressa une épître intéressante entre toutes et qui débutait ainsi :

"Je ne vous connais pas, et cependant j'ai contracté envers vous une immense dette de reconnaissance. Merci, est le premier mot que je vous dois et veux vous dire. Par votre beau livre Après la Mort qu'un hasard providentiel mit entre mes mains, vous nous avez donné la lumière et la joie. Nous avons perdu au Devoir, au sublime dévouement couronnant une vie de vertu, l'être le plus cher, le plus aimant et le plus aimé et notre détresse était extrême. C'est en relisant votre livre, en le faisant lire à ma fille, pauvre veuve désespérée, qu'un adoucissement est entré dans nos coeurs, que le grand, le bel espoir du revoir nous a laissé le courage de vivre, nous a redonné l'espérance ; et cette espérance, Monsieur Léon Denis, s'est changée en certitude. Notre enfant est revenu pour nous consoler."

Et ici la belle-mère du défunt donnait des détails sur les expériences fortuitement obtenues, d'abord par sa fille veuve, et par elle-même ensuite, alors que ni l'une ni l'autre ne soupçonnaient le don de médiumnité qu'elles possédaient.

L'esprit se communiqua à leur grand étonnement et à leur grande joie. La jeune femme avait perdu son mari à Tahure, le 9 octobre 1915, et il se manifesta le 11 février 1916 dans une curieuse circonstance. Voici le passage de cette lettre :

"Ma fille était assise devant son bureau et inscrivait sur son carnet le prix des journées payées au domestique. La plume au lieu de former des chiffres écrivit avec force : "C'est moi", force douce, presque caressante, mais qui imprimait à la main sa volonté, son désir.

Oh ! Mon Dieu, s'écria ma fille dans un élan de joie, mêlée de frayeur, c'est toi Albert ? et tremblante, elle abaisse de nouveau sa plume. Un grand oui, plus doux et plus caressant encore lui répondit. Emue elle envoya la feuille de son carnet à sa mère. Le lendemain elle reprit la plume, et, posant des questions elle obtint la certitude qu'elle était fort bien entrée en rapport avec l'être cher qu'elle avait perdu."

Elle terminait sa lettre en disant au Maître :

"Je vous remercie, toutes les joies du monde, tous les trésors de la terre, ne sont rien auprès du bonheur ineffable que nous possédons. Que Dieu vous bénisse pour le bien que vous nous avez fait, vous tous, les apôtres du spiritisme, dont les paroles sont si persuasives et si vraies ; faites entendre votre voix aux quatre coins du monde, nous avons tant besoin d'une régénération ! Il y a tant de mal, cause de tant de douleurs !"

Une veuve de guerre, Mme Godefroy, avait également trouvé par le spiritisme la force de vivre après la perte de son mari tué au front.

Paris, 25 Août 1917.

Frappée d'un cruel malheur, la mort en pleine jeunesse d'un mari adoré, tombé au champ d'honneur après trois ans de front, et resté dans les lignes ennemies, j'ai été secourue par le plus beau livre qu'il m'ait été donné de connaître : Après la Mort, votre oeuvre qu'un ami compatissant et bien inspiré m'a prêtée. Il était temps que je lise ce livre, que je m'en pénètre. Il a été pour moi une source de lumière, d'apaisement, de résignation sereine et forte. Grâce à vous je comprends enfin la vérité que l'Eglise nous cache avec un aveuglement bien coupable s'il est votontaire. Seule, la certitude que mon cher mari vit près de moi dans une vie plus heureuse, largement méritée par ses belles vertus et son dernier sacrifice, la certitude qu'il m'aime toujours et que je le retrouverai, me donne la vaillance nécessaire pour continuer ma route et préparer mes nouveaux devoirs, car j'attends un petit enfant.

Quand je suis seule, j'entends autour de moi des coups répétés qui me sont doux au coeur. J'ai pu même écrire automatiquement quelques mots. Le 8 juin, j'apprenais ainsi par l'esprit de mon mari qu'il avait été tué d'une balle en pleine tête, face à l'ennemi, ce qui m'a été confirmé seulement le 8 août.

Mme GODEFROY.

De la correspondance reçue par le Maître, on pourrait faire plusieurs volumes qui prouveraient surabondamment l'efficacité de son oeuvre, force nous est de nous limiter ; mais comment résister au plaisir d'en donner encore quelques-unes. Un breton, capitaine au long cours, écrivait à Léon Denis de Tonnay-Charente, le 16 mars 1924 :

Depuis quelques années, je vous connais par vos oeuvres, permettez-moi, Maître, de vous exprimer l'hommage de ma profonde admiration et surtout de ma reconnaissance pour le bien que vous m'avez fait. Je n'ai pas du tout l'intention de vous offrir de l'encens grossier dont votre âme épurée ne saurait avoir besoin, mais laissez une âme amie, dont les vibrations se rapprochent de la vôtre, s'exprimer un instant avec elle.

Depuis que je suis sur terre, j'ai recherché avec passion la connaissance de la vérité, certains hommes, et la plupart, je crois, peuvent vivre sans cela, mais pour moi il m'a été impossible.

J'ai parcouru les livres théologiques, Saint-Thomas, Saint-Augustin, j'ai discuté en moi-même, j'ai raisonné, j'ai pesé, il y avait toujours quelque chose d'inexplicable et d'inexpliqué. Saint-Augustin s'arrête lui-même par moment, sans pouvoir tourner la difficulté, il l'avoue...

Un jour, à Marseille, regardant les vitrines des librairies, toujours en quête de trouver ce que je cherchais, je suis tombé sur vos oeuvres. Faut-il vous dire la vérité : j'ai senti que j'avais été conduit là par une force. Celui qui veille sur moi et qui prend part à toutes mes peines comme à toutes mes joies m'a sûrement guidé. Ma raison s'est trouvée souudain devant une lumière éblouissante. Quelle joie ! celle de l'assoiffé devant une source d'eau claire. J'ai lu tous vos livres. Oui, c'est là qu'est la vérité... Soyez heureux, vous avez fait du bien, d'autres que moi certainement ont trouvé ce qu'ils cherchaient et d'autres viennent qui seront guidés vers la voie qui conduit à la lumière. Les dogmes catholiques dans lesquels j'ai été élevé n'ont jamais produit dans mon âme de résultats semblables. L'enfer éternel n'arrête pas sur la pente du mal, mais, ce qui peut arrêter, c'est de savoir que notre destinée n'est pas fixée irrémédiablement à la mort, et que notre ciel c'est nous qui le faisons, et qui le faisons d'autant plus vite que nos efforts sont plus grands, que notre désir de la perfection est plus vaste, que notre relèvement est plus rapide. Ils sont heureux ceux qui souffrent de n'être pas plus parfaits...

Le spiritisme fera des progrès, j'en suis convaincu, la lumière ne peut rester sous le boisseau et il y a trop d'âmes qui souffrent de l'obscurité pour ne pas la trouver.

Votre vie terrestre ne sera désormais plus longue, mais quand vous partirez vous laisserez derrière vous la bonne semence que vous avez jetée et qui germera, et vous continuerez de l'autre côté à tratvailler au développement moral de l'humanité. Vous êtes de ceux qui avancent vite. Pour terminer, Monsieur, mon grand frère, permettez que j'emploie cette expression, je vous dirai que je suis désormais lancé dans la voie nouvelle qu'Allan Kardec et vous avez dévoilée, et cela, sans emballement, après mûre réflexion. Autour de moi, j'ai essayé de communiquer mes impressions pour les répandre, mais c'est très difficile. Dans le milieu où je vis, et je crois en général dans tous les milieux, on se heurte aux préjugés et aux croyances dogmatiques. Les esprits capables de discuter sainement sont encore assez rares dans la foule, il manque surtout l'indépendance dans les idées et la préoccupation de la recherche de la vérité.

Je vous prie d'agréer, Maître, mes meilleurs sentiments de sympathie et de reconnaissance.

Louis LE DAMANY.

Une jeune veuve, doctoresse russe dirigeant un préventorium dans le Pas-de-Calais, s'adressait au Maître en ces termes :

23 Mars 1924.

Monsieur,

C'est bien la première fois dans ma vie que j'adresse une lettre à un auteur que je ne connais pas personnellement, mais je m'en voudrais de ne pas le faire, car ma reconnaissance pour vous est trop grande pour ne pas vous le dire.

Je ne suis pas spirite, non, je suis encore à l'âge où on cherche, où on apprend. Mais je connais vos livres déjà ; Après la Mort, m'a beaucoup aidée à porter ma douleur, ayant perdu mon mari en mars 1918, cinq mois après mon mariage, mais c'est surtout du Problème de l'Etre et de la Destinée que je viens vous remercier.

Quelle que soit la conception qu'on a, on ne peut nier la lumière que cette oeuvre porte en soi. Lorsque accablée par la douleur et la solitude, je penche trop vers la terre, lorsque mon ciel devient si sombre que je ne vois plus, je n'ai qu'à prendre votre livre pour qu'une lumière se fasse en moi, pour que je n'oublie pas que je ne suis qu'âme et esprit.

Recevez, Monsieur, toute ma reconnaissance émue pour l'aide que j'ai trouvée dans ce livre.

Raïa GONTHIER.

Excusez-moi d'écrire si mal, je suis d'origine étrangère.

Pourquoi ne donnerais-je pas la magnifique lettre de cette correspondante Havraise fille d'un Pasteur ?

Monsieur,

La lecture de vos oeuvres m'a fait du bien, non seulement à moi, mais à beaucoup de mes amis : grâce à vous des âmes désemparées ont retrouvé leur voie, ont compris le but et la raison de la vie, et avec résignation ont repris courage, d'autres ont changé leur vie, comprenant, grâce à vous les responsabilités qu'ils ont de leurs actes et la connaissance de ceux-ci. Tous vos lecteurs, et ils sont toujours plus nombreux, attendent avec impatience chaque nouvelle oeuvre de vous et, en attendant celle-ci, relisent, en en saisissant toujours mieux la beauté et la portée, vos livres déjà parus. Merci en mon nom, comme au nom de tous ceux à qui vous avez apporté la lumière et la consolation. Soyez-en béni. La pensée du bien énorme que vous avez fait ici-bas doit vous consoler de toutes les luttes et souffrances que vous avez dû traverser.

Citons encore cette lettre aux armes des d'Arc et écrite de Villeneuve, le 16 mars 1911.

Monsieur,

Je viens d'achever la lecture d'un trait de votre belle étude sur Jeanne, si pleine d'ardeur et de conviction et je m'empresse de vous dire combien je suis sous le joug de l'inspiration que vous avez su enfermer dans ces magnifiques pages.

A dire vrai, je suis un ignorant de la science dont vous êtes un fervent adepte et vos théories sur l'influence de l'au-delà m'ont vivement intéressé. Je tiens à vous adresser tout de suite mes remerciements pour votre aimable envoi et votre gracieux ex-dono. Votre étude a pris dans ma collection une des meilleures places et sera signalée et analysée comme il convient dans le volume dont on va commencer prochainement l'impression.

Veuillez croire à tout le plaisir que j'ai à être en relation avec un aussi zélé admirateur de ma Grande tante et me croire votre dévoué serviteur.

L. d'ARC.

L'oeuvre de Léon Denis et tout particulièrement son Après la Mort, a opéré (les lettres citées en font foi), d'innombrables conversions individuelles, mais elle détermina aussi des conversions collectives ; de véritables "miracles" eurent lieu à certains foyers domestiques où les membres se rapprochèrent sous l'influence de la lecture de la Grande Enigme ou du Problème de l'Etre. C'est dans le milieu familial que l'on rencontre le plus de divergences d'opinions philosophiques et religieuses ! Toutes les intelligences ne sont pas arrivées au même point d'évolution et ne peuvent se faire la même opinion sur Dieu, le monde, la vie. Le spiritisme crée parfois entre elles un terrain d'entente, il rallie tous les esprits assez indépendants pour adopter la base essentielle de sa doctrine : l'idée réincarnationiste.

Au milieu des âpres luttes que l'Apôtre avait à soutenir, des difficultés de toute nature auxquelles il avait dû faire face, cette preuve tangible de l'efficacité de son oeuvre n'était-elle pas la plus belle récompense qu'il puisse ambitionner au déclin de sa vie ?

Le tribut de reconnaissance offert au Maître par les âmes qu'il avait sauvées du suicide et ramenées à Dieu, tombait comme une rosée bienfaisante sur le coeur de ce grand solitaire que la haine, l'envie, la médisance avaient si souvent frôlé. Pour mieux se donner à la diffusion d'une cause chère, Léon Denis avait renoncé, comme il l'a dit dans son testament moral : "A toutes les satisfactions matérielles, à celles même de la vie de famille et de la vie publique, aux titres, aux honneurs." Avec abnégation, il se voua pendant cinquante ans à l'apostolat de l'idée réincarnationiste.

*

* *

Léon Denis avait conquis l'amitié admirative de plusieurs prêtres qui avaient compris le merveilleux appui que pourraient trouver les religions dans la doctrine spirite. Le plus connu d'entre eux fut certainernent le Père Marchal dont les oeuvres ont consolé tant d'âmes affligées. Converser ensemble était pour les deux amis une joie réciproque. "Pauvre Père Marchal, disait parfois le Maître, il fut réduit à dire des messes à cinquante centimes, ces messes que les paroisses de Paris débordées font dire par des prêtres de campagne !"

Léon Denis connaissait aussi l'abbé Petit, professeur en Sorbonne qui signe ses articles Abbé Alta. C'est lui qui, dans le Sphinx du 1° mai 1921, faisait paraître une lettre ouverte au Révérend Père Mainage2 dans laquelle il disait :

"Je ne suis pas infaillible moi non plus, mais je suis d'avis qu'au lieu d'attaquer les spirites qui s'efforcent de démontrer que les morts sont encore vivants, mieux vaudrait que les catholiques fissent alliance avec tous les spiritualistes contre le matérialisme qui est le seul ennemi de Dieu et des hommes."

Mais ce fut l'abbé C..., du clergé de Touraine, qui eut le commerce le plus intime avec le Maître. Les rapports des deux amis étaient excessivement fraternels. Le prêtre voyageait beaucoup et n'oubliait jamais le Maître dans ses randonnées.

Bien cher Maître et ami, lui écrivait-il, avant mon départ et le vôtre, je veux de nouveau vous redire mes voeux. Que nos chers invisibles vous protègent comme vous le méritez. Bonne santé, fécond apostolat.

Passant à Dinard, ayant prié sur la sépulture de Chateaubriand, il envoyait à Léon Denis une carte représentant la tombe célèbre, seule sur le roc devant l'immensité, avec ces mots : "Oh ! comme la mort est douce ainsi bercée par la plainte éternelle des flots semblable aux gémissements des âmes dans l'au-delà."

Enfin, de Rome, le 6 avril, il adressait au Maître le portrait de Pie X et lui écrivait :

Cher Maître et Ami,

Je suis à Rome et je prie pour vous, je rentrerai mardi 13 à Tours.

Amitié dévouée.

C.

Le 15 décembre 1909, le prêtre adressait encore de Rome une carte avec ces mots :

Cher Maître et vénéré Ami.

Recevez tous mes voeux de joyeux Noël et aussi de nouvelle année. Nous quittons Rome samedi et nous embarquons pour Constantinople, de Naples. Priez pour moi.

Amitié, fidélité, reconnaissance.

Abbé C.

Léon Denis avait une correspondance assez suivie avec de nombreux chefs de groupes et quelques notabilités. Le professeur Richet, lors d'un séjour à Carquérannes, lui adressait une lettre pour le remercier de la nouvelle édition d'un de ses ouvrages qu'il relisait avec un nouveau plaisir.

Flammarion était souvent en correspondance avec Léon Denis, il lui posa un jour cette question : "Pourriez-vous, dans vos séances, avoir le nom du "Soldat inconnu" qui dort sous l'Arc de Triomphe ?" Léon Denis lui fit cette belle réponse : "Je n'essaierai même pas de le savoir, le Soldat inconnu doit rester un symbole, il appartient à tous, il est à la fois le mari, le père, l'enfant, le frère de toutes les femmes de France".

Parmi ces correspondants de marque, un des plus assidus fut certainement sir Conan Doyle. C'est en 1923 qu'il écrivit au Maître pour lui demander l'autorisation de traduire Jeanne d'Arc Médium. L'écrivain anglais fit pour cette traduction une préface dont Léon Denis se montra si enchanté qu'il lui écrivit aussitôt pour l'en remercier, et lui demander à son tour l'autorisation de la faire paraître dans la Revue Spirite.

Les lettres de l'auteur de Sherlock Holmes étaient empreintes à la fois d'une respectueuse admiration et d'une grande affection pour le Maître.

*

* *

Léon Denis se faisait un devoir, un scrupule de donner satisfaction à tous ses correspondants ; jamais une lettre ne restait sans réponse. Plus le Maître avançait en âge, plus les lettres qu'il recevait devenaient affectueuses ; de tous les côtés lui étaient offerts des voeux ardents et sincères pour qu'il pût soutenir encore bien des années le bon combat contre le matérialisme et l'incrédulité : "Nous avons besoin de vous", lui écrivait-on. Il répondait : "Le fardeau des infirmités commence à devenir bien lourd sur mes épaules et je m'achemine avec joie vers la porte de sortie ; ma vue baisse de plus en plus, deux choses m'attendent : la cécité et la mort, pourvu que ce soit la Mort qui vienne la première !" Dieu l'a exaucé !

Aux affligés qui le remerciaient et désiraient connaître les moyens d'entrer en relation avec leurs disparus, le Maître offrait l'expression de sa vive sympathie et les encourageait à poursuivre leurs études théoriques, à étudier cette science, vaste et profonde, qui leur avait déjà donné des satisfactions de coeur et d'esprit tout en élargissant leurs horizons. Il ajoutait : "La morale de notre doctrine est à la portée de tous et tous devraient la connaître pour y conformer leur vie. Il n'en est pas de même de la pratique qui offre de grands dangers ; on ne fait pas d'expériences de chimie sans connaissance des risques qu'entraînent les manipulations de laboratoire."

Pour s'aventurer dans la pratique du spiritisme, il est de première nécessité d'avoir étudié la théorie ; on doit en outre posséder un ensemble de qualités rarement réunies chez un même individu : Parfait équilibre nerveux, sang-froid, pondération, prudence, jugement sûr, esprit critique averti, sérieux. Si la curiosité, la frivolité, le badinage se mêlent à ces expériences, ceux qui s'y livrent deviennent la proie des esprits matériels et légers qui se tiennent dans les plans les plus rapprochés de la terre. Léon Denis interdisait l'expérience solitaire et conseillait à tous l'expérimentation dans un petit groupe intime de trois à cinq personnes réunies dans un désir commun de s'instruire.

On ne pourra jamais reprocher au chef de la doctrine Kardéciste de n'avoir pas mis ses lecteurs en garde contre les dangers de la pratique du spiritisme. Les conseils abondent dans tous ses ouvrages et particulièrement dans son livre : Dans l'Invisible.

Lors de la septième journée du Congrès de Paris, le 12 septembre 1925, Léon Denis, dans son magnifique discours de clôture, a traité cette question devant le nombreux public qui l'écoutait religieusement dans la salle des Sociétés Savantes, et nous ne pouvons mieux faire que de reproduire ses prudentes paroles, puisqu'elles confirment tout ce qu'il nous a dicté dans les réponses adressées à ses innombrables correspondants :

"Sans doute, il est bon d'ouvrir les portes pour pénétrer dans le monde occulte, mais prenons garde que ces mêmes routes servent à l'invasion des pires éléments du monde invisible. L'humanité terrestre ne porte-t-elle pas en elle assez de déchirements, de conflits, sans y ajouter encore la source d'autres maux ? C'est en ceci qu'apparaît surtout la nécessité d'un guide sûr pour nous conduire au milieu du dédale des phénomènes. Il nous faut l'assistance d'un Esprit assez puissant, assez élevé, pour harmoniser avec méthode les fluides en action et pour éliminer les esprits perturbateurs qui cherchent à influencer les médiums et à troubler les séances."

Pourquoi ne reproduirions-nous pas la jolie lettre que le Maître écrivait à Mme Claire Galichon après avoir entendu la lecture de son ouvrage sur l'Imitation de Jésus-Christ, lettre qui a été publiée par la Revue Spirite.

Chère Madame et S. en C.,

Hier seulement nous avons terminé la lecture de votre joli petit ouvrage sur l'Imitation de JésusChrist, si consolateur et si réconfortant. On me le lisait à petites doses comme on absorbe du vin généreux et je n'employais pour cela que la même personne, qui ne peut me donner que quelques instants de loin en loin. Je tiens à vous remercier pour toutes les satisfactions de coeur et d'esprit que ce livre m'a procurées. Chaque chapitre provoque une élévation de la pensée et une communion plus intime avec l'ordre divin. Vous avez fait là une oeuvre éminemment utile et dont beaucoup de malheureux vous seront reconnaissants. En y ajoutant la note spirite, vous en avez fait un traité de morale vraiment complet et bien adapté aux circonstances présentes. En effet, jamais nous n'avons eu plus besoin d'un enseignement qui retrempe les âmes et les prépare aux épreuves prochaines.

Nos guides nous annoncent que tous ceux qui élèveront leurs pensées vers les sphères supérieures recevront une sorte d'immunisation ; mais la masse plongée dans les jouissances matérielles éprouvera un sursaut de passion violente et il se produira des heurts. Il convient donc d'aider les bons esprits dans leur oeuvre d'épuration, par tous les moyens dont nous pouvons disposer, nous, spirites, afin d'atténuer les maux dont l'humanité est appelée à souffrir. Dans ce concert d'efforts pour le bien, votre petit livre prend sa place et joue un rôle efficace, ce dont je vous félicite cordialement. Recevez, chère Madame, mes bien cordiales salutations.

Un correspondant ayant fait au Maître cette naïve réflexion : "Ah ! Monsieur ! que tout ce que vous écrivez serait beau si c'était vrai !" s'attira cette réponse : Croyez que j'ai trop conscience de ma responsabilité pour ne pas appuyer la vérité que j'affirme sur des preuves certaines.

A une amie qui avait eu la douleur de perdre sa mère, l'écrivain nous dicta cette strophe:

Non e vero che la morte

Il peggior de tutti mali

Et un solievo dei mortali

Che sono stanchi di soffrire.

Comme nous lui en demandions la traduction, il récita lentement : "Il n'est pas vrai que la mort soit le pire de tous les maux, c'est un soulagement des mortels qui sont fatigués de souffrir".

Pendant les derniers mois de sa vie Léon Denis eut la joyeuse surprise de retrouver son cousin germain : Eugène Denis, qu'il avait perdu de vue depuis quarante ans.

M. Eugène Denis était un survivant de Reischoffen, malgré son grand âge il s'initia à l'oeuvre du Maître, la goûta profondément, et sut en de jolis termes lui en exprimer son émerveillement et ses sincères félicitations.

C'est pour ce cousin que Léon Denis dicta sa dernière lettre3. Celui-ci lui avait demandé à plusieurs reprises à quel ordre de la Légion d'honneur il appartenait. Voyant qu'il insistait le Maître lui adressa ces lignes :

"Mon cher cousin, bien que j'aie publié sept volumes, fait près de trois cents conférences, en France et à l'Etranger, collaboré à plusieurs revues, je n'ai pas le ruban rouge, et cela ne doit pas t'étonner car j'ai toujours fui les honneurs et n'ai pas fréquenté les hommes politiques. Ma récompense n'est pas de ce monde."


1 Voir la Revue Spirite, n° de janvier 1924.


2 Cette lettre a été reproduite par la Revue Spirite, n° du Juillet 1921.


3 Elle fut écrite et mise à la poste le 2 Avril 1927 et l'écrivain mourait le 12.