CHAPITRE 3
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L'épanouissement médiumnique

  • Voici que j'envoie mon messager en avant de toi, pour préparer la route devant toi.
  • (Matthieu, 11-10)

    Avant la conversion d'Euripide au spiritisme, quelques membres de sa famille réalisaient déjà des sessions médiumniques à la ferme de Santa Maria, à quatorze kilomètres de Sacramento, dans une région montagneuse, où seules quelques maisons rustiques étaient bâties sur une terre rouge...

    Les sessions étaient réalisées chez Honorato Ferreira da Cunha, oncle d'Euripide. La ferme de Santa Maria appartenait au capitaine Joaquim Gonçalves de Sao Roque et son épouse Ana Petronilha de Araujo, oncles de monsieur Mogico, et grands-oncles d'Euripide.

    Le 28 août 1900, le groupe fonda le centre spirite "Foi et Amour", avec Joaquim Gonçalves de Sao Roque (médium à effets physiques, dirigeant les sessions de "table tournante"), José Ferreira da Cunha (clairvoyant), Jean Candide (médium guérisseur), Luiz Ferreira da Cunha et Jean Pereira (médiums guérisseurs), Mariano da Cunha Júnior (médium médical et à effets physiques), Jason Ferreira da Cunha et Aristides de Oliveira, deux métis analphabètes travaillant à la ferme, dotés de plusieurs médiumnités. Il y avait aussi des dames, dont madame Emerenciana Euzébia de Mendonça (madame Sana), marraine d'Euripide, médium à effets physiques et guérisseur. Les participants avaient presque tous des liens de parenté1.

    Le centre spirite "Foi et Amour" (la première institution spirite de cette région) était dirigé efficacement par le médium Delfim Pereira da Silva, qui prodiguait des passes magnétiques et aidait gratuitement les malades grâce à sa pharmacie homéopathique. Jean Candide et Mariano da Cunha Júnior recevaient les ordonnances par psychographie2.

    Les agriculteurs des alentours et leurs familles fréquentaient les réunions, riches en phénomènes. Malgré la distance, quelques personnes de Sacramento les fréquentaient également, dont Frederico Peiró et les trois frères espagnols Abdon, Alonso et Maximino Alonso. Ces derniers contribuèrent beaucoup à la divulgation du spiritisme et à la création de groupes spirites dans la région de Sacramento. On trouve encore les traces des oeuvres spirites de Peiró à la Gare de Paineiras (rebaptisée Peirópolis, en hommage à son travail pour le développement du site), à Sacramento, à Santa Maria, à Mangabeira et à Uberaba3.

    Jusque là, Euripide ne s'intéressait pas à ce qui se passait à Santa Maria. Il savait juste que de nombreux parents étaient devenus spirites, dont un frère de sa mère, Jean Pereira de Almeida.

    Euripide avait pourtant une affection spéciale pour l'un d'entre eux : son oncle Mariano da Cunha Júnior, pas très cultivé mais intelligent et bon. Il avait été matérialiste, mais il développa sa médiumnité et déménagea à Santa Maria... Chaque fois qu'il venait à Sacramento, il séjournait chez monsieur Mogico où Euripide lui cédait sa chambre et son lit en fer. Sachant que son oncle s'était converti au spiritisme, diffamé par le clergé comme une "doctrine de Satan", Euripide, qui était catholique pratiquant, lui demanda :

    - Vous étiez matérialiste et à présent, vous adhérez à cette doctrine... Comment est-ce possible ?

    Par une étrange coïncidence, Mariano da Cunha Júnior avait dans ses mains le livre "Après la Mort" de Léon Denis, et il lui répondit calmement :

    - Ce sont les choses du destin, cher neveu... Je ne connais pas assez bien le spiritisme pour te répondre correctement, toi qui es un jeune homme cultivé et intelligent. Mais comme tu aimes lire, je te recommande ce livre... Lis-le avec attention et vois si le spiritisme est une doctrine de Satan... Ce livre ne nous rend pas fous, vraiment pas... ajouta Mariano da Cunha Júnior en souriant et en donnant le livre à son neveu.

    Euripide prit le livre, le feuilleta et lut au hasard ces mots de Léon Denis :

    "Aux nobles et grands esprits qui m'ont révélé le mystère auguste de la destinée, la loi de progrès dans l'immortalité, dont les enseignements ont raffermi en moi le sentiment de la justice, l'amour de la sagesse, le culte du devoir, dont les voix ont dissipé mes doutes, apaisé mes soucis, aux âmes généreuses qui m'ont soutenu dans la lutte, consolé dans l'épreuve, qui ont élevé ma pensée jusqu'aux hauteurs lumineuses où siège la vérité, je dédie ces pages."

    - Curieuse, cette dédicace, remarqua Euripide en regardant son oncle.

    Puis, il passa la nuit en lisant le livre de Léon Denis.

    Il admira son style fluide, sonore et élégant. Les concepts philosophiques sur la vie et la mort le surprirent et lui semblèrent absolument corrects. La réincarnation lui apparut comme l'unique explication rationnelle des déséquilibres physiques, moraux et sociaux. Le destin de l'être humain dans l'au-delà n'était plus une énigme indéchiffrable...

    Le livre lumineux de Denis fut pour lui une révélation fantastique ! Ecrit avec une logique de fer, qui pourrait le réfuter sans sophisme ?

    Après cette découverte de la doctrine spirite, le catholicisme lui paraissait un conte de fées... En rendant l'oeuvre à Mariano, Euripide lui dit :

    - Mon oncle, je ne m'attendais pas à cela ! Ce livre est excellent !

    - Garde-le, c'est un cadeau.

    Euripide le relut alors plus posément.

    A la seconde lecture, son âme vibra. La première fois, il ne pensa pas aller au-delà des pages initiales, mais il avait lu les quatre cents pages. La deuxième lecture consolida la première impression. Il avait accepté naturellement les principes spirites, sans y opposer aucune barrière ! Pour rester catholique, il n'y avait plus qu'une solution : prouver que le phénomène spirite n'existait pas et qu'en conséquence, le livre de Léon Denis n'était qu'une rêverie philosophique, malgré sa logique !

    Quelques jours plus tard, Mariano da Cunha Júnior revint à Sacramento et dit à Euripide :

    - Tu devrais aller à Santa Maria assister aux communications des esprits qui utilisent entre autres une petite table à trois pieds... Nous avons reçu de très beaux messages.

    - C'est ce que la chère tante Sana m'a souvent dit. J'accepte ton invitation ! J'ai aimé le livre de Léon Denis et je l'ai lu deux fois. A présent, seuls les faits me prouveront la véracité de la Doctrine Spirite, qui me paraît extraordinairement évangélisatrice.

    - Quand veux-tu y aller ?

    - La semaine prochaine, si c'est possible.

    - Tu seras surpris en écoutant Jason ou Aristides, en transe, commenter les paraboles de l'Evangile. Tu verras des choses remarquables à Santa Maria !

    Quelques jours plus tard, Euripide et Mariano se rendirent à cheval à Santa Maria, en parlant des aspects de la doctrine des esprits.

    A leur arrivée, l'énorme porte rustique de la maison de Honorato Ferreira da Cunha avait déjà été retirée du battant et placée sur deux chevalets, au milieu de la salle, en guise de table.

    La séance commença par une prière touchante de Delfim Pereira da Silva, qui dirigeait la séance. Mariano da Cunha Júnior tomba en transe et l'esprit du docteur Bezerra de Menezes salua les assistants et dit :

    - Enfin parmi nous, Euripide Barsanulfo, Dieu soit loué ! Réjouis-toi, mon fils, car ton heure est arrivée. Il y a parmi nous un esprit très élevé qui désire te parler... Je dois me retirer...

    Une autre entité se manifesta alors par l'intermédiaire de Mariano da Cunha Júnior.

    - De qui s'agirait-il ? pensa Euripide.

    L'Esprit capta sa pensée.

    - Je suis ton esprit protecteur.

    - Comment vous appelez-vous ?

    - Dans ma dernière existence sur terre, on m'appelait Vincent de Paul.

    - Saint Vincent de Paul ?

    - Oui, toi et moi, Euripide, nous sommes amis d'autres vies, beaucoup de vies ! En France, tu as déjà été ecclésiastique, médecin et professeur... Maintenant, tu as une mission importante au Brésil. Le livre de Léon Denis t'a rappelé les enseignements... Tu sais maintenant que la vérité prêchée par Jésus n'est pas vraiment dans le catholicisme. Bien, mon fils. Même si la confrérie de Saint Vincent de Paul porte mon nom, éloigne-toi d'elle. C'est mon premier conseil. Ne cache pas ta nouvelle conviction religieuse. Au contraire, divulgue-la aux quatre vents, c'est mon deuxième conseil. Ne crains rien, car je t'assiste depuis ta naissance.

    - Quelle est ma mission ? demanda Euripide, mi surpris mi ému.

    - Les Esprits du Seigneur réaliseront divers travaux avec toi. La charité, mon fils, est notre bannière. Le travail de base sera de guérir, et Bezerra de Menezes t'y aidera. Tout est planifié et en vérité, Jésus est notre guide.

    Saint Vincent de Paul se retira. Jason tomba en transe, et un esprit protecteur, parlant français avec beaucoup de désinvolture, exhorta l'amour au prochain. Puis, le métis Aristides tomba en transe et transmit un très beau message d'explication sur le sermon de la montagne, passage de l'évangile dont Euripide n'avait pas encore compris la signification profonde.

    Euripide ne s'attendait pas à tant de merveilles spirituelles, et ce n'était pas fini. La table à trois pieds transmit des messages philosophiques par des coups, se déplaça sans contact dans la pièce, monta et descendit des marches... Euripide entendit des voix provenant tantôt du plafond, tantôt des murs, parfois très près de ses oreilles. La soirée était généreuse, les preuves de la communication des esprits se multipliaient. Mentalement, Euripide fit une prière et s'aperçut soudainement que son esprit se détachait du corps... Il voulut prévenir Mariano da Cunha Júnior, mais en vain. Il se sentait nonchalant, étourdi, et ne pouvait articuler des mots.

    Pâle, il posa sa tête sur la table. Il se laissa aller tout en s'efforçant de concentrer sa pensée sur Jésus. Son esprit s'absenta de longues minutes, et Delfim Pereira da Silva appliqua des passes sur son corps inerte...

    Par humilité, Euripide ne révéla à personne ce qu'il vit dans le monde spirituel...

    Dans cette soirée, plusieurs facultés médiumniques se révélèrent, qui allaient se développer par la suite : la clairvoyance, la clairaudience, la psychophonie, la psychographie, les effets physiques, la guérison et le dédoublement.

    En fin de séance, Euripide se souvint du message sur le Sermon de la Montagne. Il embrassa Mariano da Cunha Júnior, et lui présenta ses excuses...

    - Pourquoi ces excuses si tu ne m'as jamais offensé ? Tu as un grand coeur !

    - J'ai souvent ironisé lorsque vous vous êtes converti au Spiritisme... Pardonnez-moi...

    - Bien sûr.

    Euripide demanda alors à Mariano de l'accompagner de suite à la résidence de Carlos.

    - Pourquoi veux-tu voir Carlos si tard ? Il faut traverser deux kilomètres de fourrés...

    - Il le faut... Après tout ce que j'ai vu pendant la séance, je ne dormirai pas en paix si je n'y vais pas... Accompagnez-moi, mon oncle...

    Puis, portant chacun une lanterne à kérosène, ils marchèrent dans la nuit.

    Carlos habitait une baraque. Euripide frappa. Etonné, Carlos ouvrit la porte une bougie à la main. Il était très malade.

    Euripide Barsanulfo fit alors un geste surprenant : il embrassa son visage et ses mains et le réconforta en lui rappelant les passages de l'évangile. Puis il prit le chemin du retour.

    - A présent, je suis satisfait, mon oncle !

    - Saint Vincent de Paul l'a dit, tu dois être un missionnaire... Tu as eu le courage d'embrasser un lépreux...

    - Je souhaitais souvent visiter Carlos à Santa Maria, mais je craignais les plaies de son visage et de ses mains. Maintenant, ça va !

    Sur le conseil des amis spirituels, Euripide ne retourna pas à Sacramento le lendemain comme il l'avait prévu. Il devait rester quelques jours à Santa Maria pour récupérer l'énergie dépensée dans cette fantastique soirée médiumnique, qu'il n'oublierait jamais !


    1 Témoignage de Ranulfo Gonçalves da Cunha, fils de Mariano da Cunha Júnior.


    2 Mariano da Cunha Júnior (monsieur Mariano) initia Euripide au spiritisme. Né à Sacramento le 19 novembre 1875, il se désincarna le 27 avril 1949 dans le domaine de Santa Maria. Dès 1898, il participa aux travaux médiumniques à Santa Maria, et fut l'un des fondateurs du centre spirite "Foi et Amour". Il se maria avec Herondina Djanira da Cunha, l'une des premières femmes spirites de Sacramento.


    3 Frederico Peiró naquit à Linarès, en Espagne. Dans sa jeunesse, il émigra vers l'Argentine (Buenos Aires) où il vécut deux ans. En 1892, il s'installa à Uberaba et ne quitta plus le Brésil. Il devint spirite en 1893, en participant à Uberaba à des réunions au domicile de l'avocat et colonel Antonio Cesário da Silva Oliveira. Sa sensibilité artistique l'orienta vers la peinture. Il se maria en 1902 avec Maria Mendonça Rezende, née à Sacramento et spirite elle aussi. Le couple eut cinq enfants. Frederico Peiró se désincarna en 1914 et il a encore quelques descendants à Peirópolis.